Les Enfants Perdus de Kinshasa

la vision trés pessimiste d’un photographe qui parcourt l’afrique...

Publié le 2 juillet 2007 sur OSIBouaké.org

Surnommée « Kin la belle », dans ses belles années, la capitale congolaise a été rebaptisé « Kinshasa la poubelle » depuis que la situation économique a atteint des proportions catastrophiques. Les pillages de 1991 et de 1993 ont propulsé le pays dans un gouffre dont il a du mal à sortir. Les perspectives de collaboration avec les Occidentaux offrent de nouveaux espoirs aux dirigeants en place et également à la population spoliée depuis toujours des richesses qui constituent son sol.

La misère ambiante aidant, le nombre d’enfants des rues s’est encore accru. Les familles ont de plus en plus de difficultés financières, les salaires des fonctionnaires publics sont extrêmement bas (aux alentours de 300 francs belges par mois), les denrées restent chères, les transports souffrent d’une grave crise du carburant et le taux de chômage est élevé. Pour tenir le coup, les Congolais tentent de trouver des petits boulots de substitution. Mais les familles sont nombreuses et plus il y a d’enfants, plus il est difficile de les nourrir tous. Les liens entre les parents et les enfants se fragilisent. Les parents ne peuvent assurer leur éducation, ils sont souvent absents pour chercher du travail et abandonnent leur progéniture à son sort. Les enfants fuguent suite à des situations désespérées. Enfants dits sorciers dans certains cas, les parents considèrent les malheurs de la maison comme résultat de l’ensorcellement de leurs enfants. Ygor et Endy, deux enfants du quartier de Selembao, ont dû quitter leur famille. Les parents les ont accusés de sorcellerie : « A la maison, le congélateur est tombé en panne et il y a eu des souris. Puis, une grand-mère est tombée malade. Mon père a dit que c’était de notre faute et que nous étions sorciers. Il nous a amenés chez le pasteur Miller de la Congrégation du Saint- Esprit, une église évangélique. Là, le pasteur nous a délivrés par une cérémonie et nous espérons pouvoir réintégrer la famille ». Les églises évangéliques pullulent. Les pasteurs sont friands de renommée et d’acte de délivrance. Ces maîtres déclarent eux-mêmes des enfants « sorciers » puis les délivrent. Le pasteur Miller prend même certains enfants plus âgés, entre 14 et 18 ans et leur offre de suivre le Seigneur sur les voies du travail dans la ferme dont il est le propriétaire. Ce phénomène est très récent, c’est un moyen de se débarrasser des plus petits sans défense, de les intégrer éventuellement dans une congrégation religieuse où ils trouveront un certain enseignement et une subsistance, voire de les placer dans un des centres tenus par une ONG internationale.

Aucune aide de l’Etat n’existe. Ces enfants s’inventent alors des histoires extraordinaires. Dans un deuxième monde, la nuit, durant leur sommeil, les démons viennent les chercher pour tuer, pour voler, pour détruire des carrières, pour jeter le mauvais sort sur des naissances. Serge, 18 ans, enfant-sorcier depuis 8 mois : « J’ai mangé 800 hommes, je leur fais avoir des accidents, par avion ou voiture, j’ai même été en Belgique, grâce à une sirène qui m’a conduit jusqu’au port d’Anvers. Parfois, je voyage avec un balai, parfois sur une pelure d’avocat. La nuit, j’ai 30 ans et 100 enfants. Mon père a perdu son emploi d’ingénieur à cause de moi, puis, je l’ai tué avec la sirène. J’ai aussi tué ma soeur et mon frère en les enterrant vivants. J’ai aussi tué tous les foetus de ma mère... » Souvent, les enfants dits sorciers sont abandonnés à leur sort et se retrouvent le long du boulevard du 30 juin ou au Grand Marché pour y quémander de l’argent ou y effectuer des menus travaux. C’est la loi de la jungle, les plus forts sont les maîtres des lieux et violentent les plus petits, les spolient de leurs sous. Le manque d’hygiène, les brimades de la police, les viols des très jeunes filles, les bagarres à la lame de rasoir constituent le quotidien de ces enfants. Des marques profondes hantent leur esprit et se cautérisent sur leur peau. Les soi-disant sorciers se mêlent aux fugueurs, aux enfants battus, aux enfants déplacés de guerre, aux enfants soldats déserteurs, aux orphelins, aux filles mères. Christian, enfant déplacé actuellement au Centre Limete de la Croix-Rouge de Belgique : « Je viens du Sud- Kivu, de Bukavu, il y avait la guerre et j’étais à l’école en dehors de la ville. Personne ne pouvait rentrer et mes parents étaient au centre ville. J’ai pisté, et même les Blancs ont fui. Les Rwandais ont attaqué. Les explosifs. Puis j’ai été à Kisangani mais il y avait aussi la guerre puis à Bumba puis Lisala. De cette région d’Equateur, j’ai pris un bateau jusqu’à Kinshasa. »

Le travail des ONG

Des centres EDR (Enfants des rues) accueillent les jeunes de différents âges. Dans ces institutions, souvent religieuses et parfois humanitaires, les jeunes suivent des formations en menuiserie, en maçonnerie, en coupe et couture ou en mécanique. Les éducateurs tentent aussi de replacer les enfants en famille. Ils recherchent les parents ou la famille agrandie africaine pour que l’enfant retrouve un univers de bien-être. Seulement le vécu des enfants des rues rend difficile une réinsertion en famille. En plus d’être considérés comme sorciers et suspectés, ils ont abandonné toute forme de contrainte. Le temps et l’espace ne comptent pas. Qu’il soit minuit ou midi, rien ne les empêche de dormir ou de danser le n’dombolo. Seule règle de vie : la violence. Ils ont forgé leur vie à la force de leurs poings et de leurs bras. Au Grand Marché, ils offrent leur service pour le transport des marchandises des commerçants ou vivent de larcins. Pour les filles, la prostitution permet de gagner de l’argent rapidement. C’est le moyen qu’elles utilisent pour manger et continuer d’exister. Seulement les conditions dans lesquelles elles travaillent ne donnent aucune assurance sur la vie. Beaucoup d’entre elles sont séropositives et ne le savent pas, elles n’ont aucun moyen d’obtenir des soins de santé et de plus le sexe sans préservatif rapporte plus. C’est une situation inextricable que vivent les 15000 phaseurs, le nom des enfants des rues de Kinshasa. L’apport financier et logistique du Nord permettra une aide partielle et résoudra quelques situations mais la globalité du problème restera intacte encore longtemps si aucune solution locale n’est trouvée.

Christophe RIGAUD

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