RDC : Diamants, enfants et sorcellerie

Décidément les richesses naturelles coutent cher à l’Afrique...

Publié le 23 juillet 2006 sur OSIBouaké.org

Premier produit d’exportation de la République démocratique du Congo (RDC), les diamants, proviennent généralement des riches gisements de la province du Kasai Oriental (Centre). Mais ironie du sort, les habitants de cette province comptent parmi les plus pauvres de la RDC et les diamants exploités dans la région semblent être un réel facteur de désintégration sociale.

L’essentiel du travail d’extraction est réalisé par des enfants et beaucoup perdent la vie dans les mines de diamants à la suite d’accident ou à cause de violences liées à ces pierres précieuses. Mais dans cette province de la RDC, la méfiance entre les habitants alimente des superstitions et selon des rumeurs tout aussi étranges que terribles, des milliers d’enfants seraient accusés de sorcellerie.

Muambulia Bantu (en langue Luba) se trouve à environ vingt Kms à l’est de Mbuji Mayi, la capitale de la province. Cette vallée fertile et verdoyante est entourée de collines, mais cette beauté masque bien des dangers. Des excavations de près vingt-huit mètres de profondeur sont creusées un peu partout dans le sol et seules les personnes de petite taille peuvent s’y mouvoir facilement.

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Un enfant est descendu au fond d’une mine de diamants à Muambulia Bantu près de Mbuji Mayi. L’essentiel du travail d’extraction est réalisé par des enfants et beaucoup perdent la vie dans les mines de diamants à la suite d’accident ou à cause de violences liées à ces pierres précisieuses.

Le jeune garçon descendu dans le puits s’appelle Punda Lione. « Il fait noir là-dedans », lance-t-il. A cette profondeur, la lumière du jour est à peine perceptible.

Il est midi ; Punda Lione travaille depuis sept heures. Un adulte l’emploie pour creuser la terre et remplir des sacs de sable qu’il fait ensuite remonter à la surface au bout d’une corde. A l’extérieur, d’autres enfants, à la solde du même employeur, portent les sacs de sable jusqu’à la crique, située en contrebas de la colline, versent le sable dans un tamis et le lavent en espérant trouver des diamants, ou « mbongu » en Luba.

Soudainement, un garçon s’écrit : « Mbongu ! Mbongu ! » Il vient de trouver un diamant qu’il met aussitôt dans sa bouche.

Il arrive que les enfants trouvent des diamants qui valent plusieurs milliers de dollars ; mais ils ne sont pas autorisés à les garder, explique Charles Tchibanza, sociologue à l’Université Mbuji Mayi.

« Ces gamins n’ont aucune autre protection que celle des gens qui les exploitent. Ils risquent leur vie à tout moment et sont, pour la plupart, abandonnés par leur famille », ajoute-t-il.

A Mbuji Mayi, le nombre d’enfants abandonnés est stupéfiant. L’étude menée en 1999 par M. Tchibanza en dénombrait près de 10 000, mais selon ses récentes estimations, il y en aurait bien plus. Pour M. Tchibanza la sorcellerie pourrait être à l’origine de ce phénomène.

« Beaucoup de gens croient en la sorcellerie qui fait partie des croyances Luba. Mais ce qui se produit en ce moment à Mbuji Mayi est bien différent. Autrefois, lorsqu’une personne était accusée de sorcellerie, le village lui faisait une cérémonie de désenvoûtement. Elle n’était jamais chassée de la maison, surtout lorsqu’il s’agissait d’un enfant. Ce qui se passe aujourd’hui est une des conséquences de l’urbanisation et des frustrations engendrées par les diamants », explique Tchibanza.

Mais quel peut être le rapport entre les diamants et la sorcellerie ? Pour Tchibanza, il s’agit d’un sujet qui mérite une étude plus approfondie.

Une chose est sûre : l’industrie du diamant représente plus de 70 pour cent de l’économie de Mbuji Mayi et des localités voisines, et hormis quelques belles résidences, la plupart des habitants vit dans des cases en banco, sans électricité ni eau potable. Et bien que la région soit fertile, les gens ne mangent pas à leur faim car, contrairement aux diamants, l’agriculture ne permet pas de s’enrichir du jour au lendemain.

En outre, la recherche de ces pierres précieuses engendre frustration, méfiance et superstition et crée un véritable climat de peur.

