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La Côte d’Ivoire en état d’alerte face à la menace de l’épidémie d’Ebola



Le Monde | 18.08.2014 | Par Maureen Grisot (Tiobli, Kandopleu (Côte d’Ivoire) Envoyée spéciale )

Le 4 × 4 de Kouassi Koffi, sous-préfet de Tiobli – chef-lieu d’une zone de l’ouest ivoirien qui longe la frontière libérienne –, s’enfonce difficilement dans la forêt, mercredi 13 août. La pluie a raviné les chemins accidentés qui mènent à des villages presque coupés du monde depuis que le Liberia a fermé ses frontières, fin juillet, en raison de l’épidémie de fièvre Ebola, qui a déjà fait plus de 400 morts dans ce pays.

« Désormais, le seul contact des villageois avec l’extérieur, c’est la fourgonnette qui passe quand elle le peut chercher leurs récoltes pour les vendre en ville », explique Kouassi Koffi. En juillet, les autorités ont interdit les marchés forains dans la région, craignant une propagation de la maladie lors de ces rassemblements qui attiraient des populations venues du Liberia.

Quand le sous-préfet arrive à Pekan-Houebly, la dizaine de notables de ce village d’environ 500 habitants l’attendent sous l’immense manguier qui marque la place centrale. Le griot sonne le rassemblement de sa voix puissante. Contrairement à la tradition, personne ne se serre la main ni ne s’embrasse : depuis quelques jours le gouvernement a vivement déconseillé ces accolades, pourtant chères aux Ivoiriens, pour éviter d’éventuelles contaminations.

« Rompre avec ses coutumes n’est pas facile, s’émeut Serge Tian, un cadre du village. La première fois que le sous-préfet est venu nous parler de l’interdiction de vendre et de manger de la viande de brousse, et nous dire d’arrêter de recevoir nos frères libériens, nous avons douté de l’utilité de ces mesures. Certains voulaient voir des malades d’Ebola de leurs propres yeux pour y croire. Mais avec les médias, nous avons pris conscience du danger et compris qu’il nous disait la vérité. » Dans ce village sans électricité, les habitants n’ont que la radio pour s’informer, et la télévision quelques minutes par jour, quand il y a assez d’essence pour alimenter le groupe électrogène.

« Les populations de cette région, acquises à l’ancien régime , se méfient de ce qu’on leur dit », confirme le sous-préfet. Début août, sept Libériens ont été reconduits à la frontière après avoir été accueillis dans un village tout proche. « Les habitants auraient dû suivre les consignes du gouvernement et leur demander de rentrer chez eux. Mais les gens sont de la même ethnie de part et d’autre de la frontière, et parfois de la même famille, décrit Kouassi Koffi. Il y a de nombreuses voies clandestines qui permettent de traverser la forêt et donc la frontière. »

AUCUN CAS DÉCLARÉ JUSQU’À PRÉSENT

Jusqu’à présent, aucun cas d’Ebola n’a été déclaré en Côte d’Ivoire. Les autorités sanitaires assurent pouvoir acheminer et analyser les prélèvements suspects en 72 heures à l’institut Pasteur d’Abidjan : une quarantaine de « rumeurs » ont été vérifiées, toutes négatives. Néanmoins, en juillet, le gouvernement a considérablement renforcé les mesures préventives dans les régions qui bordent le Liberia et la Guinée.

Des postes avancés ont été installés aux passages officiels entre les pays : on y contrôle la température de ceux qui désirent pénétrer sur le territoire ivoirien, on les interroge sur leurs antécédents. Des dizaines de migrants ont été refoulés, notamment vers le Liberia. Si le pays n’a pas officiellement fermé ses frontières, certains préfets l’ont fait dans leur zone, comme à Tiobli. Depuis le mois de mars, les autorités administratives et sanitaires locales ont aussi reçu une formation de l’Institut national d’hygiène publique.

