« La sorcellerie est une maladie », Patrick Nguema Ndong, producteur de l’émission Triangle sur Africa N°1

Analyse de celui qui écoute depuis 20 ans les africains parler de sorcellerie

Publié le 12 mai 2005 sur OSIBouaké.org

mercredi 4 mai 2005, par David Cadasse

Véritable institution au sein d’Africa N°1, Patrick Nguema Ndong est incontestablement l’une des voix les plus célèbres et les plus écoutées sur le continent. A la tête d’une émission ésotérique et mystique à nulle autre pareille depuis 20 ans, il est à 48 ans l’un des grands spécialistes continentaux de l’ésotérisme. Qui est-il ? Comment peut-on expliquer tel ou tel phénomène de l’invisible ? Qu’est-ce qu’un sorcier ? En visite à Paris, Afrik a rencontré le journaliste et érudit franco-gabonais pour une interview forcément trop courte. Passionnant.

La réponse à toutes les questions ésotériques, mystiques ou religieuses. Patrick Nguema Ndong tient depuis 20 ans la plus populaire des émissions de la radio continentale Africa N°1. Sur le plateau de Triangle, c’est avec des marabouts et des tradipraticiens, qu’il décortique et explique, chaque jour aux auditeurs, les différents aspects du mysticisme africain. Titulaire d’un master de littérature comparée et d’études religieuses à l’université d’Indiana aux Etats-Unis, le professeur de lettres franco-gabonais, de passage à Paris, a accordé une interview à Afrik. Il y répond à quelques grandes interrogations sur la spiritualité africaine et présente son livre, à paraître le 17 mai prochain : Rêves de serpent.

Afrik.com : Comment expliquer la longévité et la force d’une émission comme Triangle ? Patrick Nguema Ndong : Je pense que c’est une émission qui met l’Africain en contact avec son autre réalité. C’est-à-dire que dans la culture occidentale, le visible a été développé au maximum. Des choses rationnelles que l’on peut toucher et expliquer. Alors que la culture africaine est une culture qui cache plus qu’elle ne révèle. Pour savoir comment les Européens vivaient avant, il y a des vestiges, des ruines...En Afrique, la forêt détruit tout. Même un village fortifié disparaîtra, « mangé » par les arbres en une centaine d’années. La culture africaine est basée sur la mémoire. C’est la raison pour laquelle beaucoup de cultures négro-africaines sont orales. D’un autre côté, elles s’appuient beaucoup sur le monde invisible, sur l’arrière plan spirituel du monde. Comme mon émission parle de l’occultisme, des forces du passé, ça remet l’Africain moderne en contact avec ses racines. Et c’est peut-être pour cela qu’elle a du succès.

Afrik.com : Comment faut-il justement appeler Triangle. Une émission ésotérique, spirituelle, mystique ? Patrick Nguema Ndong : Elle est peut-être tout en même temps. C’est une émission à caractère spirituel, même si elle est parfois franchement mystique ou psychique. Dans certaines émissions, on ne s’occupe pas de Dieu ou de la religion. Les auditeurs y viennent pour des questions pratiques. Tel marabout est-il fort ? Comment se sortir de telle ou telle situation ? Comment se débarrasser des énergies négatives qu’un sorcier nous a envoyées ? Qu’est ce qu’un fantôme ? Comment s’en débarrasser ? Autant de questions pour rendre palpable l’invisible. Dans l’émission, l’invisible est un postulat de base. Personne n’en doute. Ceux qui l’écoutent ou y interviennent viennent pour expliquer leur problème, découvrir certaines réalités, ou alors pour que je leur explique ce qui peut leur paraître illogique. Parce que dans les forces de l’invisible, il y a une logique qui n’est pas forcément rationnelle.

