« 120 Battements par minute », de Robin Campillo

Publié le 26 juillet 2017 sur OSIBouaké.org

Politis, 21 mai 2017 - Un film intense et d’une formidable justesse sur Act Up-Paris au début des années 1990.

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Cela se passe au début des années 1990, avant l’arrivée des trithérapies, quand le sida   provoque une hécatombe dans l’indifférence générale, notamment des pouvoirs publics. Act Up-Paris, association de lutte contre le sida  , créée en 1989, impose ses nouveaux modes d’action, dont le zap, un coup d’éclat dans une réunion officielle avec jets de poches de (faux) sang, comme celui qui ouvre le film. Tous les mardis soirs, c’est la « RH », la réunion hebdomadaire, avec ses modalités de discussion particulières. Un des militants explique son fonctionnement à de nouveaux venus, séquence sans doute didactique, mais le spectateur est un novice, il a besoin d’être affranchi afin de pouvoir entrer dans le cercle.

Car c’est d’abord cela, 120 Battements par minute, présenté en compétition, une plongée dans un mouvement d’activistes en proie à l’urgence imposée par l’absence de traitements adaptés et à la nécessité de secouer les pouvoirs pharmaceutiques, médical, politique… Robin Campillo a choisi le portrait de groupe, avec des personnages qui se détachent : Thomas, le président (Antoine Reinartz), Sophie, l’organisatrice (Adèle Haenel), Sean, le tégneux (Nahuel Pérez Biscayart), Nathan, le débutant (Arnaud Valois)… Le cinéaste raconte un état d’esprit et une méthode. Les scènes de débat, au cours de la RH, sonnent particulièrement juste. N’ayant pas de temps à perdre, les membres de l’association recherchent l’efficacité, ils (se) parlent sans fard. Se retrouvent en commission pour avancer, sont devenus experts des dossiers dont ils sont en charge, c’est-à-dire de leur propre maladie…

Robin Campillo montre le déroulé d’une action à la manière d’un film de genre. On suit l’intrusion spectaculaire au siège d’un grand laboratoire pharmaceutique, avec les poches de sang qui éclatent sur les murs et les bureaux, les flics qui accourent, l’évacuation sans ménagement, et le petit groupe se retrouvant dans le métro après le passage au commissariat, tout sourire, comme des chenapans.

C’est qu’il y a de la verve à Act Up (ce slogan magnifique : « Des molécules pour qu’on s’encule ! »), et de la jeunesse – plans récurrents sur le besoin de danser, que ce soit en boîte ou à la gay pride, de sentir son corps, de le propulser, de montrer comme on a « envie de vivre », et finalement d’en jouir. Act Up est aussi un lieu où les êtres se frôlent, se séduisent, vivent des histoires d’amour. Tout en continuant à tisser la chronique de l’association, le cinéaste resserre le point de vue sur Sean et Nathan, amants et amoureux joyeux. Ils se confient leurs expériences, avec en arrière-plan cette différence essentielle : le premier est séropositif quand le second ne l’est pas. Ils font l’amour, en même temps qu’ils réveillent des souvenirs, tout en évoquant la notion de responsabilité individuelle, quand on contamine ou se laisse contaminer…

120 Battements par minute est ainsi en parfaite symbiose avec ce principe fondateur d’Act Up selon lequel on y fait de la politique à la première personne du singulier. Le film parvient à donner ce sentiment que l’intime et le politique sont mêlés en permanence, de même que le rire et la peur de la mort. Ce n’est pas seulement l’intelligence du cinéaste qui est à l’œuvre, mais aussi son expérience d’ancien militant de l’association. Un œil de l’intérieur, dénué de toute complaisance, et qui ne cède en rien à la tentation de forger une légende.

D’où le poids de la tragédie auquel le film ne peut échapper. C’est une question d’éthique de cinéaste. À quelques décennies d’intervalle, 120 Battements par minute est comme une réponse implacable faite au film de Cyril Collard, Les Nuits fauves, sorti précisément au début des années 1990. Chez Robin Campillo, l’amour n’est certainement pas plus fort que la mort. Il filme une longue séparation progressive entre Sean et Nathan, sans laisser place à aucun romantisme malvenu – même si la dernière scène de sexe est bouleversante. Mais le groupe n’est jamais très loin. Ni la nécessité politique. La fin, de ce point de vue, est absolument splendide.

Reste à se demander comment le film résonne dans notre contexte sociétal et politique. Act Up-Paris, aujourd’hui, a perdu beaucoup de sa superbe, comme d’autres associations ayant pour vocation les luttes minoritaires. Le combat anticapitaliste a repris de la vigueur, et les préoccupations écologiques sont devenues majeures. 120 Battements par minute constitue un indispensable témoignage sur ces années de larmes et de conquêtes. Il peut aussi donner quelques idées sur le courage requis (mot qualifié de « grandiloquent » par un des militants). Cette mémoire-là est nécessaire. Ne serait-ce que pour cela, remercions Robin Campillo de la si grande justesse de son film

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