OSI Bouaké - La Chine s’éveille aux transsexuels Accueil >>  Zone Franche

La Chine s’éveille aux transsexuels


Mots-Clés / Genre

M le magazine du Monde | 18.02.2015 | Par Brice Pedroletti (Pékin, correspondant) -

En révélant sa liaison avec un homme transgenre, la sexologue Li Yinhe a brisé un tabou. Leur romance passionne les Chinois, sous l’œil bienveillant du Parti communiste.

(c) Photo illustrant cette brève : Veuve de l’écrivain Wang Xiaobo, Li Yinhe (à droite) partage sa vie avec Da Xia depuis dix-sept ans.

« Son physique est celui d’une femme, mais psychologiquement, c’est un homme. La différence entre ce genre de personne et les lesbiennes, c’est que bien qu’elle soit physiquement une femme, son identité de genre est masculine, et elle aime les femmes hétérosexuelles, et non les femmes gay. » Cette révélation, faite par la sexologue Li Yinhe au sujet de son compagnon, a fait couler beaucoup d’encre en Chine.

Dans un billet de blog publié le 18 décembre 2014, elle explique qu’elle vit depuis dix-sept ans avec un homme transsexuel. Et cette révélation est en train d’élargir les horizons en Chine, où les débats autour de la sexualité restent corsetés à la fois par une conception traditionnelle de la famille et l’héritage puritain du communisme.

Professeure à la retraite de la prestigieuse Académie des sciences sociales, Li Yinhe, 63 ans, est célèbre en Chine pour ses prises de position progressistes, qu’elle expose dans ses écrits et sur les plateaux télévisés. Elle s’est toujours prononcée en faveur du mariage gay et pour la dépénalisation de « la débauche en réunion » (passible de prison en Chine), de la pornographie et de la prostitution.

Son coming out a fait mouche

Mais son coming out a fait mouche : la sexologue et son compagnon, présenté sous son pseudonyme d’internaute, Da Xia (« le chevalier justicier »), se sont vu consacrer des pages dans les magazines de société. L’hebdomadaire Nanfang Renwu Zhoukan a ainsi publié une interview exclusive de Da Xia, chauffeur de taxi de son état : traits fins et poitrine plate, celui-ci s’y épanche sur son amour pour Li Yinhe, « intellectuelle de combat », et raconte comment ils ont élevé l’enfant qu’ils ont adopté.

Li Yinhe a expliqué avoir rencontré Da Xia dans une fête gay à Pékin, où on l’avait amenée pour se changer les idées trois mois après la disparition de son mari, le célèbre écrivain Wang Xiaobo (mort à 44 ans d’une crise cardiaque en 1997). Même Le Quotidien du peuple, l’organe de presse officiel du Parti, s’est félicité sur son fil Weibo (le Twitter chinois) de ce que « les sujets tels que les homosexuels, les personnes transgenres et le sida  , qui étaient auparavant des tabous, [soient] devenus l’objet de débats et [soient] de plus en plus acceptés par la société. Chacun de nous est unique, alors laissons les évolutions sociétales suivre le progrès scientifique. Respecter le choix de Li Yinhe, c’est se respecter soi-même ! ».

« Si j’étais homosexuelle, je le dirais ! »

Cet enthousiasme n’a pas empêché quelques jugements. Et si Li Yinhe a choisi de s’exprimer, c’est notamment parce que des rumeurs sur Internet affirmaient qu’elle avait toujours caché son homosexualité. « Si j’étais homosexuelle, je le dirais ! » affirme-t-elle. Elle s’est vu aussi reprocher d’avoir manqué à ses devoirs de veuve ou d’avoir égratigné l’image du couple mythique qu’elle formait avec Wang Xiaobo, connu pour son exploration de la sexualité dans ses romans.

Li Yinhe a précisé avoir fait avec Wang Xiaobo un mariage d’amour. Quant à sa rencontre avec Da Xia, elle écrit avoir « eu le sentiment que Dieu [lui] avait envoyé un ange pour [la] sauver du malheur d’avoir perdu Xiaobo ». C’est finalement le romantisme de l’histoire de Li Yinhe et Da Xia qui a conquis le public.

La professeure se félicite d’avoir réussi un exercice de « vulgarisation », sans préméditation : « Avant, les gens en Chine entendaient cet acronyme, LGBT [lesbiennes, gays, bisexuels et trans], mais ça ne leur disait rien », nous confie-t-elle. « Là, c’est comme s’ils avaient tout à coup compris ce que signifiait le T dans LGBT. »


VOIR EN LIGNE : Le Monde
Publié sur OSI Bouaké le jeudi 26 février 2015



LES BREVES
DE CETTE RUBRIQUE