"Prison break" à Kinshasa

"Adieu l’enfer", un documentaire de Madeleine Rabaud et Arnaud Zajtman.

Publié le 11 octobre 2012 sur OSIBouaké.org

  • "Adieu l’enfer", sur Arte, samedi 13 octobre 2012, 18h35

"Prison break" à Kinshasa

Le Monde.fr - 05/10/2012 - Jean-Philippe Rémy

Il est rare qu’un condamné à mort s’échappe de la prison de Makala, à Kinshasa. Il est encore moins fréquent qu’il parvienne à filmer de l’intérieur cet enfer avant de le quitter, déguisé en femme, lourdement maquillé, pour ne pas être reconnu par les gardiens.

Il est enfin tout à fait exceptionnel que le condamné soit l’un des acteurs involontaires de l’un des épisodes les plus complexes et les plus terribles de l’histoire récente d’un pays fertile en drames, la République Démocratique du Congo (RDC) : celui de l’assassinat par son garde du corps du Président Laurent-Désiré Kabila, en janvier 2001.

Si l’on ajoute à cela que l’homme concerné, Antoine Vumilia, est aussi un auteur-né, dont quelques textes passés clandestinement de prison forcent le respect, on comprendra l’intérêt du documentaire qui lui est consacré, Adieu l’enfer. Ce film, réalisé par Arnaud Zatjman (ancien pigiste à Kinshasa pour Le Monde) et Marlène Rabaud, est diffusé sur ARTE samedi 13 octobre à 18 h 35. Au moment même où François Hollande se rend au 14e sommet de la Francophonie à Kinshasa, qui se tient du 12 au 14 octobre, et où le Président de la République avait d’abord envisagé de ne pas se rendre.

Antoine Vumilia, l’un des responsables des services de renseignements à la présidence congolaise, a été arrêté après le meurtre du Président "Mzee" (le"vieux") Kabila, en même temps que des dizaines d’autres. Un procès collectif, tenu devant la Cour d’ordre militaire, avait ensuite été bâclé, politique, cafouilleux. Quatre-vingt cinq condamnations, dont trente à la peine capitale, incluant celle d’Antoine Vumilia, y avaient été prononcées.Depuis quelques années, "Vumi" avait vu sa peine commuée en détention à perpétuité, mais s’était juré de ne pas mourir à petit feu. Il a tenu parole.

En 2010, lors du cinquantenaire de l’indépendance, il avait espéré obtenir une grâce présidentielle, émanant de Joseph Kabila, fils de Laurent-Désiré Kabila, au pouvoir depuis la mort de son père. Cette grâce n’est pas venue. Adieu l’enfer est le récit de la détention, de la fuite, puis de la "nouvelle naissance" d’un homme condamné par erreur à perdre sa vie au compte-gouttes pour une "escroquerie" d’Etat. Maladroit parfois, le documentaire a la force de ce témoignage.

Il n’est pas indifférent, lorsqu’on met le pied dans une capitale, d’en comprendre certains aspects cachés. Antoine Vumilia, filmé en liberté, a ces mots simples pour décrire l’enfer où il a passé dix ans de son existence : "la prison est organisée comme le pays, sur la base de la corruption, de l’hypocrisie et de la violence".

On pourrait objecter qu’il n’a pas eu beaucoup le loisir d’observer de manière sereine son propre pays dans le décennie écoulée. Mais ce serait nier la force d’une histoire personnelle, qui rejoint celle d’un pays, et l’a amené entre ces murs. En prison, "Vumi" a écrit sur la RDC des pages d’une lucidité effroyable, des textes passés en douce qui figurent dans des créations qui se jouent sur les scènes iinternationales sans qu’il soit possible de le faire savoir. Les créateurs congolais ne peuvent s’exposer au danger de citer son nom : ainsi va la RDC.

Mais Adieu l’enfer est avant tout l’histoire d’un emprisonnement, d’une évasion et d’une vie après le pénitentiaire de Makala, "prison centrale de Makala", qui tire son nom d’un quartier où ... il ne se trouve justement pas. Dans cette histoire, ce n’est que le premier des pièges. Il y en aura bien d’autres. Celui de la "révolution" qu’Antoine Vumilia a cru suivre en rejoignant, en 1996, les forces rebelles de Laurent-Désiré Kabila, dans l’est du pays (région de Kisangani) dont il est originaire. Et qui "nétait en fait qu’une grosse escroquerie". "Adieu l’enfer" est le récit de la détention, de la fuite, puis de la "nouvelle naissance" d’Antoine Vumilia, condamné par erreur à perdre sa vie au compte-gouttes pour une "escroquerie" d’Etat.

