Act de Denis Darzacq

Prolongation de l’exposition consacrée à Act, à la galerie Vu’, jusqu’au 21 Janvier

Publié le 9 janvier 2012 sur OSIBouaké.org

OSI Bouaké - Didier Grouard - 8 Janvier 2012 - A OSI Bouaké, nous suivons depuis longtemps le travail du photographe Denis Darzacq, la prolongation jusqu’au 21 Janvier de son exposition Act, à lagalerie Vu’, nous donnes l’occasion de vous en parler, et de faire découvrir ce photographe à celles et ceux qui ne le connaitraient pas encore.

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© Denis Darzacq / Galerie VU’

Avec Act, son dernier travail , Denis Darzacq s’attaque à la représentation du handicap   dans la société. Photographiant encore une fois, les corps dans l’espace mieux que personne, Denis Darsacq inscrit Act, dans la droite ligne de ses précédents travaux (Nus, la Chute, Hyper...), mais Act, est sans doute son sujet le plus abouti, peut être à la fois le plus enchanteur et le plus déstabilisant.

Pour lui, il fallait échapper à la triple peine dont souffre habituellement le handicap   dans sa représentation :

  • le handicap   lui même
  • l’exclusion de la société commune, et le cantonnement au milieu médicalisé et à un environnement surprotégé
  • l’absence d’image, circulant dans les médias.

Pari réussi, car c’est exactement ce qui se passe, Denis Darzacq nous donne à voir le handicap  , hors de toute représentation.

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© Denis Darzacq / Galerie VU’

En nous montrant des personnes handicapés, en extérieur ou dans des lieux publics, mis à nus, c’est à dire débarrassés de toute assistance humaine ou médicale (personnel médical, fauteuil...), leur offrant à travers son objectif pour une fois le bonheur de faire parler leur corps, il nous laisse sans point de repères. Devant ces images, nous prenons vite conscience, combien la représentation classique du handicap   était ancrée en nous. Avec cette nouvelle façon de voir , passé l’émotion initiale, on est très vite saisi de vertiges, on ne sait plus ou l’on est, on ne sait plus ce que l’on regarde, privé de ses clichés sur-signifiants, le handicap   s’efface totalement et un autre lien se recrée, l’étrangeté, l’altérité laisse place à la familiarité avec parfois l’impression de se voir dans chacune de ces images, comme dans un miroir : au final Act est une expérience unique, un travail qui nous happe et nous déconstruit !

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© Denis Darzacq / Galerie VU’

Un Act(e) photographique à voir absolument !


Pour aller plus loin, dans la découverte de Denis Darzacq, je joins un article de Luc Desbenoit, paru dans Télérama, et la présentation de l’exposition Act, par la galerie Vu, que je ponctuerais de quelques images...

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© Denis Darzacq / Galerie VU’

Luc Desbenoit - Telerama n° 3229 - 03 décembre 2011 -


Entre ses mains, un appareil photo devient un instrument de sortilèges. Une baguette magique. Comment expliquer autrement le pur enchantement que Denis Darzacq fait surgir dans ses images sur les handicapés, exposées à la galerie Vu’, à Paris ? Il photographie des corps parfois difformes, qu’on devine gauches, maladroits, désynchronisés. Qu’on devine seulement, car Darzacq le fait oublier en captant une gestuelle pleine de grâce, avec une élégance rare. On ne peut s’empêcher de le comparer à Diane Arbus, qui triomphe au Jeu de paume . Quelle superbe coïncidence d’agenda. Fascinée par les freaks, les phénomènes de foire, l’Américaine, disparue en 1971, n’arrivait plus à voir l’humanité qu’à travers ces derniers, jusqu’à détecter l’étrangeté monstrueuse chez les gens les plus ordinaires. Darzacq adopte la démarche opposée, en révélant la beauté là où on ne la voit pas.

Agé de 50 ans, formé à l’Ecole des arts déco de Paris, sa ville natale, Denis Darzacq a peu à peu affiné sa méthode de travail. Unique à notre connaissance. Ses sujets de prédilection touchent aux minorités, aux populations stigmatisées ou simplement ignorées. Après avoir fait ses armes au quotidien Libération, il réalise que le reportage pur et dur n’est pas sa tasse de thé, tant il se refuse au témoignage compatissant, à enregistrer le réel tel qu’il se présente. Lui préfère le contourner pour mieux le dévoiler, en donnant la parole à ses modèles, avec le seul langage audible en photographie, celui du corps. Ainsi, peu après les émeutes de Seine-Saint-Denis survenues en 2005, le photographe avait demandé à de jeunes danseurs de rue, de hip-hop ou de capoeira, hommes et femmes de toutes origines, d’effectuer des sauts acrobatiques devant son objectif. Son idée consistait à arrêter l’image au moment où les corps semblent voler au ras du bitume, s’extraire de l’apesanteur terrestre dans des contorsions baroques, extatiques, sur fond de décors urbains. C’est aérien, gracieux, léger, envoûtant. Ces clichés ne nécessitent aucune légende. Car, de façon évidente, Darzacq illustre dans chaque scène l’énergie culottée de toute une jeunesse, tenue à l’écart et promise à « La Chute », le titre de sa série.

Son travail avec les handicapés n’est pas si différent. Là encore, il les met en scène. Après les corps glorieux, que pouvait-il entreprendre avec des corps considérés - à tort - comme piteux ? Comment les faire parler à leur tour ? Et que leur faire dire ? Le photographe s’est adressé à des centres spécialisés de Brest, de Miami, et à Mind the Gap, une troupe d’acteurs handicapés de Bradford, en Grande-Bretagne. Son projet, qu’il présentait en montrant ses précédents ouvrages (La Chute et Hyper, là encore des vols acrobatiques mais saisis dans des rayons de supermarché), a suscité l’enthousiasme des institutions.