Afrik.com : Peut-on établir une différence entre les Africains et les Occidentaux, peut-être plus cartésiens, qui ont plus de mal à croire à l’invisible ? Patrick Nguema Ndong : En apparence. J’ai ma mère qui est originaire du Puy-de-Dôme (Auvergne, France, ndlr). Dans la région de ma grand-mère, les gens, à la campagne, sont très croyants. Dans les villages, il y a plein d’histoires de sorcellerie. Si on gratte sous le verni occidental, on retrouve les mêmes croyances qu’en Afrique. Carl Gustave Jung (philosophe et théologien suisse, ndlr) avait mis en évidence qu’il y a de grands archétypes universels qu’on retrouve chez presque tous les peuples.

Afrik.com : Concernant les thèmes de base. Que faut-il entendre par sorcellerie ? Patrick Nguema Ndong : Quand les premiers missionnaires sont arrivés au Gabon et au Cameroun, les autochtones leur ont d’abords dit que la sorcellerie était une maladie. C’est-à-dire qu’un sorcier peut vous infecter et vous transmettre la sorcellerie. La sorcellerie est un fléau, mais aussi, et surtout, un pouvoir. Le sorcier est redouté parce qu’il a un pouvoir (souvent utilisé pour le mal) : celui de la projection. Il est capable de se projeter dans un autre corps ou dans un animal, de vous suivre ou de venir prendre votre énergie vitale. Le sorcier est craint, mais on a également besoin de lui, car c’est aussi le connaissant. C’est la personne qui connaît les plantes. Il peut tuer, mais il peut aussi soigner.

Afrik.com : On lie souvent la sorcellerie à la religion. Mais d’après ce que vous dites, ça ne serait pas le cas, vu que la sorcellerie s’attrape ? Patrick Nguema Ndong : Ce n’est pas du tout lié à la religion. C’est un pouvoir. Dans les régions où les grandes religions monothéistes, comme l’islam et le christianisme, n’ont pas encore pénétré, on trouve des sorciers. Et des sorciers qui ne sont pas non plus liés aux religions animistes africaines. Ni au vaudou, ni au bwiti (religion syncrétique africaine, ndlr) ou autre...

Afrik.com : On a l’impression que le sorcier est toujours mauvais... Patrick Nguema Ndong : Ce n’est pas vrai. Il existe une sorcellerie positive. Les Européens appellent « mage blanc » le contraire du sorcier malfaisant. Celui qui utilise la sorcellerie pour soigner. En Afrique, on dit le marabout ou le tradipraticien. Normalement, le marabout est quelqu’un qui enseigne le coran, mais le mot a été galvaudé en Afrique de l’Ouest. C’est une personne qui a introduit également les produits, les médicaments, les herbes... C’est une sorcellerie, mais qui est liée à des connaissances et qui peut être positive ou négative.

Afrik.com : Pourquoi les sorciers sont souvent malfaisants ? Patrick Nguema Ndong : Si vous voulez faire du mal à quelqu’un dans le monde moderne, on vous voit faire. Si vous tuez quelqu’un par la sorcellerie, on ne vous trouvera jamais. Car ça se passe dans l’invisible. Seul un sorcier ou quelqu’un qui a le don de double-vue peut dire que tel a tué quelqu’un. Beaucoup de sorciers deviennent malfaisants, car ils savent qu’ils ne seront pas vus. Sauf par leurs pairs. Ils peuvent ainsi agir en toute impunité. Les « témoins » sont, par ailleurs, liés par un pacte de silence.