Dans le petit centre de santé de Tiobli, où les médicaments sont rares, Drissa Soro, l’infirmier, a mis sous clé le kit d’urgence qu’on lui a distribué dès le début de l’épidémie. « C’est très précieux, précise-t-il. On a des masques, du Perfalgan, du coton, de l’alcool pour nettoyer les thermomètres, des tubes secs pour les prélèvements, des gants, deux combinaisons qui couvrent tout le corps, comme on voit à la télé. On a de quoi assurer en urgence si un cas est déclaré, mais ce sera vite insuffisant. »

« DE LA SENSIBILISATION, NOTAMMENT SUR LA VIANDE DE BROUSSE »

Le jeune homme n’est épaulé que par une sage-femme, dans cette zone rurale qui compte 5 000 habitants : le médecin et les autres personnels de santé qui y ont été affectés n’ont jamais voulu venir ici. Pour se tenir informé de la situation, l’infirmier s’appuie sur des agents de santé communautaire présents dans chaque village : un réseau indispensable dans cette région où certains hameaux sont inaccessibles, même à moto, à cause des routes délabrées. Ces agents font tous partie des « comités de veille » mis en place par les préfets : des groupes composés des cadres du village, chargés de relayer les consignes des autorités.

« Chaque jour, ils font de la sensibilisation, notamment sur la viande de brousse. Ils disent aux villageois de manger du poisson, et ça commence à venir », assure Kouassi Koffi. Le message a pourtant souvent du mal à passer. Certains habitants continueraient à chasser du gibier, la seule viande accessible.

Les autorités mènent aussi des actions de prévention près de la frontière avec la Guinée, où le dernier bilan de l’épidémie est de 380 morts. Jeudi 14 août, une simulation est organisée dans le petit village de Kandopleu, pour tester sa réaction au cas où la maladie s’y déclarerait. Le personnel médical a répété pendant trois jours chaque étape du dispositif avant l’arrivée des officiels, sans pour autant éviter plusieurs erreurs.

« J’ai relevé quelques faiblesses, notamment dans la manière d’enlever les combinaisons, note Raymonde Goudou Coffie, la ministre ivoirienne de la santé et de la lutte contre le sida  , qui a fait le déplacement. Les personnels de santé sont les premiers en contact avec les patients, donc ils doivent respecter le processus s’ils ne veulent pas mourir. »

Cette simulation sert à « éprouver les équipes sur le terrain et voir comment améliorer la prise en charge des patients », explique la ministre. « Nous devons rester vigilants, ajoute-t-elle. Les frontières de la Côte d’Ivoire peuvent être une porte d’entrée pour le virus Ebola, donc nous voulons être prêts si un cas se présentait. »

Dans ces régions où habituellement tout manque, ce déploiement de moyens impressionne la population venue assister à cet exercice grandeur nature. « L’infirmier a posé beaucoup de questions au malade présumé, constate Galeedinie Vehe, une habitante de Kandopleu. Quand il a dit qu’il venait de Guinée, le médecin l’a mis à l’écart et s’est occupé de lui avec une tenue vraiment appropriée pour ne pas être contaminé. J’ai espoir que si un cas d’Ebola devait survenir en Côte d’Ivoire, ça ne prendrait pas les mêmes proportions qu’en Guinée, parce que nous, nous sommes préparés. » Le film de cette simulation sera distribué dans les préfectures et les centres de santé de la région.

  • Encadré : Un centre d’isolement de malades attaqué à Monrovia

Des hommes armés de gourdins ont attaqué, dans la nuit du samedi 16 au dimanche 17 août, un centre d’isolement de malades d’Ebola, à Monrovia, la capitale du Liberia, provoquant la fuite de 17 patients et celle des infirmiers. « Ils ont cassé les portes et pillé les lieux. Les malades ont tous fui », relate une témoin du drame. Les assaillants, jeunes pour la plupart, auraient proféré des paroles hostiles à la présidente libérienne, Ellen Johnson-Sirleaf, et affirmé qu’« il n’y a pas d’Ebola » dans le pays. Le centre d’isolement avait été récemment aménagé dans un lycée d’un quartier considéré comme l’un des épicentres de l’épidémie à Monrovia. Des habitants s’étaient opposés à cette implantation. Le dernier bilan de l’épidémie est de 1 145 morts au Liberia, en Guinée, en Sierra Leone et au Nigeria.


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Publié sur OSI Bouaké le mercredi 20 août 2014

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