Afrique : Le procès d’Hissène Habré porterait un coup à l’impunité

Publié le 12 juin 2010 sur OSIBouaké.org

Dakar, 3 juin 2010 (IRIN) - Les parties au Statut de Rome, qui a donné naissance à la Cour pénale internationale, sont actuellement réunies en Ouganda pour faire le bilan des progrès accomplis jusqu’ici et réaffirmer leur engagement en faveur de la lutte contre l’impunité. Selon les spécialistes des droits humains et les experts juridiques, il est indispensable de traduire en justice l’ancien chef d’Etat tchadien Hissène Habré pour assurer que de tels traités internationaux soient plus que de simples mots couchés sur le papier.

Destitué en 1990, Hissène Habré vit depuis lors au Sénégal, premier pays d’Afrique à signer le Statut de Rome. Au cours d’une conférence tenue dernièrement à Dakar, la capitale, les représentants de la société civile et les rescapés des prisons tchadiennes ont une nouvelle fois appelé le Sénégal à engager des poursuites judiciaires à l’encontre de l’ancien président tchadien.

« Nos Etats africains ratifient tout ce qui bouge », a dit Amsatou Sow Sidibé, qui dirige l’Institut des droits de l’Homme et de la paix au Sénégal. « Maintenant, ce qui reste c’est l’application ; le Sénégal ne saurait être le paradis de personnes accusées de crimes odieux. Il ne faudrait pas que le continent africain soit une terre de parodie du droit ».

Selon les participants à la conférence de Dakar, le fait de n’avoir pas encore jugé Hissène Habré est une approbation tacite des violations des droits humains. « Aujourd’hui, il s’agit du Tchad ; demain, il s’agira. d’autres pays. A cause de l’impunité, beaucoup de violations des droits humains sont perpétrées », a dit Maître Jacqueline Moudeina, présidente de l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’Homme.

M. Habré a d’abord été inculpé par la cour sénégalaise en 2000 pour crimes contre l’humanité, commis durant ses huit années de pouvoir. Mais des querelles politiques et juridiques ont freiné le déroulement de l’affaire ; si bien qu’en 2005, une plainte a été déposée à Bruxelles - où vivent certains rescapés du régime Habré - demandant l’extradition de l’ancien dirigeant.

Aujourd’hui, l’affaire a été de nouveau confiée au Sénégal, mais le président Abdoulaye Wade a déclaré que pour pouvoir engager les procédures, le gouvernement devait recevoir à l’avance l’intégralité des fonds destinés au procès. « Ce n’est qu’un prétexte. que de manouvres dilatoires », a commenté Mme Moudeina. « Nous pensons qu’aujourd’hui le Sénégal, comme le Tchad [où un procès contre les complices présumés de M. Habré est en instance] sont en train d’entretenir l’impunité ».

« Le seul problème qui reste, c’est le budget, et nous sommes en train d’en débattre avec l’Union européenne et l’Union africaine », a dit à IRIN Cheikh Bamba Niang, porte-parole du ministère sénégalais de la Justice, qui n’a pas souhaité commenter les critiques formulées lors de la conférence.

Les cadavres du régime

Les participants ont visionné un documentaire où s’exprimaient des femmes et des hommes détenus pendant le mandat de M. Habré. D’anciens prisonniers se trouvaient dans l’assistance, ainsi que la sour d’un ressortissant sénégalais, mort dans une prison tchadienne.

Le documentaire, réalisé par le journaliste Florent Chevolleau, relate les efforts déployés par Human Rights Watch et d’anciens prisonniers politiques pour traduire Hissène Habré en justice.

Dans le documentaire, les anciens prisonniers relatent leurs jours passés dans de minuscules cellules, à respirer les vapeurs suffocantes des cadavres d’autres détenus laissés sur place, ainsi que les tortures par électrocution ou passages à tabac infligées par la police de M. Habré. La France et les Etats-Unis étaient favorables au régime de M. Habré, rempart contre la Libye depuis que le chef d’Etat libyen Mouammar Kadhafi avait occupé, en 1973, la bande d’Aouzou, une région riche en ressources minérales, située dans le nord du Tchad.

Souleymane Guengueng, fondateur d’une association de victimes de la répression politique au Tchad, a raconté à IRIN une partie de ce qu’il avait vécu pendant ses deux ans et demi de réclusion.

« Les corps des [compagnons de détention servaient] comme traversins. On m’a fait manger des choses que même un chien ne pourrait pas manger, [notamment] des excréments ».

Ses codétenus lui ont révélé par la suite qu’il avait été déclaré mort à trois reprises au cours de sa période de détention.

« Nous victimes rescapés qui avons osé demander justice, avons réellement besoin de la société civile pour combattre ensemble l’impunité ... [Peu importe] la couche sociale, le problème de l’impunité c’est vraiment comme un cancer en Afrique, et nul n’échappe à ses griffes », a dit M. Guengueng à IRIN.

« Nous aimerions que le peuple sénégalais comprenne - même si les hommes politiques veulent protéger ce criminel [M. Habré] - qu’il faut qu’il fasse attention, qu’il se soulève, et qu’il demande cette justice qui créera une jurisprudence, où tous les dictateurs dans le monde, et en particulier en Afrique, [pourront] se dire ’tiens, on a jugé Habré’ - si je ne change pas, je serai aussi jugé ».

Des voix contre l’impunité

Des responsables musulmans et chrétiens locaux, un député, un homme d’affaire et un professeur d’université se sont également adressés à l’assistance, lors de la conférence. Abdoulaye Babou, député, a juré de soulever la question de M. Habré à l’Assemblée nationale, pendant la semaine du 31 mai.

« Il est très important que des personnes issues de tous les secteurs de la société puissent s’exprimer dans cette lutte, et non uniquement les rescapés du régime », a estimé Clément Abaifouta, qui, au cours de ses quatre années de réclusion, creusait des tombes pour y enterrer les corps des détenus morts en prison.

« Il y a un énorme mouvement de mobilisation de la part de la société civile aujourd’hui ; en Afrique et à l’international », s’est félicité Alioune Tine, président de la RADDHO, un organisme panafricain de défense des droits humains, sis à Dakar. « Et je pense que grâce à cela, nous obtiendrons bientôt le procès ».

« Notre cri du cour, c’est d’appeler à une société civile forte, qui se lève contre l’impunité en Afrique. Il n’y a pas d’esprit de vengeance, mais nous voulons simplement que l’impunité soit éradiquée », a dit Mme Moudeina, l’avocate tchadienne.

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