Afrik.com : Comment expliquer le phénomène de la dissociation au profane ? Patrick Nguema Ndong : Nous n’avons pas qu’un corps. Le yoga parle de corps astral, de corps mental, du corps causal... Les yogis font différents exercices, justement pour se servir de leurs différents corps. Ou du moins pour arriver à la conscience. Chaque corps à sa conscience particulière. Notre conscience humaine n’est pas liée au corps. Par exemple, quand nous sommes dans un sommeil profond, le monde n’existe pas... Nous ne sommes même pas conscient de notre existence. Donc la conscience est indépendante du corps, parce que pendant la nuit, elle n’a pas besoin du corps. Où est-elle ? Les gens ne se savent pas. Sauf les sorciers, qui se servent de leurs différents corps consciemment. Dans toutes les cultures chamaniques, en Afrique, chez les Indiens d’Amériques, ou en Asie, on prend en compte que le fait que l’homme peut sortir de leur corps. Il est étonnant qu’on ne s’intéresse pas à ça dans les cultures judéo-chrétiennes. Alors qu’ailleurs c’est la base de tout. L’homme n’est pas seulement le corps physique. Et c’est sur cela que beaucoup se basent pour dire qu’il existe une vie éternelle, puisque qu’on n’a pas besoin du corps pour vivre.

Afrik.com : On entend souvent en Afrique parler de personnes qui se transforment en animaux. Comment peut-on expliquer cela ? Patrick Nguema Ndong : Je n’ai jamais assisté à ce genre de transformation, mais je ne rejette pas le fait que cela puisse exister. Il y a eu des enquêtes au début du XX siècle et une résurgence dans les années 30 avec les Mao Mao (ethnie keyniane, ndlr). On a aussi beaucoup parlé des hommes léopards. Les Aniotos. C’était une secte fétichiste et anthropophage qui tuait des personnes en leur infligeant des blessures avec des griffes métalliques et en accusant les panthères. Ces gens-là faisaient croire qu’ils se transformaient en panthères pour aller tuer, alors qu’ils usaient d’artifices comme la cagoule en peau de panthère et des griffes métalliques. Mais à un tout autre niveau, le vrai sorcier aniota peut projeter sa conscience dans le corps d’une panthère, qu’il peut ainsi téléguider pour aller tuer quelqu’un. Ce principe est connu de tous, d’ailleurs à Libreville (Gabon, ndlr) nombreux sont les gens qui ne veulent pas voir un chat étranger venir dans leur demeure. Parce que le chat peut être la « caméra » d’un sorcier.

Afrik.com : Avez-vous déjà été témoin de ce type de phénomène ? Patrick Nguema Ndong : J’ai effectivement déjà vu des personnes capables de mettre leur conscience dans le corps d’animaux et de voir par leurs yeux ce qu’il se passait ailleurs. Un exemple parmi d’autres : un jour nous allions, avec mon père au village dans le Nord du pays. A sept kilomètres du village, notre 4X4 s’embourbe. Nous étions coincés et la nuit commençait à tomber. On a vu passer un aigle de montagne qui nous a survolés et puis a fait demi-tour. Alors que nous nous demandions comment nous allions faire pour avertir les gens du village, nous les avons vus arriver, envoyés par mon grand-père, qui était réputé pour être un très grand sorcier. Une fois au village, je lui ai demandé comment avait-il fait pour savoir que nous étions embourbés. Il m’a demandé si je n’avais pas vu passer un aigle tout à l’heure. Et il m’a juste dit que c’était lui... Ma grand-mère nous a expliqué qu’il était avec lui dans la cuisine, mais elle m’a certifié qu’il ne bougeait plus et qu’il était comme endormi. Il avait projeté sa conscience dans l’aigle.

Afrik.com : N’est-il pas dangereux de faire une émission mystique et de révéler quelques-uns des secrets de sorciers ? Patrick Nguema Ndong : Il y a toujours des menaces, mais il semble que je sois protégé. J’ai véritablement commencé à m’intéresser aux choses mystiques à l’âge de 13 ans, à la mort de mon grand-père. Avant de mourir, il a chassé tout le monde de la hutte, même mon père, et a dit qu’il ne voulait voir que moi. Il a craché et a mis les mains sur ma tête et il a soufflé dessus. Il m’a également donné un coq et je suis sorti. Je n’ai pas compris ce que ça signifiait, mais les gens du village ont dit : « Pourquoi lui ? ». Beaucoup de vieux sorciers ont peur de moi parce qu’ils disent que je suis « le petit-fils de ». Peut-être que j’ai quelque chose... Il y a des sorciers qui m’ont menacé, mais, quand ils menacent, c’est qu’ils ne sont pas forts. Certains m’ont menacé et ils en sont morts. Sans que je ne fasse quoi que ce soit.

