Soudan : Faire face à la stigmatisation dans le nord conservateur

Publié le 18 novembre 2006 sur OSIBouaké.org

Khartoum, 10 novembre 2006 (PLUSNEWS)

Il y a neuf ans, alors qu’il travaillait en Libye, le professeur soudanais Jalal Mohamed a commencé à perdre appétit et énergie. Comme il avait subi avant son départ les examens médicaux requis pour aller travailler à l’étranger, les médecins libyens ont pensé qu’il avait simplement le mal du pays.

C’est après son retour au Soudan que Jalal Mohamed a appris qu’il ne souffrait pas d’une crise aigue de nostalgie, mais qu’il avait été contaminé par le VIH  /SIDA  . Sa femme a décidé de rester avec lui et de le soutenir, après qu’il ait pu lui prouver qu’il avait contracté le virus au cours d’une intervention chirurgicale.

Aujourd’hui, âgé de 69 ans, Jalal Mohamed est un homme amaigri, mais plein d’entrain et fier de ses connaissances en matière de VIH  /SIDA  .

« Je suis monsieur VIH   », a-t-il déclaré. « Les personnes contaminées sont de vrais professionnels, vous ne pouvez rien leur apprendre, elles savent tout sur le VIH  /SIDA  . »

Bien que, comme beaucoup d’autres Soudanais séropositifs, Jalal Mohamed ait été la cible de grand nombre de préjugés, il parle de la maladie avec une quiétude presque troublante.

« J’ai toujours mon certificat de décès sur moi », a-t-il dit sur un ton amical, en se tapotant la cuisse. « Je n’ai pas peur de la mort, tout le monde meurt un jour ou l’autre. »

Jalal Mohamed se rend régulièrement jusqu’au vieux bâtiment de l’Association pour la prise en charge des personnes soudanaises vivant avec le VIH  /SIDA  , situé dans une banlieue poussiéreuse, à proximité de Khartoum, la capitale.

La plupart des 50 membres réguliers de l’association sont présents lors des « séances de sensibilisation », des conversations autour d’une tasse de thé dans la cour du bâtiment.

Les sujets qui font débat ne manquent pas, mais lorsque la conversation porte sur le VIH  /SIDA  , les membres de l’association sont unanimes.

Tous soulignent que la stigmatisation qui entoure le VIH  /SIDA   est plus forte dans le nord du pays, à majorité musulmane, que dans le sud, animiste et chrétien.

« Pour les musulmans, avoir des relations sexuelles en dehors du mariage revient à commettre un péché », a expliqué un vieil, qui a requis l’anonymat par crainte de perdre son emploi.

« Les musulmans affirment que le sida   n’existe pas dans le nord, et qu’il existe uniquement dans le sud », a ajouté Badr El Din, un musulman d’âge mûr, le regard caché derrière des lunettes noires.

L’association a vu le jour en 2000, alors qu’une vaste campagne de sensibilisation au VIH  /SIDA   menée en Afrique de l’Est a contraint le gouvernement soudanais à finalement reconnaître la menace croissante que représente le VIH  .

Selon les estimations du Programme commun des Nations unies sur le VIH  /SIDA   (Onusida  ), en 2003, le taux de prévalence du VIH  /SIDA   parmi la population adulte soudanaise s’établissait à 1,6 pour cent.

Quelque 320 000 personnes âgées entre 15 et 49 ans étaient porteuses du virus et 34 000 autres avaient succombé à des maladies liées au sida  .

Bien que des informations sur le VIH  /SIDA   soient disponibles au sein des écoles et diffusées par les media, les personnes séropositives souffrent toujours autant de stigmatisation.

« Mon épouse m’a quitté », a confié Faisal Hassan Mohamed. « Je lui faisait peur », a-t-il poursuivi après une longue pause.

Faisal Hassan Mohamed est pratiquement sûr que c’est l’une de ses anciennes amies d’Erythrée qui lui a transmis le virus. Mais la plupart des membres de l’association préfèrent éviter de parler de la manière dont ils ont contracté le virus et rares sont ceux qui avouent avoir été contaminés par voie sexuelle.

Sabir Ibrahim, un jeune homme de 28 ans, a confié qu’il avait certainement contracté le virus alors qu’il servait l’armée soudanaise. Il a également reconnu avoir eu des relations sexuelles en dehors du mariage.

Sa femme, âgée de 18 ans, est elle aussi séropositive. Par crainte de ne plus jamais retrouver un emploi, Sabir Ibrahim préfère mentir sur la façon dont il a été contaminé.

Les autres membres de l’association vivent des expériences semblables. En effet, alors que tous travaillaient avant d’apprendre leur séropositivité, rares sont ceux qui aujourd’hui ont un emploi.

Florence travaillait à l’université quand elle a subi un test de dépistage du sida   et a été « licenciée » trois mois plus tard. Elle a été contaminée par son mari qui a eu des rapports sexuels avec une autre femme.

A Khartoum, la stigmatisation qui entoure le VIH  /SIDA   est si forte que les personnes contaminées se tournent rarement vers les autres pour partager leurs inquiétudes. Toutes vivent dans la crainte d’être jugées par les personnes séronégatives.

Bikela Khair, un réfugié éthiopien, vit au Soudan depuis 1981. Il a perdu son travail comme chauffeur après être tombé malade, et il a affirmé ne pas avoir peur de la mort, car « avec ou sans le sida  , tout le monde mourra un jour ».

Pour Bikela Khair, il y a quelque chose de bien plus effrayant que la mort. « Si je révèle à mon entourage que je suis séropositif, demain plus personne ne me dira bonjour », a-t-il dit.

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