Un portrait politique de Jean-Vincent Placé, EELV

... qui donne l’occasion à OSI Bouaké d’inaugurer une nouvelle rubrique consacrée aux personnalités publiques ayant été adoptées

Publié le 7 septembre 2011 sur OSIBouaké.org

Megalopolis | 07/09/2011 | Par Jérôme Lefilliâtre

« Parfois on me donne l’image d’un apparatchik sectaire des Verts, parfois celle d’un radical qui aime tout le monde. En vérité, c’est les deux. C’est la complexité des personnages. »

Ambitieux et loyal, bourgeois et écolo, brutal et charmant, Jean-Vincent Placé (« Notre Coréen national » pour l’UMP Alain Marleix) cultive le paradoxe avec un goût certain pour la provocation. Son prochain coup aura lieu le 25 septembre. A cette date, il deviendra sénateur de l’Essonne, reprenant le siège naguère occupé par Jean-Luc Mélenchon.

A 43 ans, lui qui vit dans un appartement de 60 m2 aux Ulis obtiendra son premier poste parlementaire. Quand n’importe quel jeune loup de son âge rêve de l’Assemblée nationale, le numéro 2 d’Europe Ecologie - Les Verts (EELV) préfère aller croûter sous les ors du palais du Luxembourg, où l’on n’est pas élu directement par les citoyens, mais à la grâce des tractations.

Placé, « un politique “IVe République” »

Tout sauf un hasard. L’intrigue, la négociation et le compromis sont la spécialité du vice-président aux Transports de la région Ile-de-France, peu connu du grand public, mais déjà bien installé dans le landerneau politique. « Il peut être très manipulateur pour obtenir quelque chose qui lui convient », dit l’ancien ministre UMP Roger Karoutchi, vieux routier de la chose publique en Ile-de-France :

« C’est un politique “IVe République”, qui se demande sans arrêt : “Qu’est-ce que je peux faire pour mettre la pression ? ” C’est parfois exaspérant : à force de surenchères et de compromis, on ne sait plus bien où on va. »

Lors des discussions suivant les jours d’élections, c’est Placé qui discute le bout de gras avec les cardinaux du PS. Son compère des Verts Denis Baupin, ex-candidat à la mairie de Paris en 2008, confie :

« Moi, je m’occupe de la négociation programmatique, lui de la négociation électorale. Il comprend parfaitement comment fonctionne la politique, quand il faut taper du poing sur la table, mais sans jamais être agressif. C’est le meilleur pour faire ça. Chez les Verts, qui est un parti historiquement protestataire, c’est une compétence unique. »

Le PS, puis les radicaux, puis les Verts

Ce talent, allié à une grosse capacité de travail et une intelligence vantée par ceux qui le côtoient, lui a permis de gravir à toute vitesse les échelons dans la hiérarchie des Verts, où il n’a pourtant adhéré qu’en 2001.

Né en 1968, Jean-Vincent Placé débute sa carrière politique à l’université de Caen, en Basse-Normandie, où il apprend le droit bancaire et l’économie.

Il fait ses premières armes dans les syndicats étudiants, puis se met au service du baron socialiste du coin. Jusqu’à la désillusion d’une défaite, qui le décide à partir tenter sa chance à Paris, au début des années 90.

Il traîne alors ses rêves de gloire chez les radicaux de gauche (PRG). Son mentor s’appelle Michel Crépeau, ex-député-maire PRG de La Rochelle et premier ministre de l’Environnement de Mitterrand.

Assistant parlementaire de ce pionnier de l’écologie en France, Jean-Vincent Placé noue quelques amitiés au palais Bourbon avec les jeunes Verts.

Il les rejoindra après le décès de Michel Crépeau en 1999.

Placé, opportuniste ? « Il sait où il veut aller »

Officiellement Vert mais historiquement « rad-soc », le numéro deux d’EELV serait-il l’archétype du politicien qui navigue entre les partis au gré de ses intérêts ? Un peu, si l’on écoute son frère Hervé, avocat d’affaires à Caen : « Il sait où il veut aller et prendre les virages quand il faut. »

Mais toujours dans le même camp. « C’est un homme d’idées, profondément de gauche, avec une vraie culture politique », croit savoir le député socialiste de Paris Jean-Marie Le Guen.

Assurément très ambitieux, « Jean-Vincent », comme on l’appelle chez les écolos avec un mélange de déférence craintive et de camaraderie intéressée, est également réputé loyal et fidèle.

En 2007, pour les législatives, le PS propose de le soutenir dans la cinquième circonscription de l’Essonne. Il refuse, les Verts n’ayant pas les dix sièges gagnables qu’ils réclament. Avec ce sacrifice originel, il s’attire la sympathie des militants, et prouve qu’il est plus complexe que sa caricature d’homme d’appareil et d’arriviste. Malgré ce que peut en dire Karoutchi :

« Il s’intéresse à ses dossiers, mais ce n’est pas le roi des transports en Ile-de-France. Ce n’est pas qu’il ne suit pas, c’est qu’il n’en a pas envie. Tant qu’il n’aura pas la présidence du Stif [le bras armé de la région en matière de transport, dirigé par Jean-Paul Huchon, ndlr], il ne s’y investira pas totalement. Pour lui, pas question de faire le job pour quelqu’un d’autre. »

Fan de Romy Schneider et de Napoléon

De son chemin politique alambiqué, Jean-Vincent Placé a en tout cas conservé la tendance à être en décalage partout où il passe – et à en jouer avec délectation. Autant son entregent rassure le PS et séduit la droite (« C’est un type très sympa », reconnaît Karoutchi), autant ses costumes griffés détonnent dans les rassemblements écolos.