Afrik.com : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas d’émission comme Triangle sur les autres radios, nationales et internationales ? Patrick Nguema Ndong : Il y a les risques. Beaucoup de personnes m’ont dit que c’était parce que j’étais « le petit-fils de » que j’ai pu continuer aussi longtemps, sinon les sorciers m’auraient déjà réduit au silence. Certains ont essayé de m’imiter, mais ils se sont finalement arrêtés parce qu’ils estimaient que ça devenait trop dangereux pour eux.

Afrik.com : On entend souvent dire que des personnes font des sacrifices humains pour conserver ou pour acquérir de la puissance. Est-ce une réalité ? Patrick Nguema Ndong : On a déjà retrouvé quatre corps d’enfants de 13 ou 14 ans, sans les seins, sans le sexe ou sans la langue, depuis le début de l’année sur les seules plages de Libreville. Il y a les élections à la fin de l’année. On note souvent une recrudescence de sacrifices humains au moment de grands rendez-vous électoraux. Et pas qu’au Gabon. Je n’appelle plus cela des religions animistes africaines, mais du satanisme. Car les hommes politiques, somme toute très minoritaires, qui ont recours à ces pratiques, travaillent avec des sorciers qui utilisent les forces du mal.

Afrik.com : L’envoûtement est sans doute l’un des plus célèbres actes de sorcellerie. Pourquoi les gens pratiquent l’envoûtement ? Patrick Nguema Ndong : Pas simplement pour faire du mal. La plupart du temps c’est pour en tirer profit. Et souvent en Afrique, c’est bassement matériel : il s’agit de s’enrichir. On peut ainsi prendre votre richesse, votre santé, votre femme (le détournement de femme est une sorte de drague psychique), votre chance, votre intelligence. Un papa qui est sorcier et qui voit que le fils du voisin est plus brillant que le sien peut faire en sorte de transférer l’intelligence de l’un chez l’autre par un envoûtement.

Afrik.com : Vous êtes devenu musulman, alors que vous aviez reçu une éducation chrétienne. Pourquoi avez-vous décidé de choisir l’islam ? Patrick Nguema Ndong : Même quand j’étais chrétien, je n’ai jamais été vraiment pratiquant. Si j’étais un homme du psychique, je ne m’intéressais pas à Dieu lui-même. Il a fallu que je passe par certaines épreuves pour découvrir ma foi. Je pratique le karaté depuis 1970 et en 2001 mes deux jambes se sont bloquées à cause d’une malformation de mon bassin. On m’a donc mis deux prothèses. Quand j’étais à l’hôpital, avec mon moral en berne, un imam m’a apporté le coran, que j’ai négligé pendant une semaine. Puis j’ai ouvert le livre. J’ai commencé à le lire à 19 heures et j’ai terminé le lendemain à 6 heures du matin. C’est là que j’ai décidé d’être musulman. C’est le seul livre religieux qui m’ait parlé.

Afrik.com : Votre actualité est un livre Rêves de serpent. Pourquoi avoir décidé de faire un tel ouvrage ? Patrick Nguema Ndong : Je fais une émission spéciale tous les vendredis où j’interprète les rêves des auditeurs. J’ai constaté que les rêves qui les inquiétaient le plus les gens étaient ceux qui avaient trait au serpent. Or le serpent a une charge émotionnelle et symbolique très forte dans les cultures négro-africaines. Dans mon livre, j’essaie de montrer l’ambivalence du symbole. Le serpent c’est en même temps le mal, la sorcellerie et la puissance du chef. C’est à la fois ce qui tue et ce qui guérit.

Patrick Nguema Ndong, Rêves de serpent, Ndzé Editions, 2005 (sortie prévue le 17 mai) Visiter le site de Ndzé Editions

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