Les portes de la tolérance commencent à s’ouvrir pour les gays musulmans

Publié le 5 décembre 2007 sur OSIBouaké.org

Johannesburg, 4 décembre 2007 (Plusnews)

Suhail Abou el Samid paraît calme, mais au fond de lui, il tremble. Il est assis devant une rangée d’oulémas, éminents érudits musulmans, venus de l’Afghanistan jusqu’au Yémen pour assister à la Consultation internationale sur l’Islam et le VIH  /SIDA  , organisée par le Secours islamique (IRW), une association caritative, à Johannesbourg, en Afrique du Sud, la semaine dernière.

Hier, plusieurs d’entre eux ont dénoncé l’homosexualité comme une pratique contraire à l’Islam. Aujourd’hui, M. Abou el Samid a quelque chose à leur dire. « En tant que musulman gay, je ne me sens pas en sécurité, pas aimé et pas respecté, ici », déclare-t-il. « Si je devenais séropositif, la première chose que je perdrais, ce serait ma communauté musulmane. Je ne pourrais pas me tourner vers vous pour avoir votre soutien ».

Dans la salle, la tension est palpable. « J’aimerais que vous ne fassiez pas allusion aux gays en employant les mots [arabes] "shaz" et "luti" - pervers et violeurs - car nous n’en sommes pas », poursuit M. Abou el Samid. Deux hommes en keffiehs, le foulard à carreaux dont se coiffent les hommes dans de nombreux pays musulmans, agitent les bras pour le faire taire, mais le président lui fait un signe de la tête pour l’inciter à poursuivre.

Captivée, l’audience écoute M. Abou el Samid, ressortissant jordanien qui vit au Canada, commettre l’impensable : annoncer publiquement son homosexualité.

Cette consultation révolutionnaire réunissait des leaders de la communauté musulmane, des universitaires, des médecins, des travailleurs d’urgence et des activistes séropositifs, rassemblés pour repenser la position de l’Islam sur la question du VIH   et du sida  . L’un des thèmes clés portait sur la prévention du VIH   chez les groupes vulnérables avec lesquels il est difficile de prendre contact, tels que les travailleuses du sexe, les enfants des rues, les consommateurs de drogues par injection, et les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes.

Jaffer Inamdar, fondateur et responsable de programmes séropositif de la Positive Lives Foundation de Goa, en Inde, a expliqué à IRIN/PlusNews : « Pendant la haute saison, de septembre à avril, il y a beaucoup de sexe, de drogues et d’homosexualité, à Goa, une destination touristique populaire. En employant un langage dur, qui condamne [les gays], on les incite à fuir, à se cacher et à continuer de propager le VIH   ».

Des lois anti-gays

L’homosexualité est interdite et considérée comme un crime dans la plupart des pays musulmans. Six pays officiellement musulmans (l’Iran, la Mauritanie, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Yémen, ainsi que 12 Etats du nord du Nigeria) invoquent la charia - la loi islamique - pour maintenir la peine de mort en cas de rapports homosexuels consensuels, selon l’association de défense des droits humains Amnesty International.

Dans d’autres pays, l’homosexualité est passible d’amendes, de peines d’emprisonnement ou de coups de fouet, qui s’accompagnent d’une stigmatisation sociale et d’accusations portées contre la culture occidentale, qui serait responsable de l’émergence du style de vie homosexuel.

Il était donc peu étonnant que M. Abou el Samid ait peur : « J’ai vu leur regard, leur langage corporel, et de mémoire, je sais qu’une réaction physique peut se produire ». Mais il n’avait rien à craindre. « Par la suite, des femmes voilées, des hommes barbus, les plus religieux, sont venus me voir et se sont excusés d’avoir pu prononcer des paroles offensantes, d’avoir pu me fait sentir mal-aimé ou en danger ».

Chaque geste amical marquait son appartenance à la communauté. « C’est comme cela que nous sommes : notre culture est intime et chaleureuse ; elle repose sur les relations. Quand j’ai annoncé mon homosexualité à ma famille, elle ne m’a pas tourné le dos », a déclaré M. Abou el Samid, soulagé, au journaliste d’IRIN/PlusNews.

