Les vulnérabilités des enfants, un concept pour l’action

Texte de l’intervention au Colloque Enfance et Sida, le 15 juin 2006 à 15h. Sandrine Dekens, Orphelins Sida International.

Publié le 7 juillet 2006 sur OSIBouaké.org

Dans la prise en charge des orphelins et des enfants rendus vulnérables par le VIH  /SIDA  , nous avons d’abord parlé d’orphelins du sida  , puis d’OEV  , avant que les recommandations internationales plus récentes nous encouragent à ne plus utiliser de formules toutes faites pour désigner ces enfants. Au-delà des aspects discriminants de ces expressions, les difficultés à nommer et les modes de catégorisation proposés pour parler des enfants vulnérables (orphelins du sida  , enfants des rues, orphelins de guerre, etc.), révèlent des difficultés à penser un phénomène vaste et multiforme, et génèrent des obstacles dans la mise en oeuvre des actions de terrain. De plus, dans la réalité, les catégories se chevauchent souvent : un orphelin pouvant avoir perdu son père durant la guerre, puis sa mère du sida  , et se retrouver à vivre dans la rue... Il faut donc pouvoir rendre compte de l’ensemble de la situation de l’enfant, ce que ne permet pas ce recours aux catégories. Nous vous proposons donc de mener une réflexion visant à sortir de cette catégorisation et à définir le concept de vulnérabilité d’une manière plus opérationnelle.

Tout d’abord les risques auxquels sont exposés les enfants peuvent être classés en différentes catégories :

  • Risques socioéconomiques : logique de survie, faim, déscolarisation, conflits armés, drogues, prostitution, délinquance, recrutement dans des bandes armées, etc.
  • Risques sanitaires : VIH   et autres IST, grossesses précoces et non désirées, maladies infectieuses, rougeole, carences alimentaires et vitaminiques, etc.
  • Risques psychologiques : carences affectives, exposition aux deuils multiples, à la maladie du parent, absence d’adulte de référence, violences sexuelles, accusations sorcières, discrimination et stigmatisation, etc. (voir intervention de Julien Makaya).

Selon les caractéristiques du contexte (social, économique, sanitaire, politique, culturel, religieux, etc.), ces risques présentent des constantes pour tous les enfants (difficulés à se nourrir, à aller à l’école etc.), et également des variations selon les spécificités du parcours individuel de chaque enfant (parents malades ou décédés du sida  , violences de guerre, vie en orphelinat, etc.). Dans chaque pays, quelle que soit l’échelle du programme à mener, ces risques doivent faire l’objet d’une étude précise se basant sur l’expérience des communautés concernées et des personnes contribuant à prendre en charge les enfants.

Par ailleurs, pour rendre compte de la dynamique du processus plus ou moins lent qui conduit à l’exposition des enfants, il faut considérer les différents temps de la maladie des parents (un parent vivant, plus ou moins malade, enfant orphelin double), et les différents degrés de l’exposition (enfant vivant avec ou sans sa fratrie, avec son grand-parent ou dans une famille de voisins, dans la rue). Certains risques mettent directement la vie en péril, d’autres exposent à une forte dégradation des conditions de vie, certains compromettent la vie à long terme des enfants, d’autres ont un impact immédiat. Nous pouvons ainsi parler de vulnérabilités au pluriel ou d’une « vulnérabilité globale » dont l’évaluation et la prise en charge doivent pouvoir prendre rendre compte des variations. Par conséquent, la vulnérabilité est le produit d’une situation sociale, et la réduire nécessite d’intervenir de manière globale et simultanée sur trois niveaux :

  • Il s’agit sur un premier niveau, de mesurer les risques d’exposition des enfants dans les trois domaines précités. Cette étape va permettre d’évaluer les différents types de vulnérabilité de l’enfant (vulnérabilité médicale, vulnérabilité socioéconomique et vulnérabilité psychologique) et le degré d’exposition.
  • Sur un second niveau, il faut renforcer la capacité de l’enfant à faire face aux risques en lui donnant les ressources nécessaires, par un appui direct ou indirect dans les trois domaines. Il s’agit de renforcer ses capacités matérielles (ex : prise en charge alimentaire de toute la fratrie pour permettre à l’orphelin chef de famille de retourner à l’école), mais également de stimuler sa résilience psychologique (ex : participation à des groupes de prévention du VIH  ).
  • Et sur un troisième niveau, il s’agit de mener des actions visant à réduire la potentialité du risque, c’est-à-dire de ses éventuelles conséquences. En effet, les risques auxquels sont confrontés les enfants peuvent être potentialisés par les effets du contexte local (taux de prévalence du VIH  , disponibilité des ARV  , capacités économiques des familles élargies, statut socioculturel de l’enfant et de l’orphelin, lois et accès au droit, accès aux services de base, degré de la mobilisation politique et sociale, enclavement des provinces, guerre, etc.). Mais le contexte local recèle également des points d’appui qui devront être repérés et renforcés (ex : traditions de recueil des orphelins par les familles). Nous attardons sur l’aspect de réduction de la potentialité des risques car il a une dimension macro-sociale, et par conséquent, est insuffisamment pris en compte dans les programmes et les politiques publiques. Il est pourtant indispensable de l’inclure dans les intervenions de terrain, si nous voulons réduire significativement et durablement la vulnérabilité des enfants.

