Côte d’Ivoire : Ingéniosité et coopération : des clés pour prévenir le VIH en zone de conflit

Publié le 4 janvier 2006 sur OSIBouaké.org

ABIDJAN, 4 janvier (PLUSNEWS) - Pour poursuivre les actions de prévention en période de conflit, il suffit d’un peu d’astuce et beaucoup d’entregent, selon les acteurs de la lutte contre le VIH  /SIDA   en Côte d’Ivoire.

“Pour que le préservatif puisse inonder une zone de guerre, il faut que nous soyons tous solidaires. A Bouaké, par exemple, avant la crise les préservatifs venaient d’Abidjan facilement. Aujourd’hui, avec la crise, il faut s’appuyer sur d’autres agences et sur les maisons de marketing social”, a ainsi expliqué Moussa Keita, l’un des responsables de l’ONG Renaissance Santé Bouaké (RSB).

Bouaké est le quartier général des Forces nouvelles (FN), la rébellion armée qui a tenté, en septembre 2002, de renverser le président Laurent Gbagbo et qui contrôle, depuis, tout le nord et une partie de l’ouest du pays. Un gouvernement de transition dirige la partie sud depuis Abidjan, le grand centre économique côtier.

Entre le sud et le nord, des milliers de militaires, dont environ 7 000 membres des forces de maintien de la paix des Nations Unies, arpentent la ‘zone de confiance” qui sépare les deux belligérants.

Cette profusion d’hommes armés et l’insécurité qui prévaut sur l’ensemble du territoire national ont considérablement ralenti les actions de lutte contre le VIH  /SIDA  , ont reconnu les responsables ivoiriens, alors que la Côte d’Ivoire est l’un des pays ouest-africains les plus affectés par le virus.

« Nous avons été si affectés [par la guerre] et si désorganisés que notre réaction n’a pas été à la hauteur de l’ampleur de l’épidémie », a expliqué le ministre ivoirien de la Santé, Albert Mabri Toikeuse.

De sources officielles, le taux de prévalence du VIH   atteindrait sept pour cent de la population. Mais ces données sont anciennes et ne reflètent pas la réalité, selon les agences humanitaires qui font état de taux d’infection beaucoup plus inquiétants, autour de 10 à 20 pour cent dans l’ouest et le nord du pays.

Selon une étude du ministère ivoirien de la Lutte contre le sida  , le taux de nouvelles infections n’a cessé d’augmenter depuis trois ans. Le taux d’infection progresserait d’un pour cent par an, 70 pour cent des contaminations concerneraient les jeunes.

Pour le docteur Ambroise Ablé Ekissi, du ministère, les FN sont responsables des défaillances de la politique nationale de prévention. “Nous ne savons rien des activités qui se déroulent dans la zone contrôlée par la rébellion. Cette zone est inaccessible pour la sensibilisation, le personnel est souvent menacé. Cette année, à Bouaké, un groupe d’enquêteurs a été faussement accusé d’espionnage et détenu pendant quinze jours.”

Peu ou pas de coordination des activités de prévention

Pourtant, ce n’est pas la principale raison avancée par les acteurs de la lutte contre le sida   pour expliquer les difficultés qu’ils rencontrent : ils évoquent en effet la mauvaise organisation de la riposte et le manque de coordination des activités de prévention (sensibilisation aux modes de contamination et au dépistage, distribution de préservatifs).

« Il y a beaucoup de déperdition dans les actions des ONG, faute de coordination. Mieux elles seront organisées, plus elles pourront avoir des partenaires pour mener des actions efficaces », affirme Louis-Auguste Boa II, le responsable du COS-CI, le collectif des ONG de lutte contre le sida   en Côte d’Ivoire, créé à Abidjan il y a une dizaine d’années pour coordonner leurs actions.

Sur les quelque 600 ONG engagées dans la lutte contre le sida   en Côte d’Ivoire, 200 sont membres du COS-CI, selon le responsable du collectif.

Pour attirer l’attention des bailleurs de fonds et poursuivre, ainsi, leurs activités de prévention à une échelle significative, ces ONG n’ont guère d’autres voies que la mise en place de partenariats et la conduite d’activités humanitaires diverses - appui aux personnes déplacées et réfugiées, santé, soutien nutritionnel...

Ainsi, l’ONG Aweco, basée à Guiglo, dans l’ouest du pays, a établi un partenariat avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et l’Office des migrations internationales (OMI), qui la fournissent en préservatifs.

Ils sont ensuite redistribués aux populations locales vulnérables : dans l’ouest ivoirien, la détresse économique, la séparation des familles et l’afflux de soldats se sont accompagnés d’une flambée des infections sexuellement transmissibles, dont le sida  , selon une étude réalisée par l’organisation médicale d’urgence Médecins sans frontières (MSF  ) en avril dernier.

A l’image du pays, l’ouest de la Côte d’Ivoire est coupé en deux et les activités de MSF   se partagent entre Danané, tenu par les FN et Bin Houyé, contrôlé par les forces gouvernementales.

“Depuis la division du pays et le cessez-le-feu de 2003, on assiste à un déploiement accru des forces armées à travers la Côte d’Ivoire. Ces soldats sont clairement préoccupés par la situation sanitaire en général et les IST en particulier”, a expliqué MSF  .

Dans cette région explosive, située à la frontière du Liberia et de la Guinée, seule une poignée d’ONG internationales est présente mais, contrairement à MSF  , elles ne sont pas toutes installées dans la région. Il en va de même pour le Programme alimentaire mondial, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance et le HCR.

