Sida : 30 ans et l’éradication pour horizon

La lutte contre le virus, surgi en 1981, est à un tournant. Arrêter l’épidémie est possible, si on s’en donne les moyens

Publié le 5 décembre 2011 sur OSIBouaké.org

Libération - 30/11/11 - Par Eric Favreau

La fin du sida   ? Demain, c’est la Journée mondiale de lutte contre le sida  . Et pour la première fois en trente ans - les premiers cas officiels de sida   sont survenus en 1981 -, jamais le thème de la fin de l’épidémie n’a été aussi clairement affiché, aussi bien en France que dans le monde, par le biais de l’Onusida   (programme commun de l’ONU   sur le sida   et le VIH  ). « Arrêter le sida   n’est plus un slogan, c’est tout un programme », annonce très clairement Aides, la plus importante association de lutte contre le sida   en Europe. « Aujourd’hui, nous savons comment mettre fin au sida  , poursuit Bruno Spire, son président. La lutte contre le virus vit son plus grand bouleversement depuis l’arrivée des trithérapies en 1996. La fin de l’épidémie est possible. Les études scientifiques se succèdent, ébauchant le même espoir. Non seulement les traitements sauvent les malades, mais nous sommes désormais certains qu’ils empêchent les nouvelles infections. »

A l’Onusida  , qui présente aujourd’hui son rapport annuel, ce sont presque les mêmes mots utilisés, en tout cas le même objectif : « Des progrès extraordinaires ont été faits au cours des dix dernières années… Nous avons dans nos mains les outils nécessaires pour libérer une génération du sida  . Pour 2015, nous devons arriver à zéro infection, zéro discrimination et zéro décès », écrit Michel Sidibé, directeur exécutif de l’Onusida  . Propos démesurément optimistes ?

Revenons, un instant, en France. Il y a aujourd’hui dans l’Hexagone autour de 6 000 à 7 000 nouvelles contaminations par an. On estime à un peu plus de 150 000 le nombre de séropositifs, dont un tiers ignore leur statut. Les 100 000 restants sont pour la très grande majorité sous traitement, et pour les trois quarts d’entre eux le traitement marche très bien. La grande nouveauté, pour ne pas dire la révolution comme l’évoque l’association Aides, c’est le constat désormais partagé par tous qu’une personne bien traitée n’est plus contaminante.

« Il est toujours difficile d’affirmer à 100% que le risque est nul, rappelle le professeur Bernard Hirschel, infectiologue à l’université de Genève, qui fut le premier à l’affirmer. Mais tous les derniers essais sont particulièrement démonstratifs. Dans les deux essais sur des couples sérodiscordants [1] , concernant plusieurs milliers de personnes, il n’y a eu qu’une seule contamination dans le couple, et encore on n’en est pas vraiment sûr. On peut vraiment dire que lorsque le traitement marche bien, il n’y a plus de transmission, y compris dans les couples gays. »

Fléchissement. D’où le nouveau paradigme de cette épidémie : le traitement comme prévention. « Plus on dépiste, plus on traite tôt, plus on coupe la transmission du virus. En d’autres termes, on arrête l’épidémie », lance ainsi, dans un ouvrage tonitruant [2], le professeur Jacques Leibowitch, à l’origine de la découverte du virus du sida  . Une intuition qui se confirme au niveau planétaire. Dans le rapport de l’Onusida  , les dernières données épidémiologiques le confirment. Avec la montée en puissance du nombre de personnes sous traitement dans le monde (on est passé de 400 000 en 2003 à 6,6 millions de personnes fin 2010), l’épidémie a pour la première fois fléchi : le nombre de nouvelles contaminations est passé de 4 millions à 2,7 millions, et le nombre de décès est tombé en dessous de 2 millions. En même temps, note le rapport, « pour être traité, encore faut-il connaître son statut sérologique, et donc être dépisté ». D’où le gros effort sur le dépistage. « Le nombre de tests de dépistage du VIH   a fortement progressé, écrit l’Onusida  . On estime que près d’une personne séropositive sur deux connaît désormais son statut. Alors qu’il y a quelques années, c’était à peine une sur dix. »

Dépister et traiter massivement, tel est donc le leitmotiv pour casser la pandémie. Et c’est une course de vitesse. Car encore aujourd’hui, pour deux personnes nouvellement mises sous traitement dans le monde, on déplore cinq nouvelles contaminations. « Sans moyens adéquats et détermination politique, l’épidémie avancera toujours plus vite que la lutte », rappelle Aides.

Précarisation. En France, la situation reste paradoxale. On a tout pour arrêter l’épidémie. Or, après avoir diminué significativement entre 2004 et 2007, le nombre de découvertes de séropositivité s’est depuis stabilisé : il ne baisse quasiment plus, l’épidémie restant inquiétante chez les gays. Que faire, alors ? Multiplier les outils de prévention ? Dépister massivement pour identifier les 50 000 personnes infectées qui ne le savent pas ? C’est un des axes du plan de lutte des cinq années à venir : banaliser le dépistage et le rendre presque anodin. Sur le terrain, rien n’est gagné. Différents sondages ont montré que les médecins généralistes ne se sentent pas prêts à proposer régulièrement un test à leurs patients. Une étude récente dans les services d’urgence a montré les limites d’un dépistage indifférencié : sur près de 13 000 patients en urgence testés, 18 seulement sont séropositifs, et ils étaient déjà tous à risque. « Peut-être faut-il aller vers un dépistage un peu plus ciblé », ont conclu les auteurs du travail. « Et puis, lutter contre le sida  , analyse Bruno Spire, c’est tout le contraire de la politique actuelle, qui consiste à faire la chasse aux pauvres et aux étrangers. Cette politique-là, nous constatons chaque jour ses effets délétères sur le terrain. Elle précarise les plus vulnérables et les éloigne du dépistage et de la prise en charge médicale. »

De quel côté va tomber le balancier ? Nous avons les outils pour tourner la page de la plus grande catastrophe sanitaire du XXe siècle, mais les utilisera-t-on ? Quand on demande au professeur Bernard Hirschel s’il voit pour bientôt la fin de l’épidémie, il répond : « Ici, dans les pays riches, on va vivre, sans trop de souci, avec une épidémie limitée, qui diminue peu à peu et que l’on contrôle. La question se pose pour les pays à forte endémie, comme l’Afrique du Sud. Avec l’arrivée des traitements, on voit une baisse réelle de la contamination. Mais reste le problème de fonds : est-ce que les pays riches vont continuer à payer pour les pays pauvres ? »

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[1] Dans un couple, l’un est séropositif, l’autre pas.

[2] « Pour en finir avec le sida », par Jacques Leibowitch, aux éditions Plon.