Pour le droit des peuples à vivre et à se soigner

Une loi votée en Inde met en péril la vie de millions de malades vivant dans les pays pauvres

Publié le 19 avril 2005 sur OSIBouaké.org

Depuis février 2004, nous avons participé à la mobilisation internationale pour défendre la production de certains ARV   (dits de deuxième génération) en génériques. Cette mobilisation a consisté à faire pression sur l’Inde, principal producteur de ces médicaments, dont le parlement s’apprêtait à voter une loi restreignant fortement leur production et leur exportation. Je vais tenter de vous résumer les enjeux de cette mobilisation ainsi que son issue temporaire.

Actuellement et malgré des avancées, les ARV   brevetés et produits par les grands laboratoires pharmaceutiques internationaux sont encore beaucoup trop chers pour être accessibles à l’immense masse des malades vivants dans les pays du Sud (90% des malades du sida  ). Des intérêts contradictoires sont en lutte depuis des années : d’un côté le droit des peuples à vivre et à se soigner, représentés par la mobilisation d’activistes à travers le monde, contre les intérêts économiques des labos, multinationales essentiellement américaines. Sur cette scène très dominées par les intérêts commerciaux, les activistes ont pourtant arraché quelques victoires (conflit Laboratoires/Afrique du Sud en mars 2001, conflit Etats-Unis/Brésil en juin 2001). Les accords internationaux ADPIC de l’OMC encadrant la propriété intellectuelle ont fait l’objet de grandes mobilisations antérieures de la part des activistes pour essayer de « sauver les meubles » et tenter de préserver le droit d’accès aux traitements pour les plus pauvres. Une véritable perspective pour cet accès aux soins est incarnée par la possibilité de produire en grande quantité des médicaments génériques, aussi efficaces et considérablement moins chers. C’est cette possibilité qui constitue une véritable « épine dans le pied » du commerce international.

Pour favoriser un large accès aux traitements de leurs malades du sida  , la plupart des pays pauvres importent des ARV   génériques qu’ils ne peuvent pas produire eux-mêmes ; ils sont 200 pays à acheter leurs génériques en Inde, premier producteur mondial.

Du fait de son adhésion à l’OMC, l’Inde était tenue depuis le 1er janvier 2005, de se mettre en conformité avec ses règles de propriété intellectuelle. Dans ce cadre contraignant, il existait cependant une marge de manœuvre rendant possible à ce pays la poursuite de production et d’exportation des versions génériques de médicaments brevetés. Et pourtant, dans un excès de zèle, le gouvernement indien a souhaité soumettre à son parlement le vote d’une loi bien plus zélée que ne l’exigeaient les accords ADPIC. Cette ordonnance n’a pas tardé à alarmer les malades et les associations indiennes, et l’inquiétude s’est rapidement étendue auprès de l’ensemble de la communauté VIH  .

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Zap devant le consulat de l’Inde à Paris
le 26 février 2005, journée mondiale d’action contre l’ordonnance indienne sur les génériques
Le 26 février 2005, de nombreuses organisations (en France : MSF  , ACT UP, Solidarité Sida  , Sidaction, OSI), mais aussi des centaines de malades et d’autres ONG ont manifesté partout à travers le monde devant les consulats et ambassades de l’Inde, y compris en Afrique et dans les autres pays pauvres, pour faire pression sur le parlement indien et qu’il renonce à ce projet.

Cette mobilisation n’aura donc pas suffit. Les compagnies pharmaceutiques de marques et leurs alliés sont bien parvenues à retirer de leur pied cette épine qu’était l’industrie générique indienne. Le parlement indien a finalement adopté le 23 mars 2005 une loi qui, bien que légèrement aménagée, reste un sérieux revers pour les malades et fait définitivement reculer le droit de se soigner pour les plus pauvres.

Parmi ces aménagements, nous notons :

  • Tous les médicaments génériques déjà fabriqués et commercialisés par les laboratoires indiens pourront continuer d’être produits, mais le génériqueur devra payer des « royalties raisonnables » au détenteur du brevet (royalties dont le montant n’est pas encore précisé) ;
  • Le droit du public de contester les demandes de brevet sur les médicaments a été réintroduit dans la version votée de la nouvelle loi, ce qui permettra aux ONG et aux activistes de contester des demandes de brevet (quel sera le poids d’une telle contestation ?) ;
  • Autre changement, les pays désireux d’importer des génériques indiens ne seront pas obligés d’obtenir une licence obligatoire auprès du détenteur des brevets correspondants. C’est une mesure importante pour les pays les plus pauvres qui n’appliquent pas les règles de la propriété intellectuelle sur les médicaments.

