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La Françafrique bouge encore



Le cahier livres de Libé - 10 janvier 2009 - Thomas Hofnung

Dans trois livres, tout sur les relations : Chirac, Sarko, Bongo, Gbagbo…

La Françafrique, même pas morte ! Durant sa campagne présidentielle en 2007, Nicolas Sarkozy avait annoncé sa fin imminente. Pour l’avoir pris au mot, son éphémère secrétaire d’Etat à la Coopération, Jean-Marie Bockel, a pris la porte, à la demande expresse du champion incontesté de la Françafrique, le président du Gabon Omar Bongo. Dans un livre alerte et souvent drôle, Antoine Glaser et Stephen Smith décrivent par le menu ce revirement, symbolisé par la résurrection d’un go-between influent, l’avocat Robert Bourgi. Marginalisé sous le règne de Jacques Chirac, ce Franco-Libanais, qui a grandi au Sénégal, est parvenu - affirment les auteurs - à s’imposer dans le premier cercle de Sarkozy, aux dépens d’une cellule africaine pourtant chargée sur le papier de mettre en musique « la politique africaine de la France ».

Fardeau. Avec ce livre, le tandem qui avait signé, dans les années 1990, Ces Messieurs Afrique sur les réseaux françafricains, revient à ses premières amours. Avec force anecdotes. Les auteurs racontent comment l’Elysée a fait appel à Bongo pour arracher une entrevue entre le couple présidentiel et l’icône absolue du continent africain, Nelson Mandela.

A l’issue de leur examen d’une année seulement de sarkozysme en Afrique - du Tchad au Gabon, en passant par l’Afrique du Sud -, Glaser et Smith évoquent une « régression » par rapport à la période chiraquienne, assurant que l’ex-président avait tenté de rompre avec certains usages du passé. Le terme de « mutation » serait plus approprié. Ni Bongo ni le Congolais Sassou Nguesso n’avaient trouvé porte close au palais de l’Elysée sous Chirac. Quant au dossier ivoirien, il est traité de manière nettement moins affective par le nouveau locataire de l’Elysée.

Fondamentalement, il voit l’Afrique comme un fardeau. Mais elle ne cesse de le rattraper : de l’affaire de l’Arche de Zoé au Tchad, en passant par ces dinosaures de la Françafrique qu’il côtoie depuis son ascension dans les Hauts-de-Seine, et qui l’ont activement soutenu durant sa campagne. Et nos deux auteurs de citer un analyste perspicace et goguenard de la Françafrique, le président ivoirien Laurent Gbagbo : « Il [Sarkozy] est intéressant parce qu’il n’est pas paternaliste, mais prêt à laisser tomber l’Afrique si son pays n’y trouve pas son compte. »

Coups tordus. Deux autres ouvrages s’intéressent aux turpitudes françafricaines. Ecrit par Samüel Foutoyet, de l’association Survie, le premier pointe, lui aussi le retour en grâce des bonnes vieilles habitudes sur les rives de la Seine. Avec un titre explicite : Nicolas Sarkozy ou la Françafrique décomplexée. Par son côté militant, qui en fait sa limite, cet ouvrage s’inscrit dans le droit fil des livres de l’ancien président de l’association, François-Xavier Verschave. Jusqu’à sa mort, ce dernier a dénoncé la Françafrique, « le plus long scandale de la République ». Ici, pas de révélation, mais une synthèse assez complète des relations de Sarkozy avec l’Afrique.

Pour une mise en perspective informée et plaisante à lire, on se plongera dans le livre de Patrick Pesnot qui a rassemblé les émissions de Monsieur X (sur France Inter le samedi) consacrées à cette mine de coups tordus qu’est la Françafrique. Le récit de cette époque où Paris faisait et défaisait les régimes ne manque pas de sel. Et, en creux, montre à quel point les temps ont changé. La Françafrique de papa, c’était quand même autre chose.


- "Sarko en Afrique", Antoine Glaser et Stephen Smith, Plon, 2008, 216 pages, 19 €

- "Nicolas Sarkozy ou La Françafrique décomplexée", Samuël Foutoyet, préfacé par Odile Tobner, Edition Tribord, 2008, 160 pages, 4,5 € http://survie.org/spip.php?page=imprimir_articulo&id_article=1313

- "Les dessous de la Françafrique", Patrick Pesnot, Nouveau Monde Éditions, Collection Dossiers Secrets De Monsieur X, 2008, 20,90€ http://www.nouveau-monde.net/livre/?GCOI=84736100522900


Article du Monde sur le premier de ces trois livres : http://www.lemonde.fr/livres/articl...