Le matin suivant, les oulémas avaient une surprise. Willem van Eekelen, porte-parole de la conférence et responsable des politiques de l’IRW, a lu leur déclaration collective. Selon celle-ci, bien que l’Islam n’accepte pas l’homosexualité, les leaders musulmans s’efforceront de contribuer à créer un environnement dans lequel les homosexuels pourront aborder sans crainte les travailleurs sociaux et recevoir de l’aide pour se protéger contre le sida  .

« C’est la toute première fois que [les participants à] un forum religieux de haut niveau s’expriment [en faveur des gays], les reconnaissent et les acceptent », s’est félicité M. Abou el Samid. « C’est la porte ouverte à des débats avec la communauté musulmane gay et cela permettra également à d’autres musulmans gays de se révéler dans un environnement plus sûr ».

Voir les théologiens des universités d’Egypte et de Syrie, ainsi que des imams - leaders de la communauté musulmane - indiens, soudanais et pakistanais braver l’homophobie musulmane officielle est « sans conteste une grande première », selon le cheikh Aboul Kalam Azad, président du Conseil Masjid (mosquée) pour l’avancement de la communauté, au Bangladesh. « L’homosexualité est un péché, mais nous ne devons pas nous montrer cruels. Ils [les gays] souffrent beaucoup dans le monde musulman ».

M. Inamdar s’est réjoui de cette déclaration. « Il y a beaucoup de gays, dans mon groupe [à Goa]. L’Islam dit que c’est un péché et nous devons suivre les préceptes de l’Islam, mais nous sommes tous humains et nous méritons le respect ».

Contre toute attente, le cheikh soudanais Mohammed Hashim el Hakim, vêtu d’une robe blanche aux ornements dorés et coiffé d’un turban blanc, sa femme, voilée d’un hijab noir, et leur bébé juste derrière lui, s’est révélé un précieux allié dans la lutte pour les droits des homosexuels. Le cheikh el Hakim dirige le Centre de formation et de conseil S-Smart de Khartoum, qui gère également plusieurs programmes de sensibilisation au sida  .

« Avant, j’étais très dur avec les homosexuels et les travailleuses du sexe », a-t-il révélé. « Mais j’ai appris à respecter leur humanité. Je leur conseille de changer, mais s’ils veulent continuer, ils doivent avoir des rapports sexuels sans risque, pour ne pas se faire du mal ou faire du mal à leurs partenaires ».

L’homosexualité, un péché

M. Abou el Samid, coordinateur du programme du Centre de santé Sherbourne de Toronto pour les jeunes nouvellement arrivés et immigrés, avait enduré divers commentaires homophobes au cours de la consultation, qui a duré une semaine. Pas plus tard que la veille, un érudit avait classé l’homosexualité dans la catégorie des péchés à éviter, au même titre que la bestialité et l’adultère.

« Face à la dureté de ces paroles, j’ai eu une réaction passionnée ; il fallait que je fasse quelque chose pour défendre mon identité et ma dignité propres, et celles des autres musulmans gays », a expliqué M. Abou el Samid. Sa décision de s’exprimer a été mûrie au sein du groupe de travail dont il faisait partie dans le cadre de la conférence, composé de musulmans iraniens, kenyans, sud-africains et tanzaniens.

Sabra Desai, psychologue sud-africaine, a appelé à prendre soin de son prochain et à se montrer solidaire, en rappelant les paroles du prophète : « "Si une partie de mon corps fait mal, tout mon corps a mal" ». « Pour moi, cela veut dire que si un membre de ma communauté a mal, nous avons tous mal ».

Puis elle a touché la main de M. Abou el Samid sous la table et lui a tendu le micro.

Lentement, celui-ci a entamé son allocution : « En tant que musulman gay. », et avec chaque mot prononcé, les portes de la tolérance s’ouvraient un peu plus.

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