Pour répondre aux besoins de santé du demi-million de personnes qui vivent dans l’ouest, MSF   conduit des programmes depuis 2003 dans ces zones en conflit, suppléant ainsi à l’effondrement des structures de santé et à la fuite du personnel médical après le déclenchement de la guerre civile.

La confiance, une condition essentielle des actions de prévention

Cette présence a constitué un préalable indispensable au démarrage d’activités de prévention et de prise en charge des personnes vivant avec le virus.

“Nous avons commencé par soigner au CHR [le centre hospitalier régional] de Man avant de mettre en place le programme national de prise en charge”, a expliqué le docteur Jean-Paul Jemmy, de MSF  . “Nous en profitons pour sensibiliser les patients [au VIH  ].”

Il a ajouté que, en période de conflit, “beaucoup de facteurs font que les gens sont renfermés”. “D’abord ils sont méfiants. Ensuite, ils ont besoin de nourriture ou de sécurité et ne sont pas disponibles pour écouter les messages de sensibilisation. Il faut une approche basée sur la confiance”, a dit le docteur Jemmy.

MSF   a pu démarrer il y a quelques mois un programme VIH  /SIDA   pour les populations de la région, offrant une prise en charge gratuite et l’accès au dépistage anonyme et volontaire dans deux hôpitaux de l’ouest ainsi qu’à l’hôpital de Bouaké, le grand carrefour commercial du centre du pays.

Les personnes séropositives y reçoivent également un appui nutritionnel du Programme alimentaire mondial (PAM), l’une des agences des Nations Unies qui travaillent désormais en collaboration avec les ONG locales et les organisations internationales d’urgence, toujours en manque de préservatifs et de réactifs pour les dépistages.

“En période de guerre, on parvient à se procurer des préservatifs auprès des organisations internationales telles que Care International, le CICR (Comité international de la Croix rouge) et d’autres”, a expliqué Yao Bla, l’un des responsables du centre Solidarité Action Sociale (SA) de Bouaké, le principal centre de prise en charge privé de la région.

“Nous avons aussi des amis qui nous en livrent car les transports en commun existent encore dans nos zones”, a-t-il ajouté, avouant sans peine devoir régulièrement faire appel au ‘système D’.

Car les quantités de préservatifs sont loin d’être suffisantes pour couvrir les besoins des populations, selon John Bull, de l’ONG Aweco qui reçoit des lots du HCR. “Il nous en faut toujours davantage pour les réfugiés, les déplacés et les communautés hôtes”, a-t-il dit.

Selon le docteur Anastase Butsuré, responsable médical du HCR en Côte d’Ivoire, douze préservatifs sont distribués par mois à chaque personne réfugiée ou déplacée, “suivant le principe selon lequel un homme adulte entretient en moyenne des rapports sexuels trois fois par semaine”.

Mais la question la plus préoccupante est, selon M. Bla, comment faire parvenir ces préservatifs aux populations.

“Nous faisons des distributions publiques au cours des sensibilisations de masse et les gens viennent nous voir dans notre centre. Dans la mesure de nos possibilités, nous leur donnons des préservatifs. Mais les résultats ne sont pas palpables”, a-t-il expliqué.

Pour John Bull, à Guiglo, l’accès aux populations est d’autant plus difficile que les infrastructures routières sont désormais dégradées et les moyens des ONG limités. “Nous n’avons pas les moyens logistiques pour faire la sensibilisation dans les camps de réfugiés, de déplacés et les communautés hôtes”, a-t-il dit.

Des partenariats constructifs

La plupart des acteurs de la lutte contre le sida   dans ces zones de conflit ont donc recours aux partenariats, jouant sur les forces et les réseaux de chacun afin d’optimiser leurs interventions auprès des plus vulnérables.

Ainsi, Care International, qui a démarré en avril 2004 un projet de prévention du VIH  /SIDA   en situation d’urgence, travaille en collaboration avec les associations à base communautaire de la région. “Les populations se reconnaissent mieux dans ces associations”, a commenté le docteur Yssouf Ouattara, responsable de ce projet, le seul qui brave l’insécurité qui prévaut dans ces régions militarisées.

“Pour faire de la prévention en situation de crise, il faut avoir une autre activité humanitaire. Ainsi, parce que nous distribuons des vivres, nous sommes écoutés de la population”, a ajouté le docteur Ouattara.

Care a ainsi distribué plus de quatre millions de préservatifs, tout en renforçant les capacités d’intervention des associations locales et en mettant en place des comités de pilotage locaux chargés de coordonner les activités de prévention dans les localités, selon le médecin.

De son côté, l’Office de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, OCHA, a mis en place des sessions de coordination, qui permettent de partager l’information et d’optimiser les compétences de chacun.

“Chaque deux semaines, nous avons avec OCHA des réunions-bilan auxquelles participent d’autres ONG. Le PAM nous soutient avec des vivres et l’Unicef [le Fonds des Nations Unies pour l’enfance] finance certaines de nos actions en faveur des orphelins et des enfants vulnérables”, a expliqué Yao Bla, du centre SAS de Bouaké.

Quand il le peut, ce centre intégré, pilote dans la région, aide notamment les familles d’orphelins à acheter des médicaments qui prolongent l’espérance de vie des patients, à payer les frais de scolarité et à trouver du travail dans une ville sinistrée.

“Il n’y a eu ici aucune campagne de prévention ni de sensibilisation depuis le début du conflit alors que la liberté sexuelle est totale”, a déploré Penda Touré, la responsable du centre SAS. “Les gens ne se soucient plus du VIH  /SIDA  . Le seul sujet de discussion est le conflit et la seule préoccupation, la survie.”

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