Herboristeries : l’Europe s’en prend aux remèdes de mamie

Publié le 22 mai 2011 sur OSIBouaké.org

Par Aurore Chaillou | Journaliste | 14/05/2011 |

Mortier et vieilles bouteilles de médicaments (Louise Docker/Flikr/CC)

Adieu fougère, gui, buis… Sous le coup d’une directive européenne, ces remèdes ancestraux sont désormais bannis des rayons de la paisible herboristerie du Palais-Royal, à Paris.

L’herboristerie est située rue des Petits-Champs, derrière les jardins du Palais. Dès l’entrée, de subtils arômes de tilleul, de miel, de verdure et de soleil vous transportent dans le Midi.

De part et d’autre de la boutique, les sachets de tisane succèdent aux huiles essentielles, aux gélules en boîtes, aux miels de framboisier ou de lavande.

Au-dessus des étagères de bois, des panneaux coulissants aux peintures bucoliques dissimulent les réserves. On y accède par une échelle. Comme dans une ancienne bibliothèque, les trésors alignés sur les étagères invitent à la flânerie. Zorha Eulmi, petite brune rondelette et énergique qui conseille la clientèle depuis vingt-cinq ans, regrette :

« Depuis quinze jours, on nous a enlevé le gui, le buis, les racines de fougère. »

Une directive européenne soumet désormais les produits à base de plantes à une autorisation de mise sur le marché (AMM  ), comme les médicaments conventionnels. Les dossiers doivent démontrer que le remède est efficace, sûr, et correspond à un usage médical établi.

Ils doivent aussi être présentés à l’Agence européenne des médicaments avant le 30 avril. Les préparations pour lesquelles aucun dossier n’aura été déposé seront retirées de la vente.

« Avec 10 kilos de carottes par jour, vous attrapez une cirrhose ! »

La procédure, qui coûte de l’ordre de 60 000 euros par produit, pénalise les petites entreprises. Les laboratoires pharmaceutiques sont soupçonnés de vouloir se refaire une santé après les nombreux scandales médicaux auxquels ils ont été confrontés.

La racine de fougère vient d’être interdite en raison de sa toxicité. Pour Anne Passebecq, diététicienne blonde de 50 ans, l’argument ne tient pas debout. De nombreuses plantes, sont nocives si elles sont consommées en quantité excessive :

« Si vous mangez 10 kilos de carottes par jour, vous attraperez une cirrhose ! »

Zorha regrette que l’on empêche les gens de recourir à la médecine de leur choix. Plus d’officine spécialisée en médecine chinoise à Paris, seulement quatre herboristeries, une dizaine sur l’ensemble de la France.

Aujourd’hui, herboristeries et pharmacies peuvent commercialiser 500 plantes, contre 1 500 plantes médicinales recensées en France et 20 000 dans le monde.

Contre les jambes lourdes, un gel à base de citron

Les clients se pressent dans la boutique ; Anne fait la bise aux habitués. Certains entrent avec détermination, quelques noms de plantes griffonnés sur un bout de papier : bois de rose, chèvrefeuille… D’autres s’en remettent aux conseils des deux femmes.

Contre les jambes lourdes ? Anne recommande un gel à base de citron, de cyprès et de genévrier. Pour la circulation ? La vigne rouge, le cyprès, l’hamamélis. La diététicienne accueille les nouveaux venus avec un large sourire, les yeux pétillants de gentillesse.

Des cadres, des nourrices du quartier, des jeunes, des retraités. Les Japonais sont nombreux, prêts à découvrir de nouvelles plantes. Au fil des années et des scandales médicaux, Zorha a vu la clientèle rajeunir et se masculiniser. Des personnes atteintes d’un cancer ou du sida   viennent chercher ici des remèdes pour accompagner leur chimiothérapie ou leur trithérapie. En se tournant vers les plantes, ils optent pour la sécurité.

La plupart des plantes sont récoltées en France

planche sur la feuille de chêne (extraite du livre de John Parkinson, « Theatrum Botanicum : The Theater of Plants » Planche sur la feuille de chêne (extraite du livre de John Parkinson, "Theatrum Botanicum : The Theater of Plants").

Anne travaille à l’herboristerie depuis trois mois, mais n’est pas novice en médecine douce. Son père, André Passebecq, était un grand nom de la naturopathie, une médecine visant à retrouver l’équilibre du corps par des moyens naturels.

Anne a suivi en auditeur libre le cursus de naturopathie à la Faculté de médecine de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, avant de devenir diététicienne.

Sa collègue, Zorha Eulmi, 45 ans, a expérimenté tous les postes du magasin : préparation, expédition des achats par internet, conseil et vente à la boutique.

Elle a appris les vertus des plantes au fil des années et connait désormais les vertus de 200 d’entre elles.

Les plus vendues sont le tilleul, pour lutter contre les insomnies, la verveine, pour faciliter la digestion et la menthe, digestive et calmante. Sauvages ou d’agriculture biologique, les fleurs, feuilles, racines vendues ici sont pour la plupart récoltées en France : le tilleul vient du Vaucluse, le houblon d’Alsace, la verveine de l’Essonne.

Les plantes sont achetées à des grossistes et certifiées par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).

« D’ici septembre, 120 plantes vont partir »

Avant d’arriver sur les rayons de la boutique, deux personnes les trient dans un laboratoire de Cormeilles-en-Parisis (Val d’Oise), les mettent en sachets individuels ou les intègrent dans des préparations élaborées par Michel Pierre, patron de l’Herboristerie du Palais-Royal.

Ce long travail préliminaire, qui nécessite une bonne logistique et un personnel adéquat, explique en partie, selon Zorha, le désintérêt des pharmaciens pour les plantes médicinales.

« D’ici septembre, 120 plantes vont partir. »

Pour Zorha, les laboratoires pharmaceutiques veulent empêcher toutes les alternatives à la médecine conventionnelle et s’assurer du monopole des brevets des préparations à base de plantes :

« On va nous enlever la prêle, la vigne rouge ! »

La vendeuse s’inquiète pour les générations à venir. La sienne, dit-elle, est la dernière à pouvoir conseiller et vendre des plantes médicinales. Et après ? Les clients se fourniront sur internet.

Encadré : Les herbes en dates

1312. L’herboristerie est officiellement reconnue sous le règne de Philippe le Bel

1778. Le diplôme d’herboriste est créé à la Faculté de médecine

1941. Le maréchal Pétain supprime le diplôme d’herboriste des facultés françaises

1979. Trente-quatre plantes médicinales peuvent être vendues en dehors des officines (pharmacies et herboristeries)

2008 Le nombre des plantes vendues hors officine s’élève à 148

2011 La directive européenne 2004/24/CE harmonise la commercialisation des produits à base de plantes

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