Cameroun : les communautés de base sollicitées pour changer les comportements

Publié le 28 décembre 2005 sur OSIBouaké.org

Dakar, 27 décembre 2005 (PLUSNEWS) - Constatant l’échec des plans de communication mis en place depuis vingt ans au Cameroun, les autorités en charge de la lutte contre l’épidémie de VIH  /SIDA   ont demandé aux communautés de formuler elles-mêmes les messages pour un changement effectif de comportement parmi leurs membres.

Le professeur Jacques-Philippe Tsala Tsala, psychologue clinicien et thérapeute familial à Yaoundé, la capitale camerounaise, est l’un des trois experts recrutés en 2004 par le Comité national de lutte contre le sida   (CNLS) pour participer à une aventure inédite dans ce pays complexe, qui ne compte pas moins de 250 groupes éthniques ayant chacun sa propre langue.

“Il était temps de rompre avec ces messages conçus dans la précipitation des débuts de la lutte, des messages trop généraux qui ne concernaient personne, des campagnes de communication sans aucun impact”, a confié le professeur Tsala à PlusNews, alors qu’il assistait à une conférence scientifique sur le sida   à Dakar, la capitale du Sénégal, en octobre.

Comme tous les pays africains, confrontés très tôt aux ravages de l’épidémie de VIH  /SIDA  , le Cameroun a tenté de prévenir la propagation du virus en alertant les populations des dangers qu’elles couraient : la mort, la maladie et le rejet.

“Des messages comme ‘Faites attention parce que le sida   ne se soigne pas’ ou ‘Vous allez mourir’ ont évidemment raté leurs cibles, ou ont conforté les gens dans un comportement inconsciemment suicidaire”, a précisé le professeur Tsala.

Et les chiffres parlent d’eux-mêmes. Après avoir stagné entre 1985 et 1990 autour d’un pour cent, le taux de séroprévalence a augmenté de manière inquiétante dépassant les cinq pour cent entre 1990 et 1995, notamment parmi les jeunes et les femmes : les trois cinquièmes des personnes infectées sont des femmes et le tiers des personnes infectées a entre 15 et 34 ans.

Chez les professionnelles du sexe des grandes villes de Douala et Yaoundé, la prévalence du VIH  /SIDA   est passée de six pour cent en 1987 à près de 45 pour cent en 2000, l’année au cours de laquelle le CNLS a lancé son premier plan pour un changement de comportement.

Dès l’an 2000 en effet, les autorités en charge de la lutte contre la pandémie ont réorganisé la riposte au VIH   en mettant l’accent sur la participation des communautés. Le but était alors de maintenir le taux d’infection en-dessous des dix pour cent - il frôlait les sept pour cent fin 2003, selon les Nations unies.

La création de comités provinciaux, locaux et communautaires de lutte contre le sida   à partir de 2001 répondait ainsi au souci de promouvoir une sensibilisation et une prévention de proximité.

“Le problème n’était pas de dire que le sida   existe, mais qu’est-ce qu’on fait une fois qu’on le sait ?”, a expliqué le professeur Tsala.

Cette stratégie s’est traduite, un an plus tard, par la création au sein du CNLS d’une section ‘réponses locales’, qui applique un processus participatif des communautés de base : les associations de jeunes ou de femmes, les clubs santé dans les écoles, certaines associations professionnelles (chauffeurs, prostituées, etc.), les membres des associations religieuses ou d’entreprises doivent formuler des plans communautaires de lutte.

Le CNLS, qui offre alors un soutien financier à ces communautés pour la mise en place de leurs actions, exige que les personnes vivant avec le VIH  /SIDA   soient associées aux activités décidées par le groupe, pour une meilleure prise de conscience et diffusion de l’information sur la pandémie.

“L’efficacité de la communication passait par là, il fallait impliquer les cibles dans la formulation des messages”, a commenté le professeur Tsala, expliquant que les communautés doivent alors réfléchir aux mots à employer pour remplacer ceux qui inquiètent.

Des ateliers ont été organisés dans chacune des dix provinces du pays, a expliqué le psychothérapeute, afin d’élaborer le plan de communication pour un changement de comportement (CCC) couvrant la période 2003-2007 - son impact sur les populations ne sera pas évalué avant cette date.

Selon lui, la hausse du nombre de dépistages du VIH   en zone urbaine prouve d’ores et déjà que certains messages ont été entendus.

“Jusque-là, le dépistage, même gratuit et volontaire, avait suscité très peu d’engouement de la part des populations, car cette pratique renvoie les uns et les autres à une responsabilité difficile à assumer”, a-t-il dit. “Il est encore largement vécu comme un dévoilement à l’autre alors qu’il est d’abord un dévoilement à soi.”

Cette attitude s’explique aussi par la forte discrimination et la stigmatisation que subissent au quotidien les personnes vivant avec le virus, perçues comme des individus à la moralité et aux comportements sexuels douteux.

Il est difficile d’aborder la sexualité au Cameroun, cette notion demeurant un sujet tabou particulièrement dans les zones rurales, a admis le professeur Tsala. Il a ainsi été pratiquement impossible dans certaines régions de réunir les hommes, les femmes et les enfants dans un même endroit, certaines démonstrations étant intolérables pour les responsables de ces communautés.

“Il faut parfois séparer les uns des autres en prenant le risque d’une communication peu efficace du point de vue communautaire”, a-t-il expliqué. “Le côté inattendu et nouveau du discours sur la sexualité provoque des réactions inattendues comme les femmes qui se voilent la face, une attention soutenue sur des détails, des rires sous cape.”

Du coup, certaines structures traditionnelles ont développé des résistances face au discours égalitaire des équipes de sensibilisation, un discours considéré comme irrévencieux par rapport à leur autorité.

Selon le professeur Tsala, les membres de comités communautaires de lutte se font souvent raillés et moqués (‘les sida  ’) lors des rencontres avec les villageois et les autorités traditionnelles.

“Cette stigmatisation, qui prend parfois des allures hystériques, ne s’explique pas seulement par la méconnaissance de la maladie et de ses modes de transmission : elle rend compte de la complexité des rapports entre soi et une maladie dont on peut être porteur sans (vouloir) le savoir”, a-t-il écrit dans un article paru en novembre 2004 dans le journal du réseau panafricain Sahara.

Ainsi, les acteurs de la lutte contre le VIH   au Cameroun se gardent bien d’exacerber les susceptibilités des populations, fortement attachées à leurs traditions comme le lévirat (le mariage d’une veuve avec son beau-frère), l’autopsie traditionnelle, l’excision ou les scarifications.

“On évitera par exemple de prôner une égalité homme-femme qui réduirait les effets de la prévention”, a expliqué le professeur, prenant l’exemple de la polygamie, une configuration matrimoniale traditionnelle au sein de laquelle “la fidélité est toujours possible”.

“Le rapport homme-femme est l’un des piliers de la structure sociale traditionnelle, il ne saurait être modifié sans remettre toute la société en question”, a-t-il commenté. “Pourtant, l’attitude de certains maris contraint les femmes à accepter une sexualité à risque à leur corps défendant. Il s’agit là d’un sujet de préoccupation majeure.”

Des études récentes ont ainsi montré qu’au Cameroun 64 pour cent des filles âgées de 15 à 19 ans sont mariées ou vivent en union.

Parler du préservatif, ou des moyens de l’évoquer, devient ainsi une vraie gageure. “Les différentes campagnes de sensibilisation recommandent de disposer de préservatifs dans le cas où leur partenaire n’en aurait pas. Cela se heurte à de nombreux malentendus : la possession de capotes installe un climat de méfiance entre les partenaires.”

Sans compter que dans certaines provinces du pays, le préservatif est souvent assimilé à une amulette : il suffit d’en avoir un dans la poche pour être protégé des infections sexuellement transmissibles. Selon le professeur Tsala, les dernières campagnes de sensibilisation ont dû intégrer cette dimension fétichiste.

“Les représentations sociales de cette nouvelle maladie, de la vie et de la mort, les croyances, les cultures locales, les comportements sexuels, les statuts de la femme, les religions, le rapport du citoyen à l’Etat sont autant de ‘partenaires’ avec lesquels il faut entrer en négociation pour être efficace”, a commenté le professeur.

Insistant sur la signification culturelle de la vie et de la mort dans les sociétés traditionnelles, le professeur Tsala s’est interrogé sur la manière d’évoquer ces notions sensibles dans les messages de prévention.

“Est-ce que les gens auxquels on s’adresse ont vraiment envie de vivre ? Ils peuvent avoir des comportements autodestructeurs que nous ne maîtrisons pas”, a-t-il expliqué. “La valeur que l’on donne à sa vie est subjective et on peut très bien me répondre : Est-ce que je vous ai dit que la vie était si belle pour moi que je veuille la préserver ?”

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