Mais aujourd’hui, les perspectives à moyen et long terme sont très inquiétantes et menacent très sérieusement l’accès aux soins à l’échelle mondiale. La possibilité de produire une version générique de tous les nouveaux ARV   de marque est maintenant très réduite : ils ne pourront pas avoir de copies génériques avant une durée de 3 ans après le dépôt du brevet en Inde. Ainsi, un nouveau médicament mis sur le marché en 2006 en Europe ne pourra pas être copié par l’industrie générique indienne avant 2009... Les inégalités entre le Nord et le Sud ne font donc que se creuser.

Aujourd’hui, notre grand espoir repose maintenant sur le Brésil, gros producteur de génériques, dont le président Lula semble disposé à entrer activement sur la scène. En effet, depuis la conférence mondiale sur le Sida   de Bangkok en juillet 2004, le gouvernement du Brésil, seul pays en mesure de produire à grande échelle des copies de médicaments de 2ème génération, s’est allié avec ceux de la Thaïlande, la Chine, le Nigeria, l’Ukraine et la Russie, pour promouvoir les médicaments à bas prix. Le président Lula s’est d’ailleurs rendu la semaine dernière en Afrique : au Cameroun, il a annoncé la réouverture de l’ambassade du Brésil, et au Sénégal, où les 2 pays se sont engagés à collaborer pour produire des génériques. Nous souhaitons y voir le signe d’une volonté de développer une résistance Sud-Sud aux pressions économiques de la globalisation libérale.

Le problème de l’accès aux soins dans les pays pauvres est directement perceptible dans notre pays à travers la multiplication des expulsions de notre territoire de malades du sida   ayant tout quitté dans l’espoir d’accéder ici à des soins dans les mêmes conditions que les malades du Nord. Les pouvoirs publics « justifient » souvent ces expulsions en invoquant la possibilité théorique d’accéder à des traitements ARV   dans les pays d’origine. La question du prix est alors cruciale...

A un autre niveau, l’OMS   ne cesse de tirer la sonnette d’alarme et de rappeller à l’ordre la France qui n’honore aucun de ses engagements malgré les discours publics de Jacques Chirac. Le programme « 3x5 » qui a pour ambition de mettre sous ARV   3 millions de malades du sida   dans le monde d’ici la fin 2005 n’a pas récolté tout l’argent promis. A l’heure actuelle, et malgré l’engagement financier de Tony Blair dans ce projet, les financements accordés par les pays riches sont 2 milliards de dollars en deçà des montants nécessaires pour mettre le programme en application. Ce constat de carence est le même du côté du Fond Mondial sida  -tuberculose-paludisme imaginé par Chirac en 1997 et qui voit ses ressources stagner, avec seulement 1,3 milliards par an. Et ce, alors que le Président français s’était engagé publiquement lors du G8 en 2001, à ce que « le Fonds mondial atteigne rapidement la masse critique de 10 milliards de dollars ».

J’ai tenté dans ce texte de résumé les grandes lignes de l’actualité de l’accès aux soins dans les pays pauvres. J’ai voulu en pointer les contradictions entre les discours politiques, les exigences commerciales concrètes, et les conséquences de cette incurie dans la vie réelle des personnes atteintes. Pour cela, je me suis appuyée sur l’abondante production textuelle de MSF   et d’ACT UP Paris   (Commission Nord-Sud), acteurs dont l’engagement de la première heure n’a jamais faiblit et qui ont développé depuis longtemps une expertise indispensable dans le domaine du droit international et des brevets.

Si le sujet vous intéresse, je vous encourage à prendre directement contact avec moi pour des échanges d’informations beaucoup plus précises, et afin que je puisse vous contacter également lors des prochains épisodes. Je remercie tous les membres de OSI qui se sont impliqués d’une façon ou d’une autre à nos côtés pendant ces dernières semaines, tant d’un point de vue politique que logistique.

Nous restons mobilisés et vigilants, les combats sont bien loin d’être gagnés.

Paris, le 12 avril 2005

Sandrine DEKENS

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