La Géographie du danger

"Écrire pour chasser le spectre des tyrannies, c’est bien sûr une utopie, mais quel est le rôle de la littérature si ce n’est de fortifier les utopies " hamid skif

Publié le 29 septembre 2006 sur OSIBouaké.org

"Ils sont entrés pistolets au poing après avoir fracassé la porte fenêtre donnant sur le jardin. Ils se sont jetés sur moi. Je n’ai pu esquisser le moindre geste. Nicole a hurlé, a pleuré, s’est étouffée dans ses sanglots. Ils l’ont traînée par les cheveux dans la cuisine en la traitant de tous les noms. J’ai crié, donné des coups de pied. Ils m’ont ligoté et jeté dans le fourgon en ahanant. J’ai entendu une dernière fois Nicole les insulter. Ils l’ont giflée. Le fourgon a démarré. Au loin, j’ai cru voir la silhouette de Michel se profiler dans le clair-obscur. Etait-ce lui ? Peu importe. Je savais que j’etais en sursis. Les beaux-parents de Nicole avaient appelé. Ils étaient affolés. Ce soir ou demain, on retrouvera mon cadavre jeté sur le ballast, un cahier déchiré dans la main et un sourire, juste un sourire sur les lèvres pour dire que j’ai vécu pour quelque chose, que je n’ai pas vécu pour rien dans le froid de ce pays qui, s’il a tué mon corps, a donne des ailes à mon âme. Ne me pleurez pas et ne m’oubliez pas. Je m’installerai à vos portes, je veillerai sur vos rêves, je m’agripperai à vos basques, car j’ai le sourire arrogant des chiens qui flairent la peur des autres et en vivent une vie entière, pensionnés de la lâcheté.

Je ne suis plus ni squelette, ni omme, ni hombre et je mets le "h" la où il faut pour qu’il fasse de l’ombre un homme et de l’homme son ombre, car les chiens, voyez-vous, ont plus de place dans vos coeurs que nous, les pépites d’humains, les crassiers de l’Europe et d’un monde riche à se crever le foie de ses meurtrières bombances. Vous nous bombardez de cette aisance qui coule de l’écran et vous voulez qu’on reste là, retraités dés 1’enfance, assis sur nos culs à crever de soif et de faim, à quelques kilomètres de votre mangeoire, et vous nous fermez vos portes et vous nous interdisez d’entrer dans votre chenil et vous bâtissez des murs, mais on vous fait la nique. On niquera tous les murs. Il n’y a rien de plus humain que de niquer la bêtise. Et si vous trouvez dans mon cadavre des vers blancs, prenez-en soin. Ils seront bientot chenilles et papillons. Ils se transformeront en mille monstres qui hanteront le ciel à la recherche de nos âmes, nous, les abandonnés sur la grève, nous que rejettent les flots par dizaines et bientôt par centaines, mouillés de sanglots, gelés par le manque d’amour, affamés de pitié. Notre armée est de l’autre côté du rivage, prête à toutes les audaces, et chaque nuit, un détachement vous épuisera a dénombrer ses soldats morts, à les identifier et à les enterrer ou les repousser avant que ne survienne le second detachement, puis le troisième, et ainsi de suite jusqu’a ce que vous soyez submergés, que vous n’en puissiez plus, car c’est vous qui préférez soutenir ceux qui nous sucent le sang au lieu de nous aider, nous autres, à mettre bas leur tyrannie. « C’est trop simple à dire », clamez-vous dans vos discours amidonnés de mensonges, mais c’est fini, on ne vous croit plus, on ne vous croira plus. Vous êtes les complices des assassins. Je rentre chez moi ce soir. Je me jetterai du train..."

hamid skif

La géographie du danger aux éditions naïve

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