Afrique du Sud : "La personne qui a promis de s’occuper de l’orpheline que j’étais, pensait qu’elle m’aidait, mais elle a détruit ma vie"

Témoignage de Mandisa Dlamini, fille de Gugu Dlamini

Publié le 9 juin 2011 sur OSIBouaké.org

Durban - 9 Juin 2011 - PlusNews - En 1998, l’activiste de la lutte contre le VIH  /SIDA   Gugu Dlamini a été battue à mort près du township de KwaMashu, en périphérie de Durban, après avoir publiquement révélé son statut séropositif. Sa mort, qui illustre bien la stigmatisation dont sont victimes les personnes atteintes du VIH   en Afrique du Sud, a ébranlé le pays. Le décès de Mme Dlamini a presque détruit sa fille, Mandisa, qui n’avait que 13 ans à l’époque. Maintenant âgée de 25 ans, Mandisa a raconté son expérience dans le cadre de la conférence de cette année en mémoire de Nkosi Johnson, le plus jeune activiste sud-africain de la lutte contre le VIH  , décédé en 2001. Celle-ci était organisée à l’occasion de la Conférence sud-africaine sur le SIDA   de 2011.

« Pour la plupart d’entre vous, Gugu Dlamini est une héroïne qui a osé révéler à tout le monde qu’elle était séropositive. Mais vous ne connaissez pas la vraie Gugu Dlamini, vous ne savez pas ce qu’elle a vécu lorsqu’elle était une jeune mère célibataire au chômage, les obstacles qu’elle a dû surmonter pour subvenir à ses besoins et à ceux de son enfant, les erreurs qu’elle a commises et la douleur qu’elle a endurée lorsqu’elle a appris qu’elle était infectée par le VIH   ».

« Lorsque ma mère a obtenu sa maison [fournie par le gouvernement] dans le KwaZulu-Natal, les hommes du coin n’étaient pas contents. Ils disaient : ‘Elle n’a pas d’emploi, pas de mari, comment a-t-elle pu obtenir cette maison ? Elle a dû coucher avec un élu’. Ils n’ont jamais pu croire qu’une jeune femme pouvait réussir quelque chose par elle-même sans utiliser son corps pour survivre ».

« Je me rappelle...c’était au mois de décembre...ma mère a annoncé qu’elle était séropositive. Elle est d’abord venue me voir et m’a dit : ‘Mandisa, je vais aller parler du SIDA   devant tout le monde’. Je ne savais pas ce qu’était le SIDA  , mais ma mère est allée raconter son histoire à la télévision nationale. Quelques jours plus tard, une amie est venue et lui a proposé d’aller à une fête. Je ne l’ai plus jamais revue.

« Des gens nous ont raconté que, pendant qu’elles étaient [à la fête], un homme est entré et a poussée [ma mère] dehors en disant : ‘Qu’est-ce que tu fais ici ? Tu veux nous tuer tous ?’ Ils ont alors commencé à la battre avec tout ce qui leur tombait sous la main. Quand ils ont eu fini, ils l’ont poussée en bas d’une falaise et ont dit au voisin, un ami de ma mère qui était également infecté [au VIH  ] : ‘Va leur dire de venir chercher leur chienne, nous en avons fini avec elle’ ».

« Ils ont alors commencé à la battre avec tout ce qui leur tombait sous la main. Quand ils ont eu fini, ils l’ont poussée en bas d’une falaise et ont dit au voisin, un ami de ma mère qui était également infecté [au VIH  ] : ‘Va leur dire de venir chercher leur chienne, nous en avons fini avec elle’ » « J’ai dû me rendre là-bas avec le copain [de ma mère] pour aller la chercher. Nous avons demandé de l’aide aux voisins, mais ils n’ont pas voulu nous aider parce qu’ils craignaient que leur voiture ne soit infectée et qu’ils meurent du SIDA   ».

« Je n’ai pas pu aller à l’hôpital avant le mercredi et je ne l’ai pas reconnue tellement elle était enflée. Elle était morte le lundi ».

« Je pensais que ma vie était finie...Je ne peux pas expliquer la douleur que j’ai ressentie, mais je suis certaine que vous pouvez vous l’imaginer... Vous vous représentez votre futur avec une personne, vous êtes incapable de vous imaginer vivre sans elle et, tout d’un coup, vous vous réveillez et cette personne n’est plus là. Et tout ce qui vous entoure change – vos rêves, votre avenir. Je rêvais de devenir travailleuse sociale, mais il n’y avait plus personne pour m’y préparer ».

« La personne qui [m’a prise en charge et] a promis de s’occuper de l’orpheline que j’étais...elle pensait qu’elle m’aidait, mais elle a détruit ma vie. Les travailleurs sociaux qui disaient : ‘Nous allons nous occuper de toi, nous allons venir te voir’, ils sont venus, mais ils ne m’ont jamais parlé... Ceux qui avaient promis de m’amener à l’école n’étaient pas là : les amis, la famille, ils se sont tous sauvés ».

« J’ai travaillé dans une taverne pour survivre. J’ai été contrainte de faire des choses terribles. [À la taverne], on me battait, on me traitait de chienne... je n’avais que 14 ans. Je sais ce que c’est que de tomber enceinte à 15 ans, d’accoucher un vendredi et de devoir retourner à l’école et à la taverne le lundi suivant. Je sais ce que c’est que de ne pas pouvoir développer de relation avec son enfant parce qu’il faut se lever tous les matins pour aller à l’école et qu’on ne rentre [du travail] qu’à 11 heures le soir lorsqu’il dort ».

« Lorsque je suis partie [à Pretoria], j’ai laissé mon enfant derrière moi – je ne savais même pas où j’allais. À Pretoria, j’étais censée être placée dans un endroit sûr...la dame qui devait me placer n’a pas pu le faire. Elle m’a dit : ‘Mandisa, je ne sais pas pourquoi, mais je vois quelque chose en toi’ ».

« Elle m’a ramenée chez elle. Personne ne savait où j’étais, pas même ses collègues. Elle m’a appris à être forte et m’a vouée un amour inconditionnel. Elle m’a protégée ».

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