"Sarko en Afrique", d’Antoine Glaser et Stephen Smith : incohérences de la politique franco-africaine

Le Monde | 16/12/08 | Philippe Bernard

Tout va tellement vite avec Nicolas Sarkozy que, dix-huit mois après son entrée à l’Elysée, il est déjà temps de tirer un bilan de sa politique africaine. C’est en tout cas le pari que réussissent Antoine Glaser et Stephen Smith, journalistes spécialistes de l’Afrique dans un livre dont le ton ironique, parfois trop léger, adoucit la trame fondamentalement inquiétante : la chronique d’une régression et d’une perte de sens, sur fond d’abandon.

La thèse est simple : après avoir promis, pendant la campagne électorale, une nette "rupture" avec les anciens réseaux de la Françafrique et les complaisances à l’égard des dictateurs noirs, M. Sarkozy agit dans un sens diamétralement opposé. Il gère les relations avec l’Afrique en double commande : d’un côté, la diplomatie officielle chargée des dossiers stratégiques - Darfour, Tchad, Congo, Afrique du Sud -, de l’autre les relations avec le "village" francophone, gérées en direct par le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant, par l’entremise opaque d’un survivant des réseaux Foccart, l’avocat Robert Bourgi, conseiller personnel du président gabonais Omar Bongo. Quant au ministre des affaires étrangères, son rôle est quasi anecdotique et ses initiatives - Tchad, Rwanda - strictement encadrées.

De Dakar à N’Djamena en passant par Libreville et Paris, les auteurs livrent un récit nourri des contradictions que génère pareil fonctionnement. Derrière les discours adressés à "la jeunesse africaine" et la volonté affichée de passer le relais à l’Europe, se manifeste, selon eux, un désintérêt pour un continent "où il n’y a que des coups à prendre", accentué par l’obsession des économies budgétaires. Ce retrait s’opérerait à contretemps, alors que les Chinois et les Américains le réinvestissent.

Parallèlement, alors que M. Sarkozy entend favoriser la promotion des Français issus de l’immigration africaine, sa politique de fermeture des frontières impose des humiliations au continent. Acéré, nourri de mille anecdotes, le livre tresse bizarrement des lauriers à Brice Hortefeux. Finalement, le seul axe clair de la politique africaine résiderait dans les coups de pouce donnés aux projets africains des grandes entreprises françaises qui, de Bouygues à Bolloré, se trouvent être dirigées par des amis du président.

Faute d’une vision de la relation franco-africaine plus ambitieuse et exigeante que celle d’un VRP, M. Sarkozy serait réduit à actionner ce qui subsiste des vieux réseaux, et se trouverait "aux mains du clan gabonais". Visiblement, Nicolas Sarkozy n’a rien à refuser à Omar Bongo, au pouvoir depuis... 1967. Contre l’avis de Bercy, le président a effacé 20 % de la dette du Gabon, Etat exportateur de pétrole.

Au début de l’année, il a aussi limogé Jean-Marie Bockel, le secrétaire d’Etat qui s’était étonné publiquement du maintien d’un haut niveau de pauvreté dans les pays africains pétroliers. Appointé par Libreville, Me Bourgi sert aussi de missi dominici à l’Elysée, bien que n’étant doté d’aucun statut à l’égard de l’Etat français.

Le livre suggère fortement l’existence d’un "lien d’argent", dont il n’apporte pas la preuve mais qui expliquerait bien des choses. M. Bongo, qui est réputé avoir financé des campagnes électorales françaises, ne se targue-t-il pas de connaître les "petits secrets entre chefs d’Etat" ? L’hypothèse est si excitante qu’elle tend à donner une importance démesurée au "Bongoland", petit Etat à l’échelle de l’Afrique. Le livre, implacable dans sa dénonciation des incohérences d’une France qui ne sait plus ce qu’elle fait en Afrique, reste muet sur les pistes de reconstruction d’une relation dont les ambivalences n’ont pas commencé avec l’élection de M. Sarkozy.


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Publié sur OSI Bouaké le lundi 12 janvier 2009

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