Nigeria : prisonnier et séropositif, la double-peine

Publié le 30 décembre 2005 sur OSIBouaké.org

KADUNA, 29 décembre 2005 (PLUSNEWS) - Parce que les taux d’infection au VIH   sont généralement plus élevés en milieu carcéral qu’au sein de la société, le Nigeria, lourdement touché par l’épidémie, prend peu à peu conscience de l’urgence de lutter contre le sida   dans ses prisons... mais le combat est loin d’être gagné.

« Il y a encore peu, lorsqu’on évoquait la question du sida   en prison, la réponse était toujours la même : ‘le VIH   n’est pas un problème en prison, c’est la famine qui l’est’ », a raconté Dora Ofobrukweta, coordinatrice de projet pour l’organisation Life Link financée par la Fondation Ford, dont le premier programme de lutte contre le sida   dans les prisons remonte à 1994.

Bien qu’il n’existe pas de statistiques nationales concernant le taux de prévalence du VIH  /SIDA   en milieu carcéral, les quelques études menées dans ce domaine ont suggéré que ce taux serait « au minimum deux à trois pour cent supérieur à la moyenne nationale », ont reconnu les autorités pénitentiaires.

Or avec près de quatre millions de personnes vivant avec le VIH  , soit environ cinq pour cent de sa population selon les Nations unies, le Nigeria est le troisième pays au monde le plus lourdement touché par l’épidémie en nombre de personnes infectées par le virus, après l’Inde et l’Afrique du Sud.

Fin 2005, les prisons nigérianes abritaient près de 40 000 prisonniers, dont moins de deux pour cent de femmes, selon les statistiques officielles.

A la prison centrale de Kaduna, à environ 200 kilomètres au nord de la capitale Abuja, des campagnes de dépistage volontaire menées depuis 2000 auprès des prisonniers ont révélé que « plus d’une vingtaine » des 280 détenus testés étaient séropositifs, a dit le docteur Harp Damulak, le médecin de l’hôpital de la prison.

En 2002, une opération similaire menée par l’administration pénitentiaire nigériane dans cinq prisons du pays a montré que 8,82 pour cent des 442 prisonniers dépistés étaient infectés au VIH  . Ce taux de prévalence était de 5,71 pour cent parmi les 210 membres du personnel pénitentiaire testés dans ces mêmes prisons.

« Ce n’est pas étonnant, les gens qui vont en prison n’arrivent pas de nulle part et certains prisonniers font partie des groupes dits à risque face à l’infection au VIH  , comme les consommateurs de drogues », a fait remarquer le docteur Rah Lawal, consultant psychiatre à l’hôpital psychiatrique de Lagos, le grand port économique dans le sud du pays.

Par ailleurs, le personnel pénitentiaire, muté régulièrement, ne se déplace pas toujours avec sa famille, a noté l’organisation Life Link. Les hommes se retrouvant seuls sont donc davantage exposés à l’infection au VIH  .

De nombreux obstacles à la lutte contre le sida   en prison

Face à ce constat inquiétant, les autorités, encouragées et soutenues par plusieurs organisations non-gouvernementales et par des agences onusiennes comme l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, l’Onudc, ont affiché leur volonté de réagir.

En 2001, un comité VIH  /SIDA   réunissant des représentants du ministère nigérian de l’Intérieur -en charge des prisons-, de l’administration pénitentiaire et des services de l’immigration a été créé, avec pour mission de développer des programmes de lutte contre le sida   en milieu carcéral sous l’égide du Comité national d’action contre le sida  , le NACA.

Des opérations de sensibilisation des détenus et des personnels pénitentiaires sur le VIH   ont été organisées dans les prisons, des campagnes de dépistage y ont eu lieu et des personnels médicaux formés, notamment à la distribution de traitements antirétroviraux (ARV  ), ces médicaments qui permettent de prolonger et d’améliorer la vie des personnes vivant avec le virus.

Mais les moyens engagés dans cette lutte contre le sida   en prison sont loin d’être suffisants, a constaté l’Onudc, et aucun document écrit détaillant la politique du gouvernement dans ce domaine n’a été publié.

De nombreux obstacles ont limité les capacités d’intervention sur le VIH  /SIDA   en milieu carcéral, ont reconnu plusieurs acteurs du secteur, parmi lesquels les difficultés rencontrées par le comité à mobiliser des ressources et à convaincre les partenaires potentiels de la lutte contre le sida   de l’urgence d’intervenir dans les prisons.

Autre facteur cité comme un frein aux efforts déployés pour enrayer la propagation du virus dans les prisons : le refus de la majorité des responsables de prisons de reconnaître l’existence de l’homosexualité ou des relations sexuelles entre personnes du même sexe dans leurs établissements.

« Des responsables pénitentiaires insistent [sur le fait] que les détenus infectés au VIH   l’étaient déjà en intégrant le système carcéral et que la transmission du virus [en prison] est limitée à un certain nombre de facteurs », tels que le partage de lames de rasoir ou l’utilisation d’instruments de manucure et de pédicure, a noté l’Onudc à l’issue d’une mission conduite dans sept prisons nigérianes en septembre 2005.

