"Les petits enfants soldats", un film de François Margolin

un article de rfo à l’occasion de la diffusion du film « Les petits soldats », Samedi 17 février à 13h30 sur France Ô

Publié le 14 février 2007 sur OSIBouaké.org

Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) évalue à près de 300 000 le nombre d’enfants enrôlés dans des unités de combats. Ces jeunes, parfois âgés d’à peine sept ans, ont en commun le fait d’être nés pauvres dans des zones ravagées par la violence. Ils sont souvent amenés à commettre des atrocités qui hypothèquent leurs chances de réintégration à leur communauté d’origine.

A ne pas manquer sur France Ô : « Les petits soldats », Samedi 17 février à 13h30 Réalisation : François Margolin Production : Arte France / Les Films du rêve (année 2004)

Arrachés à l’enfance

Depuis 2001, l’organisation Human Rights Watch a enregistré la participation d’enfants dans au moins 33 conflits armés, récents ou en cours sur la planète. De la Colombie à la Birmanie en passant par l’Irlande du Nord, la Tchétchénie, l’Afghanistan, l’Irak, la Sierra-Léone, le Libéria et le Sri-Lanka, aucune région du monde n’est épargnée. En effet, si l’Afrique concentre beaucoup l’attention des médias, on constate que l’enrôlement de très jeunes enfants est aussi monnaie courante en Asie et au Moyen-Orient, notamment en Birmanie où près de 77 000 enfants sont enrôlés dans les troupes gouvernementales. Les conditions d’enrôlement dans les troupes paramilitaires ou gouvernementales divergent selon les régions et le type de troubles qu’elles connaissent. A la sortie des écoles, comme c’est actuellement le cas en Birmanie, ou aux abords des camps de réfugiés dans les régions où les populations de déplacés abondent, les enlèvements et les enrôlements forcés sont les moyens les plus courants de recrutement.

Le groupe armé comme seul repère social

Le recrutement forcé ne révèle qu’une partie de la réalité. Certains jeunes s’enrôlent « volontairement » pour échapper aux dangers auxquels ils sont exposés dans ces régions troublées. Témoins de massacres, faisant partie d’un groupe persécuté ou simplement dépourvus d’alternatives de survie, ils s’engagent quelquefois pour être soutenus par le groupe, par désir de vengeance ou par « patriotisme ». Les enfants sont systématiquement coupés, tant physiquement que psychologiquement de leur foyer et de leur ancienne vie. L’obligation de commettre des atrocités dans leur propre communauté, voire contre les membres de leur famille, fait partie de ce processus d’isolement. « Ils sont désensibilisés à la violence et, pire, se sociabilisent à travers elle », relève l’Unicef (Rapport sur la situation des enfants soldats, juin 2004). Ainsi, irrévocablement coupés de leur environnement d’origine, leur seul référent affectif et pédagogique est leur bourreau/recruteur qui les punit, les nourrit et les protège. Une fois dépouillés de leur identité antérieure, les jeunes soldats sont projetés dans une réalité qui achève de leur arracher toute référence à l’enfance, maintenus dans une transe par l’administration quasi systématique d’alcool ou de drogues. Un nouveau projet, politique, religieux ou simplement criminel leur est imposé comme horizon ultime de vie. Les témoignages des pensionnaires de l’Institut J. Bosco du Libéria sont édifiants. Certains avouent n’avoir même jamais envisagé la fin de la guerre.

La violence comme mode de vie

Les groupes armés qui les recueillent se donnent souvent des titres flatteurs embaumant la violence de leur combat dans des idées de « défense et de libération du peuple ». Le groupe se substitue à la famille et dans cette nouvelle fratrie, les enfants sont valorisés selon leur fait d’arme. Ainsi, la recomposition de la personnalité de ces jeunes s’articule autour de l’exaltation de la violence. Ils sont encadrés de près et maintenus dans une occupation constante (dans les camps, toujours affairés à une tâche, à se former ou à festoyer), ils sont habitués à observer, à endurer et infliger la violence jusque dans ses formes les plus crues. Les enfants soldats d’une faction au Libéria étaient notamment initiés au cannibalisme et à la mutilation de leurs victimes. La vulnérabilité et la docilité de leur jeune âge se prête à cette transformation. Le directeur de l’Institut Jean Bosco à Monrovia explique : « Ils veulent vivre des aventures. Les généraux n’ont pas trop de problèmes. A un enfant, on donne à manger, des ordres, et il file se battre. Un adulte posera plus de conditions. » Même si leur force physique n’est pas comparable à celle d’un soldat adulte, leur malléabilité et leur obéissance en font de « bons » soldats. Si les enfants finissent par se voir comme des acteurs de premier plan, ils sont largement instrumentalisés : soldats, espions, cuisiniers, porteurs, messagers, domestiques, esclaves sexuels, les jeunes recrues sont envoyées dans des missions-suicides ou en détecteur vivant de mines précédant les soldats adultes. Ils sont éveillés précocement à une sexualité prédatrice par le viol.