Accidentés de la route ayant perdu leur motricité, tétraplégiques, mongoliens, déficients mentaux, jeunes, adultes..., Darzacq a accepté de travailler avec tous ceux et celles avec lesquels il pouvait communiquer, ne serait-ce que par l’intermédiaire des éducateurs sachant décrypter les volontés de ceux qui ne peuvent pas parler. Il leur a demandé d’imaginer une scène, un geste, quelque chose qui les sorte de l’image conventionnelle qui leur colle à la peau.

Photographe de plateau à ses débuts, Darzacq s’est toujours souvenu de l’effet magique du mot « action », qui donne l’autorisation aux acteurs de s’oublier pour incarner un personnage. Comme il l’avait déjà pratiqué avec les danseurs, il a commencé les séances par cette injonction - reprise en titre pour la série sous sa forme contractée « Act » -, qui a le pouvoir de propulser chacun dans une autre dimension.

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© Denis Darzacq / Galerie VU’

Le résultat est magnifique. Dans des décors splendides choisis en collaboration avec les sujets - un parc, une forêt, une rue ouvrière de Bradford, les salles du musée des Beaux-Arts de Brest -, Denis Darzacq dirige une chorégraphie pleine d’étrangeté. De surprises sur la capacité de personnes impotentes à utiliser avec grâce ou humour leur différence. Les angles bizarres de leurs membres.

Image après image, les corps un peu trop gros, ou un peu trop maigres, dialoguent, se répondent. Le photographe les saisit souvent dans un équilibre précaire. Dans des postures qui évoquent les performances de danseurs contemporains, relançant la dynamique du mouvement par des ruptures successives de positions de jambe, de dos penchés en arrière ou basculés vers l’avant. Parfois le corps s’abandonne totalement. Comme pour ce garçon qui a accepté de quitter sa chaise roulante sans laquelle il se sent nu, vulnérable, privé de sa carapace. La seule chose qu’il pouvait faire était de rester allongé sur un tapis de feuilles mortes, apportant à l’ensemble sa fragilité, une pause, une émotion sans égale.

Ce qui rend ces images si touchantes est que le handicap   n’en est pas à proprement parler le sujet. « Act » ne nous apprend rien sur la question. Change-t-il notre façon de voir les choses ? Sans doute pas, ou à notre insu, en douceur. Qui sait si l’on ne regardera pas désormais les handicapés avec les images de Darzacq en tête ?

Luc Desbenoit


Act - Exposition à la galerie Vu’


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© Denis Darzacq / Galerie VU’

Pour sa quatrième exposition à la Galerie VU’, l’artiste présente ses trois séries les plus récentes.

Act (2009-2011) est le fruit d’un long travail que Denis Darzacq a mené, en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, au contact de jeunes et d’adultes en situation d’handicap  . « Après mes précédents travaux, où j’avais photographié des jeunes gens en pleine gloire physique, c’était une façon de conquérir des territoires inconnus, c’est-à-dire de repousser ma peur de l’autre et de sa différence » (extrait d’un entretien avec Virginie Chardin publié dans Act aux éditions Actes Sud). Denis Darzacq les a invités à sortir des lieux médicalisés et à réaliser des gestes souvent inédits pour eux. Si certains sont des acteurs, des sportifs ou des danseurs, tous ont trouvé dans l’action et dans l’appropriation personnelle de l’espace commun le moyen d’affirmer une autre image d’eux-mêmes.

Par comparaison avec ces portraits réalisés dans l’espace public, les hybridations de Recomposition I et Recomposition II (2010-2011) assument, jusqu’à l’abstraction, leur élaboration en atelier et leur nature de montages réalisés à la prise de vue et/ou en post-production. Corps, cartons d’emballage et fragments d’objets mixés et recomposés construisent, selon l’artiste, de pures « images mentales ».

Aussi différentes soient-elles, ces deux séries prolongent la démarche de l’artiste qui, paradoxalement, recourt à l’image construite pour mieux parler du réel qui le fascine, l’intrigue ou le révolte. Les portraits de la série Act renvoient aux mises en scène qui, introduites en 2003 par la série Nu, reposent sur le principe de la disruption. Par leur état ou leur pose, les corps créent une tension avec leur environnement et bouleversent l’ordre établi. Les montages de Recomposition I et Recomposition II s’inscrivent dans cette même logique perturbatrice.

Mises en scène et montages ne visent pas le spectaculaire. Ils servent une réflexion sur les difficultés et les stigmatisations auxquelles se heurtent certains groupes, tout particulièrement les populations en marges. Denis Darzacq pointe les pesanteurs, les contraintes et les contradictions sociales. Mais il invite aussi, par la rupture de gestes apparemment dépourvus de sens, à affirmer une identité toujours plus complexe que celle qui nous est assignée et à reconquérir une forme de liberté là où elle semble avoir disparu.


  • Act - exposition prolongée jusqu’au 21 Janvier : Galerie VU’ - Hôtel Paul Delaroche, 58 rue Saint Lazare 75009 Paris - Métro : Trinité - d’Estienne d’Orves - Tel. : +33 1 53 01 85 85 ou 81 - La galerie est ouverte du lundi au samedi de 14h à 19h ou sur RDV
  • Act , le livre éd. Actes Sud, 136 p., 35 EUR ISBN : 978-2-330-00208-4

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