Mémoires du sida, trente ans à travers les récits des PVVIH

Publié le 29 octobre 2012 sur OSIBouaké.org

Crips - 26 Octobre 2012 - Reflet du ressenti et du vécu de centaines de personnes, les archives de la recherche en sciences sociales et les entretiens réalisés dans ce cadre depuis les débuts de l’épidémie de VIH  /sida   représentent une source unique d’informations à dimension humaine. Philippe Artières, historien, et Janine Pierret, sociologue, ont puisé dans cette richesse pour restituer la parole des PvVIH   (Personne vivant avec le VIH  ). Leur ouvrage apporte un témoignage à la fois anonyme et polyphonique qui opère un "travail nécessaire de mémoire".

L’histoire de la découverte des premiers cas de l’infection ou du virus de l’immunodéficience humaine, celle de la recherche médicale, des antirétroviraux, des trithérapies sont présentes dans la littérature. Des témoignages particuliers ont marqué leur génération comme ceux de Raymond Aron, Cyril Collard ou Hervé Guibert. Au-delà de ces facettes, les auteurs ont voulu donner la parole à des inconnus qui, pour vivre la maladie dans leur singularité propre, n’en expriment pas moins ses aspects quotidiens et les réactions d’une société confrontée à ses peurs. "C’est la seule polyphonie qui peut rendre compte du social." Leur ouvrage cherche à "combler un trou de mémoire aussi vieux que [l’]épidémie", mais aussi à "comprendre pourquoi cette mémoire reste défectueuse."

"Un entretien est d’abord une rencontre avec un sujet et sa manière de dire et de se dire." La collecte de ces données, de ces moments de vie, a commencé dès 1985 avec Michael Pollak puis s’est poursuivi avec Janine Pierret, Danièle Carricaburu, Michèle Duroussy... Elle couvre la brève histoire de l’épidémie en France et des chercheurs ont suivi certaines personnes atteintes pendant plusieurs années. Ce qui en fait un "formidable trésor". Si les hommes homosexuels sont largement représentés, miroirs de la vulnérabilité d’une communauté entière, les voix des hémophiles, parfois très jeunes, des usagers de drogues, des femmes et des hommes hétérosexuels ne sont pas absentes de ce récit collectif. Manque par contre massivement celles des migrants originaires d’Afrique subsaharienne.

L’ouvrage se structure en quatre parties.

"La vie avant 1980" évoque l’homosexualité clandestine, l’attrait des Etats-Unis et le début des backrooms, les transfusions de bras à bras et les premiers produits sanguins qui révolutionnent le quotidien des hémophiles. "Les années noires (19881-1986)" racontent l’incrédulité, la peur, le désarroi des médecins, les lâchetés et le rejet, le silence, la mort, et quelle mort !, les morts, si nombreux. "Le temps où l’on rayait sans cesse sur son agenda les coordonnées des amis disparus. " "La bataille (1987-1995)" montre l’écart entre le discours public, médiatique et politique, et le silence privé, les difficultés pour parler de sa séropositivité, les incompréhensions de l’entourage. La souffrance, la fatigue omniprésente, l’épuisement psychologique plombent les jours. Les premiers médicaments sont mis à l’étude ; les premiers essais thérapeutiques s’organisent, dans lesquels s’investir. Car ces années sont aussi celle de l’engagement, de la prise de parole, de la revendication d’une place unique dans la recherche, du militantisme. La dernière partie s’articule autour de "l’événement de Washington", c’est-à-dire de la CROI (Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections) de février 1996 où furent révélés les spectaculaires résultats d’une trithérapie antirétrovirale comprenant un médicament d’une nouvelle classe, les inhibiteurs de protéase. Elle dit l’espoir, la galère des multiples comprimés avec leurs contraintes de prise et leurs effets secondaires. Elle dit l’avenir qui s’ouvre à nouveau, la difficulté de "faire le deuil du deuil" et la culpabilité, parfois, d’être toujours vivant alors que tant d’autres... Elle n’oublie pas le long terme, le traitement à vie, le poids du secret, la solitude souvent.

Ce livre offre au total une vision de la maladie à la fois unie et morcelée, collective et singulière, parfois contradictoire, puisque chacun relate sa propre expérience. "Silence = mort" comme le proclame le slogan d’Act Up. L’important pour les auteurs était que les récits émanent des PvVIH   elles-mêmes. "Il s’est agi de faire entendre cette parole donnée."

Mémoires du sida   : Récit des personnes atteintes, France, 1981-2012 / P. Artières, J. Pierret. - Paris : Bayard, 2012. - ISBN 978 2 227 48302 6. - 195 p.

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