Certaines personnes exploitent ce sentiment de peur. A presque tous les coins de rue de Mbuji Mayi, on trouve des maisons de culte qui, pour la plupart sont des églises congolaises dirigées par des prédicateurs autoproclamés qui pratiquent l’exorcisme. C’est le cas d’Onakoko qui vit dans une case avec plusieurs enfants.

« Certains enfants viennent me voir et je me rends compte qu’ils ont été accusés à tort de sorcellerie. D’autres pensent qu’ils sont sorciers ou qu’ils ont vraiment des pouvoirs maléfiques. Je fais alors appel à l’Esprit Saint pour m’aider à détecter les vrais sorciers, puis j’utilise les pouvoirs de la prière pour les désenvoûter », raconte Onakoko.

Konku Monique est une jeune fille de 12 ans qui a trouvé refuge chez Onakoko. Ses parents l’ont jetée à la rue en l’accusant d’être une sorcière, ce qu’elle nie catégoriquement. Elle explique qu’elle est venue chez Onakoko parce qu’elle ne pouvait aller nulle part ailleurs et qu’elle voulait s’assurer qu’elle n’était pas une sorcière.

« J’ai vu le prêtre Onakoko exorciser des enfants sorciers. Ils racontaient des choses terribles. J’ai vu un enfant vomir un insecte vivant - un très gros insecte. J’étais terrifiée. Et j’ai encore peur qu’une chose pareille m’arrive », confie Konku

Des prêtes comme Onakoko font partie de ce cercle vicieux que constitue les diamants, la sorcellerie et la mort et où les enfants sont pris au piège.

Les enfants les moins chanceux se retrouvent dans les groupes armés, les « suicidaires », qui pénètrent illégalement dans le polygone, un secteur au sud de Mbuji Mayi où l’on trouve les plus importantes mines de diamants de la province qui sont la propriété de la MIBA, la société nationale d’exploitation de diamants. Ces enfants sont souvent pris dans des fusillades avec les forces de sécurité de la MIBA et beaucoup d’entre eux se font tuer ou disparaissent à jamais.

Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) tente d’aider les enfants abandonnés en leur proposant une formation en menuiserie ou dans le petit commerce pour qu’ils puissent trouver d’autres sources de revenus.

« Les résultats sont positifs, mais ce problème persistera tant que des gens seront pauvres et que les diamants entretiendront de faux espoirs de prospérité, » explique Lisset Khonde, assistante à la protection des enfants pour l’UNICEF.

Dans un village qui surplombe les mines de diamants de Muambulia Bantu, adultes et enfants se retrouvent sur une place de marché où ont lieu les transactions de diamants. Dans chaque kiosque, un négociant est assis devant une balance et une pile de dollars américains.

Les clients de ce marché sont généralement des enfants aux pieds nus. L’un d’eux se tient devant le kiosque d’un négociant, la bouche grande ouverte, pour lui proposer les petits diamants posés sur sa langue. Avec un peu de chance, ils lui rapporteront quelques dollars. Mais ce gamin a plus de chance de se faire avoir ou de mourir au fond d’une mine de diamants désaffectée, explique Mme Khonde.

De ce marché, les négociants partent pour la ville où ils proposent leurs diamants à de plus gros négociants, des Libanais bien souvent, qui affirment ne jamais acheter leurs pierres précieuses à des enfants de moins de 15 ans.

Alfonse Ngoyi Kasanji est le responsable de l’association des négociants de diamants de Mbuji Mayi. Il y a quelques années, il a vendu un diamant pour la somme de 6, 2 millions de dollars.

« Faire travailler les enfants dans les mines de diamants est un crime. Mais le gouvernement ne fait rien pour arrêter cette exploitation. Quand j’achète un diamant à un adulte, je ne sais jamais s’il a été trouvé par un enfant », dit-il.

Les négociants comme Kasanji exportent leurs diamants en Belgique, en Inde et en Israël et les revendent à de grands commerçants qui en savent encore moins sur la manière dont les pierres ont été extraites des mines.

Certes, il existe un système mondial de contrôle des importations et exportations des diamants bruts. Mais ce système, le processus de Kimberley, a été mis au point pour éviter que le commerce illicite de diamants ne serve à financer des conflits armés, et non pas pour vérifier l’âge des chercheurs de diamants.

Et tant que ce problème ne sera pas résolu, les enfants de Mbuji Mayi continueront de travailler dangereusement dans les mines et beaucoup y perdront la vie.

IRIN, MBUJI MAYI, le 21 juillet

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