« Orphelins du Tibet » : l’Inde pour étudier et ne jamais revenir

Publié le 27 mars 2011 sur OSIBouaké.org

Rue89 | 25/03/2011 | Par Nolwenn Le Blevennec |

(Du Touquet) Dholma est toute petite. Elle a 6 ans, des cheveux très courts et l’air malin. Elle est émouvante, dans son quotidien, quand elle met ses chaussures, enfile un pull rose ou remonte sans cesse son pantalon gris, parce qu’il est trop grand.

Dholma, 6 ans ("Orphelins du Tibet").Cette petite fille tibétaine est l’un des personnages principaux du documentaire de Julie Capel, « Orphelins du Tibet », diffusé sur Arte en 2009. Le film fait partie de la compétition internationale du Festival international du grand reportage (Figra), qui a lieu en ce moment au Touquet et dont Rue89 est partenaire.

Le documentaire de 43 minutes est tourné au nord de l’Inde, au sein de l’école tibétaine de Mussoorie, institution créée par le gouvernement tibétain en exil pour éduquer ses enfants de façon indépendante (hors influence chinoise).

Elle recueille aujourd’hui près de 2 400 élèves. Une fois la frontière passée, la plupart d’entre eux ne reverront plus jamais leurs parents. (Voir la vidéo)

L’Himalaya ? Un doigt ou un orteil en moins

Pour accéder l’école de Mussoorie, les enfants doivent traverser l’Himalaya. Il faut marcher « un mois dans la neige », passer à travers « des cols glacés ». Certains meurent en route, d’autres arrivent en Inde avec un doigt ou un orteil en moins (à cause du gel).

L’école Mussoorie ("Orphelins du Tibet").Les nouveaux arrivés sont surnommés les Sanjor. Ils sont lavés. Des vêtements neufs leur sont donnés : pulls verts sans manche à liseré jaune. « Il ne faut surtout pas qu’ils se sentent seuls », dit l’une des responsables de l’école, ascendant seconde maman.

En maternelle, la méthode Montessori est appliquée : un apprentissage en douceur, « pour soigner le traumatisme de l’exil ». Dholma participe aux cours sans conviction.

C’est son grand-père qui l’a accompagnée ici, convaincu qu’elle y trouverai un avenir meilleur. Ils ont franchi les montagnes ensemble. Il lui a laissé quelques roupies et il est parti. Sa mère lui manque. Face caméra, elle dit : « Viens me chercher » (des spectateurs du festival se sont indignés de cette scène jugée « indécente »).

Sonam, 9 ans, caché dans une boîte : « J’avais plein de bosses »

Quelques semaines plus tard, c’est plus gai : Dholma s’est fait un copain. Sonam, 9 ans, se moque de son arrivée théâtrale (« elle n’arrêtait pas de pleurer »). Elle sourit quand il raconte. Le garçon est pensionnaire ici depuis trois ans. Il a traversé la frontière caché dans « une boîte » à l’intérieur d’un camion :

« J’avais plein de bosses. Je pensais que je saignais. »

Sonam, 9 ans ("Orphelins du Tibet").Ses parents l’ont accompagné jusqu’à Khangtsé (« au début, ils ont voyagé avec moi »), puis ils sont repartis sans le prévenir à Lhassa.

Sonam est l’un des meilleurs élèves de sa classe. Le programme de l’école tibétaine privilégie l’anglais, les sciences « humaines et dures » et la culture tibétaine (les élèves assurent par exemple que le dalaï-lama a mis le premier pied en Inde, le 31 mars 1959 à 10h30).

Devenir champion de kung-fu aux Etats-Unis

L’un des professeurs en tenue traditionnelle explique à Julie Capel que les écoles comme celle-ci (il en existe aujourd’hui des dizaines en Inde) inquiètent les Chinois : les élèves qui en sortent travaillent dans « toutes les capitales du monde » et parfois dans des institutions internationales.

Ils pourront, tout au long de leur vie, témoigner de la situation « complexe » au Tibet. Plus tard, moins optimiste, il confie que ces institutions ne suffiront pas à maintenir en vie la culture tibétaine.

Car la plupart de ses enfants ne retourneront pas au Tibet. « Le chemin du retour est aussi dangereux que l’aller », dit la journaliste. Et il n’y a pas de travail pour eux là-bas, car ils ne parlent pas chinois. Un élève, qui a renoncé au Tibet, explique vouloir devenir champion de kung-fu et vivre chez sa tante aux Etats-Unis.

« Je ne comprenais plus le dialecte de ma mère »

Thinley, ancienne élève de passage à l’école, n’est jamais retournée dans son pays. Elle est aujourd’hui étudiante en économie dans une fac au sud du pays. Elle souhaite devenir professeur d’anglais auprès des enfants exilés.

Pendant son court séjour, c’est un miracle, elle arrive à séduire Dholma. Thinley trouve les mots pour lui parler. Puis, face caméra, elle se souvient de son arrivée à l’école tibétaine et raconte qu’elle n’a jamais revu ses parents :

« J’avais ma mère au téléphone de temps en temps. Mais petit à petit, je ne comprenais plus son dialecte et nous nous sommes éloignées sans pouvoir rien faire. J’ai appris ensuite qu’elle était morte. »

A la fin de son documentaire, Julie Capel rappelle que le dalaï-lama remercie chaque année le gouvernement indien de bien vouloir accueillir les réfugiés du Tibet. Quitte à se fâcher avec les Chinois. La journaliste se demande si cette position est tenable diplomatiquement et jusqu’à quand.

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