Les enfants accusés de sorcellerie mettent aussi la société en accusation

Publié le 19 juin 2011 sur OSIBouaké.org

le carnet de Colette Braeckman, 18 juin 2011 - Durant une journée, à l’initiative de la députée Véronique De Keyser le parlement européen s’est penché sur la situation des enfants accusés de sorcellerie. Dans toutes les grandes villes du Congo et d’ailleurs, des milliers d’enfants sont ainsi chassés de leur famille, désignés comme “sorciers” c’est à dire responsables des malheurs de leur famille sur laquelle ils auraient jeté un sort. Certains sont alors confiés à des sectes religieuses qui se chargent de les “guérir” le plus souvent en les maltraitant, d’autres rejoignent des bandes d’enfants des rues…De nombreuses interventions, livrées par , des praticiens de terrain comme Mithe Osumbu, présidente d’”Oser la Vie”, Roger Katembwe travailleur de rue à Kinshasa, Edwin de Boeve, président de “Dynamo Internayional” ont expliqué la stigmatisation dont ces enfants sont victimes, leur imaginaire où se côtoient les mondes visibles et invisibles, tandis qu’un reportage présenté par Elisabeth Burdot a plongé l’assistance dans cet enfer quotidien.Bon nombre d’intervenants ont également mis en évidence le rôle des sectes religieuses, qui font oublier le quotidien au nom d’un au delà imaginaire, et certains ont rappelé que le manque d’éducation, la pauvreté étaient des facteurs aggravants. Mais surtout, il est apparu qu’entre l’Afrique noire et l’Europe, la frontière est bien ténue : ” ces enfants viennent ici, ils se trouvent déjà à Bruxelles” asséna Mithé “et il est urgent d’agir…

Si on aborde souvent les aspects les plus choquants du sort deces enfants et si l’on s’interroge à bon droit sur leurs chances d’avenir, il ne faudrait cependant pas oublier que leur apparition est un phénomène relativement récent, qui s’inscrit dans le délitement général de la société congolaise au début des années 90.

Ce phénomène n’existait pas dans la société traditionnelle ni dans la société coloniale et qui n’est apparu que voici une vingtaine d’années, au début des années 90. Il s’est développé en parallèle à une crise double, sinon triple.

La première, la plus visible des crises fut économico politique : au début des années 90, la RDC alors encore Zaïre, connut une crise de légitimité politique. Mobutu, qui régnait depuis 1965, fut abandonné par les Occidentaux et pour le pousser vers la sortie, le pays fut soumis à des pressions économiques qui achevèrent de le ruiner. Tous les programmes de coopération furent suspendus, l’assistance militaire retirée. Durant la conférence nationale souveraine, en 1991 et 1992, une pression maximale fut exercée sur le président pour qu’il accepte de se retirer du pouvoir ou de le partager. En 1991 et 1993, des pillages menés par des militaires et peut être encouragés par le régime achevèrent de détruire ce qui restait de l’économie informelle : les expatriés fuirent le pays, les investisseurs se détournèrent, le Zaïre plongea dans l’économie informelle. A cette époque, ayant rompu avec les Institutions financières internationales, le pays connaissait une inflation record, l’argent circulait dans des valises, la monnaie était imprimée en Argentine ou en Allemagne et ne valait plus rien.

Cette crise aggrava la situation des familles. Vers la fin des années 80 déjà, les politiques d’ajustement structurel avaient brisé le tissu social et affaibli l’enseignement : plus de 40.000 enseignants avaient été licenciés par le Premier Ministre Kengo au nom de l’austérité ! L’accès à l’enseignement et à la santé était devenu payant, c’est ce que l’on appelait la politique de recouvrement des frais, qui pénalisait directement les plus pauvres, obligés de payer des services autrefois assurés par l’Etat ou les sociétés privées.

Vers la moitié des années 90, le Zaïre n’avait plus d’armée digne de ce nom et capable de défendre ses frontières, l’économie formelle pourvoyeuse d’emplois était anéantie, la société était entrée dans une crise profonde.

Dans ce contexte, pour contrer l’Eglise catholique, qui animait la Conférence nationale souveraine en la personne de Mgr Monsengwo, le conseiller spécial du président Nbanda favorisa le développement des sectes et des églises dites de réveil, venues des Etats Unis et d’Afrique australe. Des églises où les pasteurs étaient payés par les fidèles, où les pasteurs s’employaient à réaliser des miracles et, à défaut à provoquer des situations paroxistiques qui justifiaient leur intervention, payante bien entendu…

C’est alors que des enfants commencèrent à être jetés à la rue, parce que leurs parents ne pouvaient plus ni les nourrir ni les envoyer à l’école, que dans certaines familles on avait du choisir quel gosse désigner pour fréquenter l’école et parce que bien souvent le père, sans travail, avait renoncé à nourrir sa famille…Dans ce contexte de crise économique profonde, les églises fournirent des explications qui au fond soulageaient la mauvaise conscience : si un malheur vous arrive, c’est parce que l’enfant est sorcier, il a jeté un sort sur ses proches et il faut s’en séparer. Ce qui signifie aussi se séparer d’une bouche à nourrir supplémentaire…

La déstabilisation de l’Est du pays accentua la crise.

