Ecrire sur les orphelins du SIDA, un jeu d’équilibre

Publié le 31 octobre 2005 sur OSIBouaké.org

Inter Press Service (Johannesburg) Le sort des orphelins du SIDA   au Swaziland, actuellement aux prises avec le taux de prévalence de VIH   le plus élevé au monde, est une question qui demande une couverture médiatique. Toutefois, les journalistes se retrouvent souvent dans un dilemme quant à la meilleure manière de l’aborder.

"Un enfant pourrait être marqué à vie par quelque chose qui est écrit sur lui ou elle, même si l’intention est d’attirer l’attention sur une situation malheureuse afin de trouver de l’aide ou un remède", déclare Sara Page, directeur adjoint de ’Southern African AIDS Information Dissemination Service’ (Service de dissémination de l’information sur le SIDA   en Afrique australe - SAfAIDS), une organisation non gouvernementale (ONG) basée à Harare.

Selon le Programme conjoint des Nations Unies sur le VIH  /SIDA  , le taux d’infection de VIH   au Swaziland s’élève à 38,8 pour cent. Quelque 60.000 enfants ont perdu leurs parents à cause de la pandémie dans ce pays d’Afrique australe, un chiffre qui devrait doubler dans les quatre années à venir. (La population totale du Swaziland est actuellement estimée à environ 1,1 million d’habitants).

D’ici à 2010, une personne sur six dans la nation sera un enfant ayant moins de 15 ans qui a perdu ses deux parents pour cause de SIDA  .

"Les articles de presse sur le sort de ces enfants, qui ont été publiés pour essayer de sensibiliser la société sur la gravité du problème, ont eu tendance à accroître le traumatisme auquel ces enfants sont confrontés dans leurs vies", affirme Sazikazi Thabade, un journaliste qui fait des reportages sur le SIDA   pour le ’Times of Swaziland’.

Ceci est particulièrement vrai pour des reportages montrant des images des orphelins de SIDA   concernés — ou d’enfants qui ont été victimes d’abus.

Même si les médias swazis masquent les yeux d’un enfant dans une photo avec un rectangle opaque, ceci s’est révélé dans une large mesure inefficace pour cacher son identité.

"Il est décevant de tomber sur l’histoire d’une enfant qui a été violée par un enseignant, et il y a une photo couleur l’accompagnant, montrant l’enfant dans son uniforme scolaire avec une petite oeillère placée sous ses yeux", déclare Hlobsile Dlamini, un conseiller au ’Swaziland Action Group Against Abuse’ (Groupe d’action contre l’abus au Swaziland) qui offre une assistance médicale aux victimes de mauvais traitements. "Avec très peu d’effort, les gens de sa communauté peuvent repérer l’identité de l’enfant", ajoute Dlamini.

"Il/elle peut ensuite être un objet de risée pour ses pairs, et parfois une honte pour la communauté à cause de sa terrible épreuve. Ceci, et les reportages de suivi sont plus traumatisants pour l’enfant — et ils ne sont pas dans l’intérêt du public, comme peuvent l’affirmer certains directeurs de publication.

Un journaliste photographe freelance, interrogé par IPS, a souligné que certains orphelins du SIDA   sont même mal à l’aise à l’idée de se faire photographier — indépendamment des problèmes qui peuvent survenir une fois que les images sont publiées.

"Les gosses aiment être pris en photos, mais pas les orphelins", a indiqué le reporter photographe. "Ils sont timides et complexés. Ils ne veulent pas se faire remarquer".

Les directeurs de publication se sont réunis sous les auspices du SAfAIDS et de l’Institut des médias d’Afrique australe (MISA) récemment pour discuter à fond d’une politique de reportage sur les orphelins du SIDA   et les enfants qui étaient autrement vulnérables. (Le MISA est une ONG qui fait la promotion de la liberté de la presse. Il est actif dans 11 Etats membres de la Communauté de développement d’Afrique australe.)

Selon le directeur de MISA Swaziland, Comfort Mabuza, les journalistes ne sont pas les seuls à blâmer par rapport à la couverture indélicate des enfants. "Une certaine formation sur la sensibilisation est toutefois nécessaire pour les organisations non gouvernementales de bien-être social, elles-mêmes, s’occupant des enfants, en termes de questions éthiques (à propos) du reportage sur les enfants", a-t-il noté.

"Ces organisations alimentent souvent les histoires sensationnelles des médias pour susciter de la sympathie et recueillir des fonds".

Toutefois, le plus gros préjudice est peut-être causé lorsqu’on considère que la couverture des enfants vulnérables — indélicate ou non — est dans une large mesure inutile.

Au cours d’une récente visite du vice-Premier ministre, Albert Shabangu, dans des centres de soins communautaires, où les enfants reçoivent des repas et des enseignements scolaires, un groupe d’enfants a chanté la chanson suivante : Des gens viennent ; Ils prennent nos photos ; Ils s’en vont écrire des articles ; Mais pour nous, rien ne change.

Les journalistes répondent qu’un moyen sûr de maintenir le statu quo à propos des orphelins du SIDA   est de ne pas écrire sur leurs histoires.

Mais, même ceux qui s’embarquent sur ce sujet avec les meilleures intentions, peuvent réaliser qu’aucune bonne action ne reste sans être critiquée.

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