Des soldats français soupçonnés de torture au Congo

Publié le 19 avril 2008 sur OSIBouaké.org

Libération - samedi 19 avril 2008 - Sébastien Buffet (à Stockholm) et Thomas Hofnung

Des soldats suédois mettent en cause l’attitude d’un colonel français en RDC en 2003.

Des actes de torture commis par des militaires français devant des soldats suédois qui restent de marbre : ces faits, très graves, se seraient déroulés en 2003, dans la province de l’Ituri, dans le nord-est de la République démocratique du Congo. Pour la première fois de son histoire, l’Union européenne avait déployé une opération de maintien de la paix sur le continent africain, baptisée Artémis. Cinq ans plus tard, l’affaire resurgit après la diffusion, début avril, d’un documentaire à la télévision publique suédoise, la SVT. Une enquête embarrassante pour Stockholm, dont la décision de participer à une autre force européenne (l’Eufor), en cours de déploiement dans l’est du Tchad, a suscité de vifs débats en Suède.

Simulacre d’exécution. Embarrassante, l’affaire l’est également pour Paris. Mise en cause, l’armée française a décidé de lancer une « enquête approfondie » sur des faits de nature à dissuader ses partenaires européens d’envoyer des troupes au sein de l’Eufor. L’année dernière, une première investigation avait été classée sans suite. Cette nouvelle enquête a été confiée au général Paimbault, qui vient de se rendre en Suède et a entendu les militaires français soupçonnés dans cette affaire. Laquelle n’est pas sans rappeler le cas de Firmin Mahé, cet Ivoirien qui aurait été tué en 2005 par des soldats français, placé sous les ordres du général Poncet, en Côte-d’Ivoire. « Il faut lever le doute, affirme le porte-parole adjoint de l’état-major des armées à Paris, le général Christian Baptiste. Si ces faits étaient confirmés, ils seraient sanctionnés de manière impitoyable. »

Le reportage de la télévision SVT a déjà fait sa première victime : le colonel Hans Alm, qui dirigeait les forces spéciales suédoises à l’époque en Ituri et qui vient d’être relevé de son commandement… au Tchad, où il servait au sein de l’Eufor.

Le 13 juillet 2003, au Congo, cet officier placé à la tête de 80 hommes aurait assisté sans réagir à des actes de torture et même au simulacre d’exécution d’un jeune Congolais, Joseph, arrêté par les Français. Selon le reportage diffusé sur une chaîne publique et fondé sur des témoignages anonymes de soldats suédois, une corde lui aurait été passée autour du cou lors de son interpellation dans l’enceinte même du camp où il se serait introduit clandestinement. Jeté à terre, les mains liées derrière le dos, en caleçon et affublé d’une capuche noire couvrant son visage, il est « interrogé » sans ménagement. Plus tard, les militaires suédois assurent avoir entendu des cris provenant du bâtiment où il a été emmené. Pour finir, un pistolet aurait été pointé sur sa tempe par un officier français. Le colonel Christophe Rastouil, qui commandait des forces spéciales françaises en Ituri, et dont le patron à Paris est le général Henri Poncet, est nommément mis en cause. Plusieurs heures après son arrestation, Joseph est embarqué par les militaires français, « ramené dans son village » , assure Paris.

Métastases. Dans une lettre à la chaîne SVT, le colonel Rastouil a fermement rejeté les accusations portées contre lui, les qualifiant de « diffamatoires ». En Suède, l’attitude du lieutenant-colonel Alm et de sa hiérarchie est pointée du doigt. L’officier aurait accepté d’étouffer l’affaire, à la demande des Français. Informé lors du retour de mission de ses soldats du Congo, en septembre 2003, l’état-major n’a pas jugé nécessaire d’ouvrir une enquête… A son retour du Congo, Hans Alm a même été promu. Le 11 avril, suite à l’émission de la SVT, il a été rappelé du Tchad, tandis que le patron des forces spéciales suédoises était suspendu, en attendant les résultats d’une enquête interne.

« Cette affaire tombe mal, analyse un diplomate français. Déjà que nous avons du mal à réunir le nombre de soldats prévus dans le cadre de l’Eufor… » Voulue par Paris pour sécuriser l’est du Tchad, en proie aux métastases du conflit au Darfour voisin, la force européenne doit permettre à des dizaines de milliers de déplacés tchadiens de rentrer chez eux. Or, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont refusé d’en être. La Pologne et l’Irlande ont prévu de déployer plus de 400 soldats, la Suède 260, l’Autriche 160… Au final, la France dépassera la limite qu’elle s’était fixée : la moitié des effectifs. En février, l’Autriche avait déjà exprimé des doutes sur sa participation après que Paris eût apporté un soutien déterminant au régime d’Idriss Déby, encerclé à N’Djamena par des rebelles. Depuis plusieurs années, Paris cherche à sortir de son tête-à-tête anachronique avec ses anciennes colonies en associant l’UE   à des opérations ponctuelles sur le continent. Ce n’est pas gagné.

Sur le même sujet BLOG Sur « secret défense », le point sur l’affaire

imprimer

retour au site