Afin d’inclure les enfants dans les programmes de « prise en charge globale », il faut préalablement évaluer leur vulnérabilité pour adapter les différentes actions. Pour ce faire, l’échelle de vulnérabilité permet de classer les enfants par type et degré de vulnérabilité :

  • La vulnérabilité médicale et sanitaire (VM), dans laquelle peuvent être répertoriés tous les risques sanitaires et médicaux : enfants infectés par le VIH  , handicapés moteurs, ou atteints d’autres pathologies ayant des degrés de gravité différents. [La malnutrition, facteur important des risques sanitaires, est classée dans la vulnérabilité socio-économique, car la prise en charge qui est résulte s’inscrit davantage dans la sphère sociale (aide alimentaire)] ;
  • La vulnérabilité socio-économique (VS) : les risques associés à ce domaine sont les plus nombreux et les plus repérables. Elle traverse, à degrés différents, toutes les catégories d’enfants. La prise en charge de cette vulnérabilité prend en compte la famille et le contexte de vie de l’enfant ;
  • La vulnérabilité psychologique (VP), domaine où s’exprime le vécu spécifique des différentes catégories d’enfants. La prise en charge qui en découle pourra varier selon la nature des risques auxquels l’enfant est ou a été exposé. Il est très important de la repérer et de préciser au maximum les risques qui y sont associés, car la nécessité d’une prise en charge psychologique des enfants est souvent sous-estimée. Pourtant, un orphelin peut vivre dans un contexte matériel très favorable, et manifester une souffrance psychique. Dans la poursuite de notre objectif de construire un outil permettant l’évaluation des situations et un meilleur rapport coût/efficacité des programmes, nous classons la vulnérabilité en 3 degrés d’intensité :
  • Vulnérabilité Haute (V3)
  • Vulnérabilité Moyenne (V2)
  • Vulnérabilité Basse (V1) Il est alors possible de synthétiser en un même outil les 2 regards : d’une part le degré et d’autre part les types de vulnérabilité pour chaque enfant (voir le tableau sur le power-point)

Les enfants les plus vulnérables seront ceux qui sont classés au niveau 3 dans les 3 types de vulnérabilité, reflétant ainsi un cumul de difficultés tant au niveau socio-économique, que médical et psychologique. Cette échelle présente plusieurs avantages :

  • Elle inclut toutes les catégories habituelles d’enfants vulnérables quelles que soient leurs conditions de vie (tous les orphelins quelles qu’en soient les causes, enfants dont les parents sont malades du sida  , enfants des rues, handicapés etc.), permet de prendre en compte fidèlement ce que vit un même enfant dans différents domaines de sa vie et de différencier les types de soutien nécessaires. Elle est transversale à toutes les catégorisations, et met en évidence les points de convergences et les différences de besoins entre les enfants ;
  • Du point de vue de la mise en œuvre, l’utilisation d’une telle échelle permet de différencier les types d’aides apportés, et de rationaliser les coûts des interventions, en portant davantage d’efforts sur ceux qui ont davantage de besoins ;
  • Elle est basée sur un recueil de données initiales avant l’intervention, facilitant l’évaluation du degré de précarité sociale, médicale et de fragilisation psychologique des enfants en début de projet, qui sera également un indicateur de mesure d’impact du programme.

La question préalable qu’est la recherche de fonds n’est pas posée ici bien qu’elle soit au cœur de nos préoccupations. Nous nous situons délibérément en aval de ce problème, au niveau pragmatique de l’intervention de terrain, pour tenter de montrer que, bien que confrontées à des obstacles, les initiatives de prise en charge des orphelins et des enfants vulnérables sont possibles et les actions en leur faveur ne sont pas forcément condamnées au fatalisme.

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