Mali : Annoncer sa séropositivité à un enfant, un pari souvent gagnant

dans la majorité des cas, les enfants informés de leur séropositivité deviennent acteurs de leur propre santé et ont moins de difficultés à suivre leur traitement

Publié le 23 avril 2007 sur OSIBouaké.org

Bamako, 20 Avril 2007 - Un livre sous le bras, son corps d’adolescente moulé dans un petit ensemble taille basse, Maimouna se rend à l’hôpital Gabriel Touré de Bamako, retrouver le personnel médical qui a décidé il y a trois mois de lui révéler sa séropositivité pour l’aider à mieux vivre son infection.

Auparavant, cette jeune fille de 13 ans, orpheline de père et de mère, tous deux décédés d’infections liées au VIH  /SIDA  , ignorait tout du mal qui la ronge depuis sa naissance, et avoue qu’elle détestait le goût du sirop qu’on la forçait à prendre.

« Je ne le prenais pas souvent, mais maintenant je sais, alors je fais attention », a-t-elle dit.

Maimouna fait partie des enfants séropositifs âgés de six à 14 ans qui sont suivis dans le service de pédiatrie de l’hôpital Gabriel Touré, dans le centre de la capitale malienne, et viennent régulièrement se rencontrer dans une salle aux murs recouverts de personnages de dessins animés, remplies de jeux et où la télévision résonne au rythme des clips du ‘coupé-décalé’ ivoirien.

C’est dans ce service, dans le cadre du programme enfant et VIH  /SIDA   du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), que le projet de renforcement des capacités du service de pédiatrie pour l’amélioration de la prise en charge thérapeutique et nutritionnelle, auquel participe Maimouna, a été initié.

Lancé en décembre 2006 avec le soutien de l’UNICEF, qui a financé la construction de la salle de jeux climatisée et la formation du personnel médical, ce projet a débuté par un volet de prise en charge psychosociale « qui a commencé avec l’annonce du diagnostic aux mères séropositives, puis aux enfants », a expliqué Pierre Robert, responsable du programme enfant et VIH  /SIDA   de l’UNICEF au Mali.

« L’annonce est beaucoup moins dramatique à l’âge de six ans qu’à l’âge de 16 ans, l’adolescence est toujours un passage complique pour l’être humain, on se pose tout un tas de questions », a-t-il dit. « Gérer la découverte de sa séropositivité est alors très douloureux. Je me souviens d’une fille de 14 ans qui nous avait dit ‘mais pourquoi avoir attendu autant de temps avant de me dire ça ?’... »

Avec quelque 1500 enfants séropositifs enregistrés à l’hôpital, dont 600 sous traitement, la mise en place de cette structure correspondait à un besoin pressant, a estimé le docteur Aissatou Coulibaly, chargée de la prise en charge des enfants atteints du VIH  /SIDA   au service pédiatrie.

« Il est nécessaire d’avoir une prise en charge globale pour une réussite totale de la mise sous traitement, et cela passait par une prise en charge psychosociale », a-t-elle dit.

Deux médecins et une aide soignante, rémunérés par l’hôpital, travaillent à plein temps pour ce projet. En moins de trois mois, Maimouna et une vingtaine d’autres enfants y ont apprit leur séropositivité et continuent à se rendre régulièrement aux séances de discussion, organisées en bambara, l’une des langues locales.

« Dire à un enfant qu’il est séropositif c’est terrible, personne ne veut faire cela, mais on se rend compte que si on a le courage de le faire, les résultats peuvent être extraordinaires », a affirmé M. Robert. « Il y a un enfant de sept ans qui ne voulait pas venir avant de savoir qu’il était séropositif, mais maintenant il vient jouer, il aime l’environnement et c’est lui qui va voir son grand frère et qui lui dit ‘‘n’oublie pas’’. »

L’enfant est « en demande de comprendre ce qui se passe dans son corps. Pour la première fois, [il] sait pourquoi il prend des médicaments. Il y a donc une véritable adhésion thérapeutique, il comprend que s’il prend des médicaments il peut rester en bonne santé », a-t-il ajouté.

