Aimer au temps du sida

Publié le 24 décembre 2007 sur OSIBouaké.org

Tranquillement provocateur, le titre du cinquième roman de Bessora est à l’image de son auteure : libre, inclassable, exigeant. Née d’un père gabonais et d’une mère suisse en 1968, la jeune écrivaine assume tout et ne concède rien. « Je suis celle qui partage. C’est la signification de mon nom d’auteure... Mais Bessora veut aussi dire celle qui tranche. Alors je tranche avec... un sabre. Oui, je suis une tendre et une peau de vache. » Bessora avait les rêves de sa génération : devenir célèbre, être une superhéroïne de feuilleton télévisé. Finalement, après avoir réussi des études commerciales, elle découvre que là n’est pas sa voie. Après un passage par l’anthropologie, l’écriture s’impose à elle. L’auteure y laisse libre cours à son imagination fertile.

Cueillez-moi jolis Messieurs... relate le parcours et le dialogue de deux femmes que tout oppose et qui cohabitent par nécessité. Claire, professeure quadragénaire, divorcée après vingt ans de mariage, séropositive et nymphomane, assume mal cette marginalité. Elle aime les hommes : « Cueillez-moi jolis Messieurs... », c’est elle. Une phrase prononcée comme une revanche. Claire se perd dans une vie privée de plus en plus dangereuse, sur laquelle plane le sida  . Elle vit avec Juliette, écrivaine sans le sou qu’elle a recueillie parce qu’elle l’a soutenue dans sa déprime. Juliette, sorte de misanthrope, éconduit ou utilise les hommes. Elle anime des ateliers d’écriture. La promiscuité des deux femmes, dans un petit logement où Juliette est venue avec ses enfants, est explosive.

Juliette. – Pourquoi tu es fâchée ?

Claire. – Mon humeur est excellente. Je maîtrise mon destin. Tout va bien.

Juliette. – Mon cul.

Claire. – Que ton cul repose en paix, Juliette.

Juliette, elle, ne se préoccupe que de sa propre survie au point d’entraîner Claire dans des rassemblements clandestins d’exclus. Rien de franchement politique dans tout ça ; mais une sorte de contestation sans filiation, celle de l’être qui se cherche et s’affirme. Bessora décrit un monde cruel où la moindre erreur ne pardonne pas.

Le style de Bessora est simple, juste, sans fioritures, inattendu, drôle, incisif, souvent poétiquement cru : « Tu as de la toile d’araignée dans le derrière ma fille. Faut débroussailler ! » Mais ses phrases sont souvent courtes, comme un souffle coupé, comme si elle avait peur de ne pas avoir le temps d’en terminer l’écriture. Bessora estime que la langue dans laquelle elle a baigné durant ses années gabonaises a influencé son écriture. Il y a de l’oralité dans cette musique des mots.

De 53 cm (Le Serpent à plumes, 1999) à Deux bébés et l’addition (Le Serpent à plumes, 2002), l’écrivaine croque les habitudes sociales, les conventions, et se livre à une savoureuse satire des comportements et des sociétés. Dans Petroleum (Denoël, 2004), elle décrivait avec acidité, sur fond d’intrigue policière, les mœurs sur une plate-forme pétrolière au Gabon.


Cueillez-moi jolis Messieurs..., de Bessora, Gallimard, coll. « continents noirs », Paris, 2007, 304 pages, 18,50 euros.


Anne-Cécile Robert pour le monde diplomatique - Decembre 2007

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