Un "colonial tour" dans les rues de la capitale

Publié le 15 février 2013 sur OSIBouaké.org

Le Monde.fr | 14.02.2013 -

L’hôtel de la Marine, le siège de la Caisse des dépôts et consignations, le quartier de la Goutte d’Or... Le temps d’une matinée pluvieuse, jeudi 14 février, la première édition du "Colonial tour" s’est écartée des circuits touristiques traditionnels de la capitale. A la manœuvre, sifflet rose autour du cou, Louis-Georges Tin, le président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN).

Pour lancer la huitième édition de la Semaine anticoloniale et antiraciste, il a imaginé ce tour conduisant une vingtaine de journalistes devant des lieux emblématiques et parfois méconnus de l’histoire de l’esclavage et de la colonisation. "Il y a finalement peu de lieux à Paris pour commémorer cette mémoire, explique-t-il. Ce qui manque le plus cruellement, c’est un musée de l’esclavage. Il y a bien le mémorial de Nantes ou une salle dans un musée à Bordeaux, mais ce crime contre l’humanité a ’profité’ à toute la France. Un musée de l’esclavage aurait donc toute sa place à Paris."

Avant de faire monter la petite troupe dans un bus à plateforme des années 1930, Louis-Georges Tin déballe les accessoires qui feront mouche dans le viseur des cameramen. Des casques coloniaux pour les intervenants, du chocolat chaud Banania pour tout le monde. Scotchée sur le bus, l’affiche de la manifestation détourne l’ancien slogan de la poudre chocolatée : "Y a bon colonisation".

Le départ a lieu place des Victoires (1er et 2e arrondissements de Paris), où se réunissait à la fin du XVIIIe siècle la société des colons de Saint-Domingue. "Nous sommes ici au cœur du lobby esclavagiste", souligne l’un des intervenants. Les historiens Pascal Blanchard, Catherine Coquery-Vidrovitch et Gilles Manceron, auteur de Marianne et les colonies (La Découverte), jouent les guides de luxe pour ce tour de la mémoire.

Non loin de là, rue Vivienne, se trouvait le siège de la Compagnie des Indes. Fondée en 1664, la Compagnie était l’un des acteurs du commerce esclavagiste dans l’océan Indien. "Certains bâtiments ici ont une richesse assise sur le sang des esclaves, lance Jacques Boutault, le maire (EELV) du 2e arrondissement. Décoloniser les imaginaires des Français, c’est lutter contre le racisme. Une cause gagnée dans les textes, pas dans la vie de tous les jours."

Le bus s’arrête devant l’Hôtel de la Marine, place de la Concorde. "C’est là qu’était géré le système colonial", signale l’historien Marcel Dorigny. Auteur d’un atlas de l’esclavage, il prépare actuellement un livre sur le Paris colonial. Les journalistes radio et télé se précipitent autour d’Eva Joly, la députée européenne écologiste et ancienne candidate à l’élection présidentielle, qui les attendait sur le trottoir.

Son collègue eurodéputé Jean-Jacob Bicep (EELV) a profité de la matinée pour annoncer qu’il allait rapidement mettre en place une semaine de sensibilisation à la question coloniale au Parlement européen. Avec une dizaine d’autres députés européens, il compte également déposer une "déclaration écrite" en faveur d’une journée européenne consacrée à la colonisation de l’esclavage. "Une première historique", estime Louis-Georges Tin, sans pouvoir prédire si ce texte sera susceptible de recueillir une majorité de signatures de parlementaires.

Devant l’entrée du siège de la Caisse des dépôts et consignations, rue de Lille (7e arrondissement), léger affolement des vigiles devant l’attroupement. "Rendez-nous les 21 milliards de dollars !", lance Patrick Farbiaz, le président de Sortir du colonialisme. La Caisse des dépôts a été retenue dans le circuit car c’est elle qui a encaissé les réparations imposées à Haïti à partir de 1825 en "dédommagement" du préjudice subi par les anciens colons après l’abolition de l’esclavage. Dans cette histoire, pour Jean-Jacob Bicep, "les victimes ont payé une rançon à leur bourreau".

"POLITIQUE DE RÉPARATION"

"Nous voulons que la France s’engage sur une politique de réparation", assène le président du CRAN. Il fait état de "discussions tendues" avec Matignon sur ce sujet et déplore que la réunion interministérielle sur la question des réparations qui devait se tenir avant le 8 novembre 2012 "n’ait toujours pas eu lieu".

"On aurait également pu aller à Vincennes pour se remémorer les expositions coloniales et les zoos humains qui étaient mis en place à Paris pour divertir et raconter les colonies", lance l’historien Pascal Blanchard devant les Invalides. Si les organisateurs ont choisi de stationner devant le monument qui abrite le tombeau de Napoléon Bonaparte, c’est parce qu’"il avait rétabli l’esclavage en 1802", souligne Louis-Georges Tin. "A La Réunion, il y a une expression qui dit : ’Vos héros sont nos bourreaux.’"

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