Quelques camarades ne se privent d’ailleurs pas de railler à voix étouffée son « goût des bonnes choses, des bons vins et des bons restaurants », selon les mots de son frère. On se souvient aussi de ses sorties fracassantes sur le « bide » d’Europe Ecologie, ses engueulades avec Cohn-Bendit qui le traita de « crétin » ou ses mots doux pour Eva Joly, qualifiée un jour de « vieille éthique »…

Le bonhomme s’auto-analyse :

« Mes amis me disent : “Mais comment tu fais pour renvoyer une image aussi décalée de ce que tu es vraiment ? ” Je suis profondément gentil, en vérité, donc j’ai tendance à surjouer le côté carapace matamore. »

Romy Schneider dans "Sissi impératrice".Illustration de ce caractère dichotomique, quand Jean-Vincent Placé reçoit Megalopolis : il feuillette à toute vitesse le dernier numéro du magazine (« Il paraît que vous êtes lus par les décideurs franciliens… »), fixe le cadre de l’entretien (« Vous avez quarante minutes. Allez-y, posez votre première question ») et embraye tout en froideur.

Brutal et méfiant au premier abord, il se détend au fil de la discussion, et lâche finalement dans un sourire charmeur qu’il aime les « films à l’eau de rose » comme « Love Actually » ou « Sissi impératrice », les romans de Balzac et Stendhal, « Le Comte de Monte-Cristo » de Dumas et surtout l’histoire de France, sa grande passion.

Abandonné à la naissance

D’où vient ce caractère tempétueux, aussi variable que le ciel bas-normand ? « Je suis un peu trop franc dans l’expression, parce que j’ai eu une vie où il a fallu que je me batte », répond l’homme.

On en vient à son histoire personnelle, celle d’un miraculé de la République. Né en Corée du Sud, élevé dans un orphelinat de Séoul tenu par des protestantes néerlandaises, il est adopté à l’âge de 7 ans par une famille aisée de la région caennaise. Hervé Placé, son frère, raconte :

« Je me souviens de l’arrivée à l’aéroport de ce petit bonhomme, avec un bracelet et des vêtements presque de bagnard. Il parlait trois mots d’anglais. J’ai toujours été béat d’admiration de voir ce gamin apprendre couramment le français en trois mois. »

Dans cette nouvelle famille, le père est avocat, la mère institutrice. « Lui plutôt de droite, elle plutôt de gauche », selon l’aîné. « J’ai grandi dans la petite bourgeoisie provinciale », raconte l’homme fort d’EELV. J’en ai gardé un amour de la famille, de la France, de l’éducation, de la politesse. »

Voilà pour le côté radical, limite gaulliste social.

« Mais aussi un amour de la nature. Je suis très attaché à cette France des années 75-80, sans Internet, sans téléphone portable. Moi, j’aime les balades, la lecture. Je suis un type paisible. »

Et voilà pour le côté écolo.

EELV « ne doit plus se contenter d’un rôle d’alerte »

A EELV, où il semble installé pour de bon, il incarne une nouvelle génération, gonflée d’objectifs dont n’osaient même pas rêver les Mamère ou Voynet. Avec Cécile Dulfot, Jean-Vincent Placé travaille à transformer le mouvement dont le logo est toujours une sorte de pâquerette en parti de gouvernement :

« Je veux que l’image de l’écolo associatif incapable d’exercer le pouvoir s’estompe. On ne doit plus se contenter d’un rôle d’alerte. Dans les régions, on est au développement économique, au transport, au logement. »

Pas question de rester à la marge en 2012, en cas de victoire de la gauche. Lui qui se définit comme un « homme de pouvoir » rêve d’atterrir au ministère du Budget ou à l’Intérieur, pas à l’Environnement. Il y serait sans doute moins en phase avec lui-même.

Encadré : Le Cédis, son arme secrète d’influence

Comment un inconnu arrivé si tard chez les Verts a-t-il bien pu en devenir le numéro deux en moins de dix ans ?

Outre ses qualités propres, Jean-Vincent Placé a pu s’appuyer sur le Cédis (Centre d’écodéveloppement et d’initiative sociale), dont il a pris la direction dès 2001, date de son adhésion au parti.

Destiné à former les élus écologistes sur les questions de finances locales, d’institutions ou de développement durable, cet organisme agréé par le ministère de l’Intérieur lui a permis de rencontrer une palanquée de militants – les mêmes qui désignent ensuite les dirigeants des Verts.

Le conflit d’intérêts est tellement patent que le sujet énerve Jean-Vincent Placé :

« J’ai remis de l’ordre dans les comptes, j’ai reformé les équipes, j’ai professionnalisé la structure et j’ai trouvé des clients. Les journalistes et quelques camarades mal intentionnés veulent y voir une pompe à fric sur lequel j’ai assis mon pouvoir, mais c’est juste qu’il y a un problème avec la réussite et le travail. »

Le Cédis compte aujourd’hui quatre salariés à temps plein et son directeur, à mi-temps. Pour le job, Jean-Vincent Placé empoche 2 450 euros net par mois.

► Un article à paraître dans le magazine Megalopolis, le journal du très grand Paris, en vente dans les kiosques d’Ile-de-France le 15 septembre.

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