Qui est responsable du sous-développement de l’Afrique : les femmes africaines ou le G20 ?

Publié le 14 juillet 2017 sur OSIBouaké.org

Politis, Nicolas Sersiron et Anouk Renaud - 13 Juillet 2017 - Emmanuel Macron a déclaré lors du G20 qu’une partie des problèmes de l’Afrique provenait du taux de fécondité de certains pays. Mais c’est renverser l’ordre des causes, comme l’expliquent Nicolas Sersiron et Anouk Renaud, du CADTM.

Lors du G20 des 7 et 8 juillet à Hambourg, Emmanuel Macron a fait part de sa brillante analyse (encore une…) du sous-développement de l’Afrique, dont l’une des causes principales seraient les « 7 à 8 enfants des femmes africaines » :

Les causes du « sous-développement » africain ne sont apparemment pas enseignées à l’ENA, pas plus que celles des « sans-dents » de son prédécesseur. Confondre les symptômes d’une maladie, ou d’un grave problème comme la surpopulation, avec ses causes, est symptomatique de ces décideurs néolibéraux qui préfèrent faire porter la responsabilité des inégalités et des injustices sur les victimes plutôt que sur les responsables. Mais pour cela il faut ranger l’histoire dans un tiroir inatteignable de sa mémoire.

Oublier le pillage des ressources naturelles de ce continent par l’Europe depuis le milieu du XIXe siècle à travers la violente colonisation d’hier, le dramatique néocolonialisme d’aujourd’hui à travers les assassinats, la corruption, l’extractivisme, l’ingérence politique françafricaine et la dette illégitime. Oublier aussi la tragédie lointaine, de l’extraction de la force de travail durant les trois siècles précédents de ces dizaines de millions de jeunes africains, esclaves exportés dans des conditions pires que le bétail. Cette pensée tellement primaire de Macron sur les femmes africaines révèle un mépris raciste et sexiste, émanant du président français à savoir un homme, un blanc et un chef d’État.

Macron semble ignorer cette évidence empirique : la transition démographique se fait naturellement dès que les femmes et hommes ont accès à l’éducation, à la santé, à une alimentation sans angoisse du lendemain, bref à une vie digne. Et comment atteindre cet état, si les politiques qui sont imposées à ces pays par le FMI, la Banque mondiale ainsi que par les pays industrialisés réunis au sein du Club de Paris [2] depuis les années 1980 et la grande crise de la dette, vingt ans après les décolonisations, sont des plans d’austérité à répétition couplés à un libre-échange totalement déloyal et une privatisation de leurs ressources. Dans les plans d’ajustement structurel imposés aux pays du Sud – ceux-là même qui sont appliqués à la Grèce aujourd’hui – une mesure phare était la disparition de la gratuité de l’éducation et de la santé.

Les femmes africaines, premières victimes du néocolonialisme et de l’extractivisme

Loin d’être responsables, les femmes africaines sont en fait les premières victimes de ce système. En tant que pauvres, africaines mais aussi en tant que femmes. Les politiques d’ajustement structurel imposées au nom du remboursement de dettes illégitimes, ont fait exploser les inégalités entre les femmes et les hommes. Le travail gratuit des femmes déjà colossal s’est encore accru, puisque les femmes pallient aux services sociaux démantelés en s’occupant des enfants, des personnes âgées ou malades. Les coupes dans les budgets de santé ont mis à mal leurs droits sexuels et reproductifs. Aujourd’hui, 830 femmes meurent chaque jour de complications liées à leur grossesse ou accouchement et qui pourraient être évitées. Ces femmes vivent à 99 % dans les pays en voie de développement.

La violence des politiques extractivistes et impérialistes prend une couleur bien singulière et amère en ce qui les concerne. Le viol de masse s’avère une arme politique braquée vers les femmes. Que ce soit lors du pillage du coltan et de la cassitérite en République démocratique du Congo (RDC), par exemple. Ou encore lors du génocide rwandais, auquel la France n’est pas étrangère et durant lequel, l’ONU   estime à au moins 250 000 le nombre de viols de femmes.

Ce sont les discours à la Macron qui alimentent l’idée que les enfants des pauvres sont une charge pour la société. Ce sont ces mêmes discours qui ont abouti à des avortements et stérilisations forcées pratiquées en masse sur des femmes minorisées, notamment dans les colonies françaises, comme le montre la politologue Françoise Vergès dans son ouvrage, Le Ventre des femmes (Albin Michel, 2017), cité par Libération.

Le G20 fabrique du sous-développement

Les décisions que prennent vingt chefs d’États industrialisés – parmi lesquels figurent les anciennes puissances coloniales, dorénavant les pays les plus pollueurs et pilleurs de la planète – dans leurs salles de réunion aseptisées, protégés de la colère de la rue par 20 000 policiers et un arsenal répressif colossal, sont précisément la source de la misère africaine. Le G20 de Hambourg, pourtant placé sous le signe du soutien à l’Afrique, ne fait pas exception à la règle. Pour répondre aux problèmes de surendettement des États, le G20 entend renforcer le rôle des institutions financières internationales, telles que le FMI, la BM ou encore le Club de Paris, dont on connaît non seulement l’inefficacité mais aussi le caractère néfaste. L’initiative allemande Compact with Africa, présentée comme une bonne pratique à suivre, consiste au renforcement des prêts et investissements privés en Afrique, autrement dit, ouvre (encore plus) la porte au surendettement des pays et au pillage de leur économie au profit des banques et multinationales occidentales. Du haut de leurs cravates et de leurs certitudes, les chefs d’État présentait cette « aide » à l’Afrique comme un moyen de freiner l’immigration. N’y a-t-il pas, en effet, dans cette phrase de Macron la peur de voir les hordes de pauvresses et pauvres africains faire déborder la Méditerranée de leurs corps engloutis ?

Comme à l’accoutumée dans ce genre de rencontre au sommet, le G20 compte éteindre un feu avec un lance-flammes. Car les vrais responsables du soi-disant « sous-développement » de l’Afrique sont biens tous les Macron au pouvoir ainsi que leur monde : le FMI, la BM, les chefs d’États occidentaux, le G20, le Club de Paris, les gouvernements français successifs…

[1] Pour en savoir plus sur le Club de Paris, voir : Maud Bailly et Claude Quemar, « Carton rouge pour le Club de Paris ! », CADTM, juillet 2016.

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