Tout d’abord à cause de l’afflux de réfugiés hutus, qui s’installèrent au Kivu au lendemain du génocide rwandais en 1994 : leur présence accentua un malaise qui existait déjà entre les communautés et qui avait pour origine des enjeux fonciers et la contestation de la nationalité de citoyens, hutus et tutsis, d’origine rwandaise.

Depuis le début des années 90 déjà, de jeunes Tutsis du Kivu, mal à l’aise, se sentant ostracisés et n’ayant guère de débouchés, s’engagèrent dans les rangs de l’Armée patriotique rwandaise qui recrutait depuis l’Ouganda : ce furent les premiers kagogos, des enfants soldats, pour qui la guerre allait tenir lieu d’école et la violence remplacer les livres de classe.

Lorsqu’en 1996 éclata la première guerre du Congo, l’armée rwandaise, grossie de ces soldats originaires du Kivu, pénétra dans l’Est du Congo, bientôt rejointe par des troupes fraîches, appelées par Laurent Désiré Kabila qui ne se contentait pas d’être le porte parole du mouvement : il avait lançé un appel à l’enrôlement, assurant qu’il lui fallait plus de 100.OOO soldats pour chasser Mobutu. A cette époque, des classes entières s’engagèrent, les jeunes étaient transportés en train ou en camion sur la ligne de front et certains d’entre eux firent à pied la distance séparant la frontière rwandaise de Kinshasa où en mai 1997, ils pénétrèrent en vainqueurs. Leur chef de file était Anselme Masasu, un jeune commandant originaire du Kivu. Mais le triomphe des kagogos fut de courte durée : à Kinshasa, ils furent traités en étrangers, les soldes ne furent pas payées et après quelque temps, ils furent envoyés pres de Kisangani, dans le camp de Kapalata, où à l’insu de Kabila les instructeurs rwandais les laissèrent mourir de faim, car ils étaient peu désireux de laisser à leur allié les moyens d’une certaine autonomie et, à vrai dire, ils préparaient déjà la deuxième guerre destinée à chasser Kabila du pouvoir.

Ces jeunes furent donc trahis et par la suite, ceux qui le pouvaient, dans l’Est du pays, entreprirent de rejoindre les groupes armés. Ils furent des milliers à rejoindre les Mai Mai, des guerriers traditionnels qui utilisaient des armes magiques comme l’eau censée rendre invulnérable. D’autres furent recrutés de force par les divers groupes rebelles, les Hutus rwandais qui avaient pris le contrôle des carrés miniers forcèrent des enfants congolais à travailler pour eux, ou à combattre dans leurs rangs.

Par la suite, des milliers d’enfants du Kivu allaient être recrutés soit par les groupes hutus soit, surtout par les groupes dirigés par le chef tutsi Laurent Nkunda, qui rafla des classes entières, forçant les garçons à le suivre sur la colline et à combattre dans ses rangs.

Aujourd’hui apparaît au Kivu une nouvelle catégorie d’enfants à problèmes, décrits par certains comme une bombe à retardement : les enfants nés du viol. Depuis une quinzaine d’années en effet, les divers groupes armés qui évoluent au Kivu ont pris l’habitude, à la suite des Hutus rwandais, de pratiquer des violences sexuelles. Les Casques bleus ont également été accusés de relations sexuelles avec les Congolaises et d’avoir semé des enfants non reconnus.

L’avortement étant interdit au Congo, et rejeté par la tradition, les femmes victimes du viol gardent généralement leurs enfants, les élèvent, mais paient un prix très lourd : elles sont chassées par leur mari, exclues de leur communauté, les enfants ne fréquentent pas l’école et grandissent en subissant l’ostracisme des communautés. Quel sera leur avenir. Deviendront ils sorciers ou démons ? De l’avis des travailleurs de terrain, leur sort est d’autant plus incertain que non seulement ils sont rejetés par les communautés congolaises, mais qu’en plus les ONG internationales ne s’intéressent pas suffisamment à eux…

Les enfants accusés de sorcellerie, les enfants ayant été recrutés dans les groupes armés, les enfants nés du viol sont avant tout les victimes de guerres absurdes, de crises économiques et politiques qui auraient pu être évitées et leur réalité hypothèquera longtemps encore le relèvement de la société congolaise…

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