L’homosexualité étant illégale au Nigeria, « le fait pour un directeur de prison de reconnaître qu’elle existe dans son établissement serait une façon d’avouer qu’il ne maîtrise pas ce qui se passe chez lui ou qu’il tolère des pratiques illégales », a expliqué le docteur Hassan Saïdi Labo, assistant du Contrôleur général des prisons au Nigeria.

Dans la mesure où les prisons ne sont pas mixtes, l’illégalité des pratiques sexuelles entre personnes du même sexe explique également pourquoi les autorités pénitentiaires refusent de mettre des préservatifs à la disposition des prisonniers, a ajouté M. Labo, insistant sur la nécessité de réformer à la fois le système judiciaire et carcéral.

Pourtant, et en dépit de la création par les prisonniers de clubs ‘anti-sodomie’ au sein des prisons pour punir leurs co-détenus qui s’engagent dans ces formes d’acte sexuel, non seulement ces pratiques existent, mais en plus elles sont courantes, qu’elles soient consenties ou forcées, a constaté l’organisation Life Link.

Une enquête menée par cette organisation dans les prisons de Kano au nord du pays, a révélé qu’un tiers des prisonniers avaient connaissance de l’existence de pratiques sexuelles entre hommes dans leur prison, tandis que 10 pour cent reconnaissaient entretenir eux-mêmes des relations sexuelles avec d’autres détenus.

Selon l’Onudc, les détenus jeunes, faibles et vulnérables, exploités par des prisonniers plus puissants, sont les plus susceptibles d’être forcés à s’engager dans ces pratiques, elles-mêmes favorisées par la surpopulation qui caractérise une grande partie des établissements pénitentiaires au Nigeria.

Malnutrition, infections, rupture d’ARV   : le trio perdant

Cette surpopulation constitue un autre obstacle à la lutte contre le sida   en milieu carcéral, a noté le docteur Damulak de la prison de Kaduna, car la promiscuité multiplie les risques de développer des infections comme la tuberculose, la principale infection dite opportuniste liée au sida  , c’est-à-dire s’attaquant à des organismes affaiblis par le virus.

Ces organismes sont d’autant plus affaiblis que les budgets prévus pour nourrir les prisonniers -en principe 150 Nairas (à peine plus d’un dollar) par jour et par personne- ne permettent pas de fournir une alimentation équilibrée aux détenus infectés au VIH  , qui souffrent comme les autres prisonniers de problèmes de malnutrition, alors qu’une bonne alimentation est un facteur essentiel pour aider l’organisme à lutter contre le virus.

Par ailleurs, l’insuffisance des ressources allouées à la santé des prisonniers et à l’achat de traitements ARV   a conduit à plusieurs reprises à des ruptures d’approvisionnement de ces médicaments, a déploré le docteur Damulak.

Les détenus sous ARV   ont donc dû interrompre leur traitement à plusieurs reprises, a-t-il reconnu. Ce traitement doit pourtant se prendre à vie, sous peine de développer des résistances aux médicaments.

Selon le docteur Damulak, 12 détenus séropositifs de la prison centrale de Kaduna sont actuellement sous antirétroviraux.

« Deux fois par jour, le gardien va chercher ces détenus dans leurs cellules et les amène à l’hôpital de la prison pour qu’ils prennent leurs médicaments -quand on en a », a-t-il expliqué.

Les prisonniers ont droit à la confidentialité, leurs co-détenus ne sont donc pas censés connaître leur statut sérologique.

« La plupart de nos prisonniers sous ARV   souffrent aussi d’autres infections, notamment de la tuberculose, il est donc facile de dire qu’on les traite pour ça », a dit le docteur Damulak. « Je ne pourrais pas dire que les autres détenus ne savent pas, je n’en sais rien, mais en tout cas on n’a pas eu de problème de discrimination ».

De toute façon, le problème est ailleurs. « La malnutrition, les infections et les ruptures d’approvisionnement en ARV   font que le taux de mortalité des prisonniers infectés au VIH   est très élevé », a-t-il dit tristement, sans pouvoir donner d’indications chiffrées.

Les détenus séropositifs sous ARV   qui survivent malgré tout à ces conditions d’incarcération ne sont pas pour autant sauvés, car une fois sortis se pose le problème du suivi du traitement.

« A partir du moment où il est hors des murs de la prison, l’ancien prisonnier n’est plus sous la responsabilité du gouvernement », a dit un responsable de l’administration pénitentiaire à Kaduna. Il doit donc se débrouiller pour trouver les moyens de poursuivre son traitement, une tâche impossible pour beaucoup d’entre eux qui sortent les mains vides, a-t-il reconnu.

« Prisonnier et séropositif, c’est la double-peine », a conclu ce responsable.

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