Dicussion avec les femmes du programme Espoir (accès aux ARV) de Caritas à Bangui (RCA)

Quelques notes prises après ma rencontre avec ces femmes l’année dernière

Publié le 30 juin 2006 sur OSIBouaké.org

4 juillet 2005 - Sandrine Dekens

Ces notes ont été prises pendant ma mission à Bangui en juillet 2005 et en les retrouvant aujourd’hui, j’ai eu envie de les faire partager...

Environ 30 femmes attendent d’être reçues par le médecin prescripteur de leurs ARV  . Le rendez-vous est mensuel. Les ARV   étaient gratuits jusqu’à il y a 3 mois environ. Aujourd’hui, elles doivent payer 2000 FCFA (nouvelles dispositions dans le cadre du Fond Mondial), mais la plupart ne le peuvent pas. Caritas leur délivre malgré tout les médicaments.

Elle est maigre, vêtue d’un tee-shirt noirci de crasse. Caroline a 36 ans, elle parait en avoir dix de plus. Elle paraît très fatiguée, probablement à cause de la malnutrition. Son mari est mort il y a dix ans, la laissant veuve seule à charge de leurs cinq enfants. Ses parents sont tous deux décédés, et depuis un an, elle et les enfants vivent dans la rue. Chaque matin, les enfants partent à la recherche de leur nourriture et la famille se retrouve tous les soirs pour dormir ensemble devant la pharmacie Sambo. Ne pouvant plus payer son loyer, elle a été chassée de son logement. Elle est sous ARV  , suivie par Caritas (programme Espoir) où elle prend le colis du PAM tous les mois. Parfois, elle prépare les denrées chez une amie qui l’autorise à venir utiliser son réchaud pour préparer les denrées. Il arrive qu’elle et les enfants consomment la farine du PAM sous forme de bouillie à l’eau froide préparée dans la rue.

Esther est malade. Elle dit ne pas pouvoir manger les feuilles de manioc, trop acides pour son estomac. Elle regrette qu’il n’y ait plus de lait dans les colis du PAM.

Solange a 7 enfants. Elle est veuve et vit dans l’arrière-pays depuis que la famille qui l’hébergeait à Bangui l’a chassée car elle avait trop d’enfants. Elle vient chercher ses médicaments pour 2000 FCFA et dépense 3000 FCFA pour le transport aller-retour. Son traitement lui coûte donc 5000 FCFA par mois.

Les loyers de Bangui coûtent minimum 5000 à 10 000 FCFA et plus. La colocation, le partage de maison ne se pratique pas, les gens ont beaucoup d’enfants, ce qui complique le problème de partage des logements.

Une femme visiblement amaigrie témoigne : elle a un diplôme de programmation informatique, sait faire la saisie et le secrétariat, mais elle ne parvient pas à trouver de travail. Plusieurs femmes d’environ 30, 40 ans disent n’avoir jamais travaillé. Le problème du manque d’activité est généralisé. Les femmes veuves sont très nombreuses et la plupart ne travaillent pas, n’ont absolument aucun revenu et survivent « à la grâce de Dieu », priant rencontrer quelqu’un, un voisin, une connaissance qui leur donne 500, 1000 FCFA. Elles voudraient pouvoir exercer une petite activité de commerce, par exemple vendre des denrées alimentaires. Leur principale préoccupation quotidienne est de manger et de nourrir les enfants.

Les colis alimentaires étaient bien jusqu’à environ un an, avec des boîtes de sardines, du lait etc. Ils étaient distribués tous les 15 jours. Maintenant, le colis est petit (elles me montrent le sac en toile, un gros sac de courses, pê 10kg de vivres) et dure environ 3 à 7j selon la taille des familles. Elles ne peuvent plus en vendre une partie. Il se compose de farine de maïs, 1,5l d’huile, des haricots, du sucre et du sel.

Judith est réfugiée du Rwanda à Bangui depuis 10 ans. Elle a 2 enfants, âgé de 4 et 6 ans. Du fait de son statut de réfugiée, elle n’a aucune famille, aucune ressource. La plus petite est scolarisée gratuitement à l’Ecole Sainte-Thérèse, mais pour la grande, elle ne peut pas payer l’inscription en école publique qui coûte 16 500 FCFA.

La majorité des femmes présentent déclarent ne pas scolariser au moins un enfant, par faute de manque de moyens. Scolariser un enfant de 4 ans peut coûter au moins 25/30 000 FCFA.

Un mouvement de protestation anime ces femmes lorsque le rôle de leur famille est évoqué. Le rejet de ces femmes malades par les familles est quasiment systématique. Elles disent que la spoliation des biens des veuves et des orphelins par les familles de leurs maris défunts est une pratique généralisée. La poursuite en justice coûte de l’argent et les procédures sont trop longues. Une femme raconte une histoire dans laquelle une veuve est décédée avant que son affaire ne soit jugée. Nombreuses femmes présentes déclarent ne pas savoir s’il existe vraiment des lois pour protéger leurs droits, l’idée d’avoir recours à la justice est difficilement pensable. L’annonce ou même le soupçon de séropositivité suffit pour que l’entourage considère la personne comme condamnée, n’ayant plus aucun utilité ou valeur. La personne séropositive perd instantanément son statut social aux yeux de la famille.

Rose et Danièle travaillent pour Caritas, elles accueillent et soutiennent « leurs malades », savent les réconforter avec des mots simples, de l’humour et de la bonne humeur. Elles connaissent certaines femmes depuis plusieurs années, car aujourd’hui la consultation est réservée aux habituées, certaines sont sous traitement depuis plus de 2 ans. Au début d’une prise en charge, les patients viennent aux consultations tous les 15 jours, ensuite, lorsque la patiente est observante et que le traitement est en place, les consultations deviennent mensuelles. Ces femmes sont toutes repérées et inclusent dans le programme par l’intermédiaire des paroisses, sur des critères non confessionnels (musulmanes, protestantes, catholiques etc). 3 médecins (1 prescripteur/superviseur et 2 prescripteurs) suivent ainsi 80 femmes. Les critères sont la dégradation de l’état de santé et le nombre d’enfants. Les femmes rencontrées aujourd’hui sont la plupart d’entre elles veuves, malades déclarées et mères de nombreux enfants.

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