Bourreau et victime, difficile réinsertion

Habitués à tout obtenir par la violence, leur réinsertion ne peut se faire sans passer par une période de réhabilitation. Or, les missions des diverses ONG ne peuvent être présentes dans toutes les zones de conflits. Les filles sont particulièrement difficiles à démobiliser parce qu’elles ont souvent été « mariées » de force aux chefs de guerre. Le nombre d’enfants démobilisés pris en charge dans des missions de réinsertion ne représente environ qu’un tiers des enfants laissés pour compte à la fin des conflits. Ce chiffre semble dérisoire si l’on considère le risque de récidive de ces groupes stigmatisés et considérés comme des parias dans leur communauté. Le risque de retourner vers les armes est très important si aucune alternative ne leur est proposée.

Conflits armés et trafics d’armes

L’image du jeune garçon armé d’une Kalachnikov plus grande que lui témoigne d’une réalité bien triste. Avec les Mi-16, ce type d’arme d’assaut légère est la moins réglementée. De plus, un fusil d’assaut AK-47 (Kalachnikov) coûte aussi peu qu’un poulet en Ouganda ou qu’un sac de maïs au Mozambique, selon l’Unicef. Cette organisation a participé avec des ONG à l’élaboration d’un programme d’action axé sur les enfants, dans le cadre du Réseau d’action international contre les armes légères (IANSA), qui met en contact plus de 300 ONG du monde entier pour entreprendre des activités de mobilisation. La participation de l’Unicef a encouragé de nombreuses ONG à tenir compte des enfants dans leurs programmes. De nombreux pays signataires de traités prônant la défense des enfants se font pourtant complices de ces situations de violence en fermant les yeux sur la destination des armes légères. Les Etats-Unis, qui ont déboursé près de 1,77 milliard de dollars pour contourner le Traité interdisant les mines anti-personnel, et la Russie, nation mère de la Kalachnikov, sont parmi les Etats engrangeant le plus de bénéfices de la vente d’armes légères de poing. Les lobbies armuriers, soutenus par les ministères de Défense nationale, ne se sont jamais inquiétés des désastres causés dans les régions du tiers-monde en guerre, mais aussi dans les quartiers défavorisés des grandes capitales. En effet, si les projecteurs se concentrent sur les contextes de guerre, la question des enfants armés en situation de conflit est bien plus complexe. Selon Philippe Chapleau, spécialiste du mercenariat et des milices pour le quotidien français Ouest-France, le nombre d’enfants entraînés dans la tourmente des conflits armés dans le monde pourrait s’élever à 500 000 en incluant les enfants des « gangs juvéniles ». Cependant, la plupart des textes réglementant l’utilisation d’enfants dans des conflits armés se limitent aux seules régions relevant de grands mouvements de troupes, excluant les ghettos américains, les favélas brésiliennes ou d’autres quartiers défavorisés tel le bidonville de Cité-Soleil en Haïti.

Limites des réglementations

Ceci n’est pas la seule limite des réglementations sur la protection de l’enfance. En 1997, un traité non contraignant a été élaboré après le choc des consciences suscité par les images macabres des atrocités subies et perpétrées par des groupes d’enfants au Sierra Leone, au Libéria et au Rwanda. Pourtant, de nombreux pays signataires du Protocole du Cap n’appliquent pas les restrictions d’âge proposées pour l’enrôlement. L’exemple le plus marquant de la non application de ce texte est celui de l’Angleterre qui a reconnu avoir envoyé 15 mineurs combattre en Irak en juin 2003, malgré sa ratification du dit Protocole du Cap. L’utilisation de jeunes de moins de 18 ans n’est d’ailleurs pas étrangère aux démocraties européennes. Le terme même d’infanterie, qui désigne les divisions militaires devant marcher à pied, dérive de l’italien infante (« enfant » ou « celui qui ne peut pas parler »). En France notamment, les premières législations limitant l’âge de l’enrôlement à 15 ans datent de la Convention de Genève de 1949. Ce n’est qu’en 1990 que la France a fixé la limite de l’enrôlement à 18 ans en signant la Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989. Autre paradoxe qu’il convient de souligner, le soutien économique, militaire et logistique de certains pays du Nord à des régimes ou formations armées dont la stratégie implique l’utilisation d’enfants soldats, notamment en facilitant l’accès aux armes légères du type AK 47 et Mi-16.

Pénalisation

Alors que le premier procès a été engagé en janvier dernier par la Cour pénale internationale (CPI  ) contre le recruteur d’enfants congolais Thomas Lubanga, 58 Etats se sont engagés à tout mettre en œuvre pour empêcher leur enrôlement, faciliter leur réinsertion et « lutter contre l’impunité » des recruteurs lors de la Conférence de Paris des 5 et 6 février 2007. Mais, si la mobilisation internationale semble prendre le problème à bras le corps, de nombreuses questions restent posées, comme l’a souligné, entre autres, la ministre béninoise des Affaires étrangères Mariam Aladji Boni Diallo. Cette militante de la première heure préconise une requalification de l’enrôlement des mineurs comme crime contre l’humanité plutôt que crime de guerre, ainsi que l’interdiction de juger ces enfants/bourreaux comme responsables de leurs actes, aussi abominables qu’ils aient pu être.

Angèle Thomar, le 12 février 2007

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