« La pression sociale sur le droit à connaître ses origines est forte »

Publié le 8 février 2011 sur OSIBouaké.org

Libération - 28/01/2011 - Interview par Marie-Joelle Gros

Pour Denis Berthiau [1], du centre éthique de l’hôpital Cochin à Paris, la justice aime la « preuve du lien biologique ».

La justice vient de confier la garde d’un enfant né sous X à ses grands-parents biologiques, contre l’avis de la mère. Cette décision remet-elle en cause l’accouchement sous X ?

Non, pas du point de vue du droit. Cette décision de la cour d’appel d’Angers est uniquement motivée par l’intérêt supérieur de l’enfant. A aucun moment elle ne remet en cause la validité de l’accouchement sous X. Mais factuellement, cette décision le contourne. Et ce contournement intervient dans un contexte de questionnement sur l’accouchement sous X. Donc cette décision est une pierre de plus dans l’édifice qui se construit depuis quelques années contre l’accouchement sous X.

Les tribunaux ont-ils tendance à reconnaître de plus en plus les filiations biologiques ?

C’est effectivement une tendance qui remonte aux années 70 et au développement des expertises génétiques. Globalement, les tribunaux reconnaissent la preuve par l’expertise génétique comme le moyen le meilleur pour établir la filiation comme, par exemple, dans les recherches en paternité. Il faut comprendre que le droit aime la vérité, qu’il la cherche et qu’il trouve son contentement dans la preuve du lien biologique. C’est confortable, implacable.

Lors de la révision des lois de bioéthique, qui doit intervenir à l’Assemblée nationale à partir du 8 février, l’anonymat pour les dons de sperme et d’ovocyte sera débattu. Est-ce que cela participe du même mouvement ?

Il existe une forte pression sociale pour faire reconnaître le droit absolu à la connaissance de ses origines. Ce sont les enfants nés sous X qui ont fait avancer cette idée. Et la société met l’accent là-dessus, relayée par la Convention internationale des droits de l’enfant de New York, qui pose un droit de l’enfant à connaître ses origines. Cependant, les choses sont un peu différentes en ce qui concerne l’assistance médicale à la procréation (AMP) : il ne s’agit pas là de chercher à comprendre les circonstances d’un accouchement et pourquoi on a été abandonné. Tout au plus peut-on chercher à savoir pourquoi, à un moment donné, un homme ou une femme a fait don de ses gamètes.

C’est pourtant le débat sur l’accouchement sous X qui a inspiré Roselyne Bachelot dans sa proposition de lever l’anonymat sur le don de gamètes. Qu’en pensez-vous ?

On tente en ce moment de plaquer ce qui existe en matière d’adoption (l’accès réglementé à ses origines, si tant est que la mère l’a autorisé) à l’assistance médicale à la procréation. La proposition de Roselyne Bachelot aligne les deux. C’est logique : si l’on accorde aux uns le droit absolu à la connaissance de leurs origines, comment le refuser aux autres ? On ne peut pas, d’un côté, donner une telle force à la vérité biologique fondée sur le droit d’accès aux origines, et la refuser de l’autre. Faire tenir l’anonymat pour les uns et pas pour les autres. En droit, sur le plan des principes, ce n’est pas tenable.

imprimer

retour au site


[1] Spécialiste du droit de la santé, Denis Berthiau est maître de conférence en droit à l’université Paris-Descartes et chargé de mission au centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin.