La lutte contre l’utilisation des enfants soldats reléguée au second plan

Publié le 7 novembre 2012 sur OSIBouaké.org

Johannesbourg, 6 novembre 2012 - IRIN - La Loi sur la prévention de l’utilisation des enfants soldats (Child Soldier Prevention Act, CSPA) est un bon exemple de législation bipartite en matière de droits de l’homme. Parrainée par des sénateurs démocrates et républicains et promulguée en 2008 par le président républicain George Bush, la loi est entrée en vigueur sous la présidence démocrate de Barack Obama. Malgré ce consensus politique toutefois, les États-Unis répugnent à appliquer strictement la loi et invoquent, pour se défendre, les intérêts sécuritaires nationaux.

Richard Clarke, directeur de l’organisation non gouvernementale (ONG) Child Soldiers International, a dit à IRIN que la loi, qui interdit la fourniture d’une aide militaire et la vente d’armes aux gouvernements qui continuent d’utiliser des enfants soldats, pouvait offrir « un puissant levier ».

« Depuis l’entrée en vigueur de la loi, il y a trois ans, le président a accordé des dérogations à certains pays afin de préserver les intérêts américains. L’impact potentiel de la CSPA est considérablement réduit par ces dérogations répétées, en particulier lorsque celles-ci sont perçues comme la règle plutôt que l’exception », a-t-il dit.

Dérogations

On peut lire, dans un mémorandum présidentiel daté de septembre 2012 : « Il est dans l’intérêt national des États-Unis de renoncer à l’application de l’interdiction [de la CSPA]… en ce qui concerne la Libye, le Soudan du Sud et le Yémen ; et [...] de renoncer en partie à l’application de l’interdiction… en ce qui concerne la République démocratique du Congo [RDC] afin de permettre la poursuite du Programme international d’éducation et d’entraînement militaire (IMET), la fourniture de surplus d’équipements militaires non létaux et l’octroi de licences pour la vente directe de matériel militaire fabriqué aux États-Unis. »

En 2010, le Tchad, la RDC et le Yémen ont été dispensés d’appliquer la loi. Ces pays ont encore une fois échappé à toute sanction en 2011, tout comme le Soudan du Sud.

Le directeur général des relations avec le gouvernement américain d’Amnesty International, Adotei Akwei, a écrit, dans un compte-rendu publié en octobre 2012 et intituléEnding the Use of Child Soldiers : One Step Forward [Mettre fin à l’utilisation des enfants soldats : un pas en avant] : « L’argument de l’administration selon lequel le Soudan du Sud n’est pas techniquement assujetti à la CSPA parce qu’il n’était pas encore un pays quand la loi est entrée en vigueur est peut-être crédible d’un point de vue juridique, mais il n’apporte rien aux enfants du Soudan du Sud et ne contribue pas non plus à présenter les leaders américains sous un jour très positif. »

Le gouvernement américain sait que ces pays continuent d’utiliser des enfants soldats. Dans son rapport 2012 sur la traite des personnes [Trafficking in Persons, TIP], le département d’État américain a indiqué que les Forces armées de la RDC (FARDC) continuaient de recruter de force des enfants et que « certains commandants de l’armée avaient, en toute impunité, activement saboté les efforts pour inspecter leurs unités respectives et démobiliser les enfants qui en faisaient partie ».

En vertu de la loi, les pays qui recrutent ou utilisent des enfants soldats au sein de leurs forces armées ou de milices bénéficiant du soutien du gouvernement peuvent seulement obtenir de l’aide pour professionnaliser leur armée et ainsi mettre fin à l’exploitation des enfants qui figurent dans leurs rangs.

Une loi affaiblie

Le conseiller principal en matière de politiques pour la protection des enfants auprès de Vision du monde, Jesse Eaves, qui est basé aux États-Unis, a dit à IRIN que Washington avait resserré sa collaboration avec les pays dont les forces armées comptent des enfants dans leurs rangs, mais « n’exigeaient pas d’eux qu’ils se conforment aux dispositions de la Loi sur la prévention de l’utilisation des enfants soldats ».

« En accordant une dérogation à un pays identifié dans le rapport du département d’État sur la traite des personnes comme recrutant des enfants au sein de son armée nationale, le gouvernement américain affaiblit l’autorité de la loi, car il n’exige pas que ce pays démobilise les enfants qui font partie de ses forces armées », a dit M. Eaves.

Jo Becker, conseillère de la division Droits de l’enfant de Human Rights Watch (HRW), basée aux États-Unis, a dit à IRIN que les dérogations montraient que le pays avait d’autres priorités, « notamment les alliances militaires et les efforts de contre-terrorisme ».

« Ce qu’il y a de positif toutefois, c’est que l’administration [Obama] a certainement renforcé son engagement diplomatique envers les pays qui utilisent des enfants soldats en soulevant la question à plusieurs reprises avec des haut placés », a-t-elle dit. Cet engagement a poussé le Tchad et le Soudan du Sud à signer des plans d’action avec les Nations Unies pour mettre fin à l’exploitation des enfants soldats, a-t-elle ajouté.

Utilisation des enfants soldats dans le monde

La définition d’enfant soldat de la CSPA inclut les enfants recrutés comme combattants, mais aussi ceux qui « exercent d’autres fonctions, et notamment des rôles de soutien comme ceux de cuisinier, porteur, messager, infirmier, garde ou esclave sexuel ».

« Depuis 2000, la participation d’enfants soldats a été rapportée dans la plupart des conflits armés et dans presque toutes les régions du monde. Même s’il n’existe pas de chiffres exacts et que leur nombre change constamment, on estime que des dizaines de milliers d’enfants de moins de 18 ans continuent de servir dans des forces gouvernementales ou des groupes d’opposition armés. Et parmi eux, certains ont moins de 10 ans », a indiqué l’organisation Child Soldiers International.

« Depuis 2010, 20 États ont eu recours à des enfants soldats dans des conflits armés et de nombreux autres risquent de le faire », indique un rapport publié récemment par l’ONG.

Les avantages de l’utilisation des enfants soldats sont multiples. Outre la facilité d’endoctrinement, fréquemment évoquée, on peut citer la capacité des enfants à utiliser et à entretenir les armes modernes, plus légères, et leurs besoins nutritionnels moins importants que ceux des adultes.

« Un avantage additionnel réside dans la relative invisibilité des enfants lorsqu’il s’agit d’effectuer des reconnaissances d’un dispositif ennemi. Ainsi, en Ouganda : ‘Les adolescents soldats [de l’Armée de résistance nationale de Yoweri Museveni] ont joué un rôle significatif dans la prise de Kampala [en 1986]. Habillés en haillons, ils se promenaient librement autour des positions ennemies dans la capitale pour récolter des renseignements’ », selon un rapport publié en 2011 dans la Revue internationale de la Croix-Rouge.

Absence de lois nationales

Dans la législation internationale en matière de droits de l’homme, le droit international humanitaire (DIH) et les protocoles internationaux, il existe de nombreuses dispositions interdisant l’utilisation d’enfants soldats. De la même façon, le recrutement de combattants de moins de 15 ans est considéré comme un crime de guerre. En règle générale toutefois, les lois nationales spécifiquement destinées à décourager le recours aux enfants soldats sont rares.

D’après les informations obtenues par Child Soldiers International, seules la Suisse et la Belgique ont, comme les États-Unis, « promulgué des lois qui rendent les exportations d’armes conditionnelles à la renonciation du pays bénéficiaire au recrutement et à l’utilisation d’enfants soldats », a dit M. Clarke.

En Suisse, l’Ordonnance de 1998 sur le matériel de guerre cite, parmi les critères d’autorisation pour les marchés passés avec l’étranger, « la situation qui prévaut dans le pays de destination ; il faut tenir compte du respect des droits de l’homme et de la renonciation à utiliser des enfants soldats ». Selon le rapport de Child Soldiers International toutefois, « on ignore si des transferts d’armes ont été refusés sur la base de ces dispositions et, si oui, à quels pays ».

La Belgique a également promulgué une loi qui limite les exportations d’armes aux pays connus pour utiliser des enfants soldats, mais elle a aussi ses lacunes. « En excluant les groupes armés qui sont distincts des forces armées d’un État, la loi ne couvre pas ceux qui bénéficient de son soutien », indique le rapport de Child Soldiers International. « Par ailleurs, vu l’absence d’informations accessibles au public concernant le nombre de licences qui ont été refusées et à quels pays, l’impact concret de la loi belge ne peut être vérifié. »

« En privant les gouvernements d’une portion de l’aide militaire jusqu’à ce qu’ils cessent d’utiliser des enfants soldats, les États-Unis ne risquent pas de compromettre leurs relations avec ces pays » Selon M. Clarke, d’autres États – l’Allemagne, la Bulgarie, la Croatie, l’Espagne, la France, l’Irlande et le Royaume-Uni – affirment que leur législation, complète, ne permet pas les exportations d’armes aux pays qui ont recours aux enfants soldats. « D’autres, comme le Chili, Israël, l’Italie, la Moldavie, le Monténégro, la République de Corée, la Serbie, la Slovénie, la Suède et la Tanzanie, disent avoir des politiques ou des lois nationales interdisant la vente d’armes aux gouvernements responsables de violations des droits de l’homme ou, plus largement, aux pays impliqués dans des situations de conflit armé. »

Le pouvoir des dérogations partielles

Les États-Unis semblent faire preuve d’une grande souplesse dans leur application de la CSPA. Or, même l’imposition partielle de la loi s’est révélée fructueuse. Les activistes des droits de l’homme ont fait toutes sortes de suppositions quant aux conséquences potentielles de son application rigoureuse.

Selon HRW toutefois, les dérogations partielles pourraient être utilisées plus efficacement. La dérogation partielle accordée à la RDC limitait le soutien des États-Unis à la formation militaire, et le montant de l’aide financière suspendue l’an dernier était estimé à 2,7 millions de dollars.

« Nous avons été particulièrement déçus que Washington n’ait pas utilisé davantage les dérogations partielles », a dit Mme Becker, de HRW. « Les États-Unis ont suspendu l’aide financière militaire accordée à la RDC pendant deux années consécutives et annoncé, en septembre [2012], qu’ils n’offriraient pas de formation militaire à un second bataillon tant que la RDC ne signerait pas un plan d’action avec les Nations Unies pour la démobilisation de ses enfants soldats. Après sept ans de tergiversations, le gouvernement a signé le plan d’action quelques jours après cette annonce. »

Les États-Unis ont entraîné un bataillon des FARDC, ce qui leur a coûté environ 15 millions de dollars. L’entraînement avait notamment pour objectif d’instiller une culture de respect des droits de l’homme chez les membres de l’unité. Le bataillon, auparavant stationné à Dungu pour mener des opérations contre l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), a été redéployé à Goma, la capitale du Nord-Kivu. On s’attend à ce que l’unité, composée de 750 hommes, soit utilisée pour mener des opérations contrele groupe armé M23. Les deux groupes armés comptent beaucoup d’enfants soldats dans leurs rangs.

« En privant les gouvernements d’une portion de l’aide militaire jusqu’à ce qu’ils cessent d’utiliser des enfants soldats, les États-Unis ne risquent pas de compromettre leurs relations avec ces pays et envoient un message fort selon lequel l’élimination du recours aux enfants soldats est une priorité pour les États-Unis », a dit Mme Becker.

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