Grâce à une coopération Sud/Sud, des médecins thérapeutes du Rwanda sont venus partager leur expérience en matière d’annonce du diagnostic à l’enfant.

Lors des séances éducatives, les enfants, assis sur une natte, regardent les 15 fiches imagées que leur montrent les docteurs Isabelle Traoré et Anta Diallo. Il y est question de corps, de CD4 -qui permettent d’évaluer la résistance du système immunitaire- ou encore de médicaments antirétroviraux. Les enfants posent des questions font des remarques, sous le regard attentif des parents ou d’un proche venu suivre la discussion.

Parce qu’ils sont en groupe, les enfants prennent aussi conscience du fait qu’ils ne sont pas seuls infectés par la maladie.

« Il y a alors des liens de solidarité qui se créent entre les groupes de jeunes », a noté M. Robert. « Ils deviennent amis, s’échangent les numéros de téléphones. Ils sont unis par la maladie mais dans le bon sens du terme : ils savent qu’ils peuvent vivre positivement la maladie ».

Une annonce parfois douloureuse

Malgré tout, l’annonce de la séropositivité ne se fait pas toujours sans difficultés : dans 15 pour cent des cas, d’après les statistiques d’autres pays, les enfants réagissent très mal à la nouvelle.

« Quand ce ne sont pas les enfants, ce sont les parents, il y en a qui refusent totalement d’entendre ce que l’on dit, ils disent qu’ils ont peur que l’enfant ne soit pas suffisamment grand pour entendre qu’il a le VIH  /SIDA   », a dit le docteur Diallo.

Le personnel médical tente alors de progresser en douceur dans les discussions pour annoncer le diagnostic.

« Il est très important de prendre le temps d’établir un dialogue de confiance. En raison de la stigmatisation, on trouve des enfants qui ne connaissent même pas la maladie », a expliqué Mme Diallo. « Les mamans ont tendance à cacher les emballages, à les laisser chez le pharmacien ou à les jeter ».

Pour Oumou, la grand-mère de Maimouna, qui a gardé le secret de la maladie de sa petite-fille pendant plus de 12 ans, l’annonce du diagnostic à sa petite-fille a été vécue comme une délivrance, dans un pays où 1,7 pour cent de la population vivent avec le VIH   et où la stigmatisation est énorme.

« Je disais [à Maimouna] qu’elle avait une maladie de sang mais je ne lui en disais pas plus parce que j’avais peur. Ici [au Mali], quand on dit qu’on a le sida  , on en parle mal », a expliqué Oumou. « Ca me soulage de lui avoir dit ce qu’elle avait. J’ai enfin pu lui expliquer que c’est à cause du sida   que ses deux parents sont morts. Avant quand elle me posait des questions, je ne lui disais rien ».

Souvent vécue au départ comme un choc psychologique par les parents, l’annonce du diagnostic permet à terme, grâce au dialogue, de les déculpabiliser, a estimé M. Robert.

« Il n’y a plus de secret, il y a une relation qui se crée entre les parents et les enfants qui n’existait pas avant et les enfants vont vers les parents et disent ‘n’oubliez pas que je dois aller à l’hôpital car je dois prendre mon traitement à 16h’ », a-t-il remarqué.

Ce secret, Maimouna n’est pas encore prête à le partager avec les gens de son entourage. « Je sais que j’ai le VIH  , mais je n’en parle pas à mes amis, il n’y a que ma grand-mère qui sait et je n’en parle qu’ici [à l’hôpital] », a-t-elle avoué.

En attendant de documenter l’expérience du service de pédiatrie de l’hôpital Gabriel Touré, de créer des modèles et de les partager avec d’autres pays de la sous-région, « les enfants peuvent se comporter comme des enfants pendant quelques heures et rigoler », a conclu M. Robert.

« C’est extraordinaire et ça change tout », a-t-il dit. « Il y a un potentiel pour créer toute une nouvelle génération de personnes séropositives qui ne vivront pas du tout le sida   comme leurs parents l’ont vécu ».

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