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Au Mali, « la situation frise le chaos »



Libération - 6 avril 2012 - Par Cordelia Bonal

Les rebelles touaregs et la mouvance islamiste ont pris le contrôle de tout le nord du pays, région « ouverte à la délinquance généralisée », décrit l’anthropologue André Bourgeot, chercheur émérite au CNRS.

L’offensive a été foudroyante. En quelques jours, trois des principales villes du nord du Mali, Kidal, Gao et Tombouctou, sont passées aux mains de la rébellion touareg, mouvance composite divisée entre autonomistes et islamistes. La situation est suffisamment critique pour que le chef de la junte, Amadou Sanogo, qui a pris le pouvoir il y a deux semaines, en appelle à l’aide internationale. Et pour que le chef de la diplomatie française, Alain Juppé, pointe le « péril islamiste ». Qui sont ces rebelles, quels sont leurs objectifs ? Les explications de l’anthropologue André Bourgeot, chercheur émérite au CNRS, directeur du projet des « Nouveaux enjeux dans l’espace saharo-sahélien » de la Maison des sciences de l’homme.

Qui sont les acteurs de la rébellion touareg au Mali ?

La rébellion qui a repris depuis début janvier s’inscrit dans un cycle long : les rébellions de 1916-1917, 1963-1964, 2006-007 et, aujourd’hui, 2011-2012. Cette dernière a cependant un caractère inédit très fort, par les tendances qui la composent. D’une part, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), de tendance laïque et indépendantiste, dont le comité exécutif est exclusivement composé de Touaregs, et qui revendique l’indépendance de l’Azawad. Ce territoire recouvrant le Nord-Mali est une construction politique, sans fondement géographique ni historique.

D’autre part, les Touaregs d’Ansar ed-Dine (que l’on peut traduire par « Partisans de la foi »), implantés depuis le début des années 80 au Mali. Ce sont des salafistes jihadistes, dont l’objectif est de créer un Etat islamique au niveau du Mali en instaurant la charia par la lutte armée. Ce sont eux qui ont imposé leur loi à Tombouctou depuis mardi. Mais ils n’ont pas le « label » Al-Qaeda, à la différence des combattants d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), dont ils partagent les finalités. Enfin, un troisième mouvement est apparu il y a quelques semaines, le Mouvement unité pour le Jihad en Afrique de l’Ouest.

Quelles sont leurs revendications ?

Ces différentes mouvances ont des objectifs parfois divergents mais sont perméables : des gens d’Aqmi peuvent combattre aux côtés de ceux d’Ansar ed-Dine, par exemple. Le MNLA n’a lui rien à voir mais a noué une alliance conjoncturelle avec la mouvance islamiste pour affronter l’ennemi commun : le Mali, accusé d’être colonialiste par le MNLA, et de ne pas être suffisamment musulman par les jihadistes.

Au-delà de la rébellion touareg, il faut souligner l’influence croissante de l’islam au Mali ces dernières années. Cela s’est vu par exemple au moment de l’instauration du code de la famille. Sous la pression du Haut Conseil islamique du Mali, le texte, au départ plutôt progressiste, a été remanié dans un sens régressif, et c’est cette version qui a finalement été adoptée en décembre dernier par l’Assemblée nationale malienne et par le chef de l’Etat.

Le retour de combattants touaregs venus de Libye après la chute de Kadhafi a-t-il joué un rôle déclencheur dans la nouvelle offensive de la rébellion ?

Déclencheur peut-être pas, mais accélérateur très certainement. Il ’agit de combattants aguerris, lourdement armés (missiles sol-sol, sol-air…), et que personne n’a d’ailleurs désarmés, ce qui peut poser question. La rébellion peut aussi compter sur le ralliement d’anciens rebelles touaregs intégrés dans l’armée malienne, comme le colonel major El Hadj Gamou, issu de la communauté touareg des Imrad, qui a été loyaliste jusqu’au bout, pour finalement rallier le MNLA après la prise de Kidal (l’une des principales villes du Nord) par le MNLA et Andar ed-Dine, et a changé de camp avec à sa suite de 200 à 400 soldats.

Mais l’armée malienne était déjà à la dérive face à la rébellion, sans moyens matériels pour riposter. D’où des mutineries, des départs... L’armée a baissé les bras. Et le putsch, facteur de désorganisation, a favorisé la déferlante à laquelle on vient d’assister en 48 heures.

Le scénario d’une partition du Mali est-il réaliste ? Une partition politique est peu probable, mais, si l’on parle d’une partition militaire, elle existe de facto. L’Etat n’est plus du tout représenté dans le Nord-Mali, zone en proie à un enchevêtrement d’activités criminelles dont les acteurs viennent d’un peu partout. Déjà zone de non-droit, la région est devenue zone de tous les droits, ouverte à la délinquance généralisée. Celle-ci a connu un essor depuis 2005-2006 et l’implantation d’Aqmi dans le septentrion malien. Le trafic de cannabis, de cocaïne, de cigarettes, d’armes a fortement augmenté. Favorisant un aspect non négligeable : le conflit interethnique pour le contrôle de l’acheminement de la cocaïne, venue d’Amérique latine. On était déjà dans une poudrière, la situation frise maintenant le chaos.

Peut-on, dans ce tableau, s’attendre à un affrontement entre les différentes factions rebelles ? La compétition peut jouer à trois niveaux : pour le leadership régional, pour le leadership tribal, et au niveau de la succession à la chefferie.

La rébellion peut-elle atteindre Bamako ? Si le MNLA avance jusque-là, il ira au-delà du territoire qu’il rejavascript:barre_raccourci(’’,’’,document.formulaire.texte)vendique, l’Azawad. L’extension du conflit, si elle a lieu, devrait donc plutôt être le fruit de la lutte armée d’Ansar ed-Dine.

On voit mal comment, dans la mesure ou pour le MNLA l’indépendance de l’Azawad est le préalable à toute négociation. Quant à la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), elle intervient pour le moment sur le putsch, pas sur la rébellion.


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Publié sur OSI Bouaké le vendredi 6 avril 2012

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