La nature profonde de cette escroquerie, et des injustices qui l’accompagnent, voilà les sujets de réflexion d’un Vumilia fraîchement évadé, et en transit au Congo-Brazzaville. Parmi ces injustices, est-il un exemple plus grave que celui de la Makala ? La caméra que des proches ont fait passer à Antoine Vumilia permet de saisir l’intensité de cette question par des séquences tournées discrètement, dans les pièces où s’entassent les "moribonds", squelettes encore en vie, ou lors d’une effroyable scène de règlements de comptes entre détenus, coordonnée par le "comité d’ encadrement" de la prison, mafia des droits communs qui régente le lieu de détention.

En prison, on s’organise malgré tout. Et puis tout s’effondre. Les détenus qui appartiennent au groupe des condamnés du procès de l’assassinat de "Mzee" avaient été placés à l’origine dans un quartier à part. Cela ne les empêchait pas d’être de plain-pied dans la violence de la prison. Puis, ils ont été dispersés au milieu des droits communs, chargés de les surveiller.

Antoine Vumilia est parvenu à payer pour rester dans une cellule, a y concevoir un enfant, à, s’équiper d’un téléphone, avec lequel il correspondait en utilisant Facebook. Pendant la coupe du monde de football en Afrique du Sud, en 2010, nous lui racontions certains épisodes de la compétition.

Depuis la "Maca", Antoine Vuliama, essayait d’imaginer l’Afrique en liesse dans les stades sud-africains. A présent, nous attendons ses textes de liberté.

Attention, ils pourraient être grands, aussi grands que la peine qui sourd de chacune de ses paroles.


Présentation du film

“Adieu l’enfer” est le portrait d’Antoine, un prisonnier politique qui est parvenu à filmer la terrible prison de Makala au Congo et à s’évader après 10 ans de détention. Déguisé en femme, il est sorti comme tous les autres visiteurs par la porte principale surveillée par les gardiens qui ne l’ont pas reconnu. En exil, Antoine est devenu metteur en scène pour dénoncer la dictature de son pays et tenter d’élever le niveau de conscience des peuples endormis.

Le film revient sur le parcours d’Antoine ces dix dernières années en commençant par sa condamnation à mort par un tribunal militaire qui l’a condamné injustement avec des dizaines d’autres boucs-émissaires pour l’assassinat de l’ancien Président du Congo, Laurent-Désiré Kabila. Sa peine sera commuée plus tard en peine à perpétuité grâce à l’intervention d’organisations de défense des droits de l’homme.

Antoine est alors envoyé dans la prison de Makala où ce sont des prisonniers choisis par le directeur qui gardent les autres prisonniers. Les gardiens officiels restent à l’entrée de la prison pour faire entrer et sortir les visiteurs.

Grâce aux images tournées clandestinement pendant plusieurs mois dans sa cellule et dans les cachots les plus sordides de cette ville-prison, Antoine nous raconte comment il a survécu à la violence et au manque de nourriture.

Tel un reporter avide de vérité et de justice, il filme les mouroirs où sont entassés les prisonniers les plus démunis et l’exécution de prisonniers indisciplinés par les prisonniers kapos. Antoine a réussi à survivre grâce à l’aide de sa famille qui lui a amené chaque semaine de la nourriture et un peu d’argent pour assurer sa sécurité. La corruption est partout au Congo.

Un jour de visite, sa nièce est venue pour le maquiller et le déguiser en femme. Ca a marché et il a retrouvé sa liberté !

Il a ensuite traversé le fleuve Congo pour se réfugier à Brazzaville et obtenir le statut de réfugié politique par le HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations-Unies).

L’attente dura une année pendant laquelle il monta une pièce de théâtre avec une troupe amateur. Le message est clair et subversif : la dictature se nourrit du silence des peuples et il faut briser ce silence.

Quelques mois avant son évasion, Antoine reçut la visite de sa femme venue lui annoncer qu’elle le quittait. Elle n’avait plus le courage d’affronter la vie seule. Ensemble, ils ont eu deux enfants, Flora qui avait 6 mois lors de son arrestation et Michel Ange qui a été conçu en prison.

Quand Antoine reçut son statut de réfugié, il réussit à convaincre son ex-femme de lui envoyer les enfants pour qu’ils partent tous les trois vers leur nouveau pays d’accueil, la Suède.

Là-haut dans le frigo, comme le dit Antoine, le combat continue !


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