Fessée, une loi en forme de piège

Chronique de Claude Halmos, psychanalyste

Publié le 28 avril 2011 sur OSIBouaké.org

LeMonde | 27.04.11 | par Claude Halmos, psychanalyste

A la une de l’actualité, un jour, puis un autre, un enfant mort sous les coups de ses parents. La proposition récente d’inscrire dans la loi l’interdiction de la fessée permettrait-elle de mettre un terme à cette horreur ? Non. Car ce n’est pas sur l’absence de loi que bute la protection des enfants maltraités - les lois existent -, mais sur la façon dont elles sont appliquées.

Pour les autres enfants, ceux des familles "normales", l’interdiction serait-elle une bonne chose ? Non. La fessée n’est jamais un acte anodin, et elle ne peut jamais être considérée comme un "outil éducatif". Elle est même parfaitement antiéducative, puisque l’adulte qui frappe l’enfant abuse, dans un rapport de forces inégal, de son pouvoir sur lui, l’humilie, et lui donne de ce fait l’exemple même de la sauvagerie et de la "loi du plus fort" qu’il prétend lui interdire.

Est-ce à dire que le parent qui aime son enfant, le respecte et lui parle, et qui néanmoins, à bout d’arguments, lui donne un jour une fessée, est un parent maltraitant ? En aucun cas. Et la différence n’est pas d’ordre quantitatif (fessées régulières ou fessée occasionnelle). Elle est d’ordre qualitatif. Contrairement au parent maltraitant en effet, qui agit sciemment, consciemment, pour sa seule jouissance et sans aucune culpabilité, le parent "normal", lui, ne décide rien. Il ne prend aucun plaisir et se sent toujours coupable. Coupable d’être tombé dans un piège...

Le scénario qui mène à la fessée est en effet toujours le même. Le parent manifeste une exigence normale ("il est 22 heures, retourne te coucher !"), que l’enfant, fort de sa toute-puissance, refuse. Le conflit est donc inévitable et légitime. Si le parent le comprend, l’enfant finit par accepter la règle et céder. A l’inverse, si le parent doute, l’enfant le sent et l’escalade commence, insupportable. Poussé à bout, réduit à l’impuissance, l’adulte tente de retrouver sa place qu’il sent niée, et use de la seule supériorité qui lui reste : la force physique. Une loi peut-elle régler cela ? Non. Seul un travail le peut. Un travail pour que le parent retrouve, en même temps que des repères éducatifs, une légitimité. Et comprenne aussi ce que l’enfant, dans ces conflits, lui fait inconsciemment revivre.

Les parents qui dérapent ne relèvent pas de la loi, et celle-ci pourrait même leur porter, ainsi qu’à leurs enfants, préjudice. Car, les faisant se sentir encore plus coupables et encore plus incompétents, elle risquerait d’accroître les difficultés qu’ils ont à éduquer. Or, la violence qui menace les enfants aujourd’hui n’est pas celle de la fessée, mais celle de l’absence d’éducation. Cette absence d’éducation qui les laisse exilés des lois du monde, en proie à leurs pulsions. Proposer une loi sur la fessée aujourd’hui, c’est se tromper de combat.

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