France : Josiane, séropositive menacée par un simple amendement

Publié le 6 février 2011 sur OSIBouaké.org

Rue89 - Par Anne-Julie Martin | Journaliste | 04/02/2011

« En arrivant, je me suis dit : “Au lieu de m’acheter des belles robes et des belles chaussures, je peux quand même me payer des soins de santé”. »

En décembre 2000, Josiane (le prénom a été changé), cadre dans une entreprise camerounaise, s’offre des vacances en France et saisit l’occasion pour faire un bilan de santé. Le résultat tombe comme un couperet : elle est séropositive :

« Je n’avais rien qui pouvait [me l’] indiquer, j’étais en super forme, j’avais aucun symptôme… Je viens là et on m’annonce en fait que je vais mourir. Il y a dix ans en arrière, c’était un peu ça. »

Le choix est difficile mais Josiane décide de rester en France et de demander un titre de séjour pour soins qu’elle fait renouveler chaque année depuis.

Elle fait donc partie des quelque 28 000 personnes qui sont directement menacées par l’amendement qui veut restreindre les conditions de délivrance de la carte de séjour aux étrangers malades et qui sera examinée à partir de mardi au Sénat dans le cadre de la loi Immigration, intégration et nationalité.

« Je n’ai pas vu mes enfants grandir »

Suite au diagnostic, Josiane, alors âgée de 40 ans, tombe de Charybde en Scylla. Premier obstacle : elle vit dans un foyer en région parisienne et ne peut pas fournir d’adresse à la préfecture pour faire sa demande.

« J’avais laissé ma maison en Afrique et je vivais dans un foyer avec des personnes… Je n’ai pas envie de dire ça, mais des personnes sans domicile fixe, des clochards, ce que moi je n’avais jamais vu dans mon pays. Et voilà, je vivais dans un foyer.

Et le matin à 8 heures, il fallait sortir… C’était en hiver, je n’avais jamais connu d’hiver dans ma vie. C’est pour ça, c’est une situation que j’ai essayé de refouler pour pouvoir profiter du bonheur… »

Elle trouve de l’aide auprès d’une femme qui travaille dans une association. Celle-ci lui donne son adresse personnelle qu’elle peut alors déclarer. « Je crois qu’elle a vu à quel point je souffrais », raconte Josiane.

Le plus douloureux, c’est d’avoir perdu tout ce qui constituait sa vie d’avant :

« J’ai laissé tout en plan, j’ai laissé ma carrière, toute ma famille, dont je suis d’ailleurs l’aînée. Donc ils comptaient sur moi, j’étais le pilier de ma famille. »

Et surtout, elle a dû laisser derrière elle ses enfants :

« Je n’ai pas vu mes enfants grandir. J’ai laissé mon fils, il m’arrivait pratiquement à la taille ; je l’ai revu, c’était un gaillard et c’est quelque chose qu’une mère a du mal à comprendre. »

En dix ans, Josiane n’a revu sa fille et son fils qu’une seule fois. C’était en 2006. Elle a choisi d’utiliser son argent pour payer leurs études plutôt que des billets d’avion. Pendant ce temps, c’est sa sœur qui a pris soin d’eux.

Des personnes qui divisent leur traitement en deux

« Est-ce qu’on est prêt à soigner tous les malades de la Terre aux frais de la Sécurité sociale française ? » : voilà la question posée par l’actuel secrétaire d’Etat aux Transports Thierry Mariani à l’automne dernier.

Alors député du Vaucluse, c’est lui qui, le premier, a proposé cet amendement qui mentionne « l’inexistence » du traitement dans le pays d’origine et non plus l’accès effectif dont peut y bénéficier le malade. La nuance est de taille.

Car, à l’évidence, ce n’est pas parce qu’un médicament est disponible dans un pays qu’il l’est forcément en quantité suffisante ou à des tarifs abordables. Même chose pour les examens. Une réalité dont Josiane est parfaitement consciente :

« On sait pertinemment qu’en rentrant dans son pays, on n’est pas sûr d’avoir la possibilité de se soigner. Et même si on a la possibilité de se soigner, combien de temps ça va durer ? Parce qu’il y a quand même une instabilité en Afrique qui est connue de tous.

Moi je n’ai pas un oncle qui est ministre, et il n’y a pas de sécurité sociale. Je sais ça alors je me dis : “Pourquoi je vais rentrer dans un pays où je vais mourir ? ” En tout cas, le charter, je ne le prendrai pas. »

Elle-même est témoin des problèmes rencontrés sur le terrain puisqu’elle s’est engagée dans des associations. Elle travaille actuellement pour Aides et reçoit régulièrement des appels de séropositifs vivant en Afrique subsaharienne et qui ne parviennent pas à se soigner correctement :

« Il y a encore des gens qui divisent leur traitement en deux. Il est séropositif, sa femme est séropositive et ils ont juste de quoi acheter le traitement pour une personne et donc ils sont obligés de le partager. »

Un argumentaire qui ne tient pas

Plusieurs médecins et organismes s’alarment de la disposition législative et mettent en garde contre les risques éthiques, sanitaires et même financiers qu’elle comporte. En effet, selon eux, le manque d’accès aux soins de la population atteinte de pathologies grave ou contagieuses ne fera, in fine, qu’augmenter les coûts de fonctionnement des hôpitaux.

D’autant que le nombre d’étrangers qui se prévalent de leur état de santé pour être admis au séjour ne représentent que 0,8% des 3 500 000 étrangers en situation régulière, d’après le Comité interministériel de contrôle de l’immigration (Cici).

« Croire qu’il y a une immigration thérapeutique liée à ce droit à séjour pour raison médicale, c’est mal connaître l’immigration », estime le professeur François Bourdillon, président de la Société française de santé publique (SFSP).

De quoi réfuter l’idée selon laquelle ces personnes – qui cotisent à la Sécurité sociale – sont ici pour profiter à moindre frais de notre hospitalité et coûtent cher à la collectivité. Au fil de ces années, Josiane a souvent été confrontée à ce genre de soupçon :

« On nous disait en Afrique que la France, c’était France terre d’Asile ! Je me disais : “Je suis en France, je sors d’un pays qui a été colonisé par la France, y a pas de raison que je ne puisse pas m’épanouir dans un pays qui connaît mes racines.” Ça change votre façon de voir la vie.

Et puis là, aujourd’hui, on apprend quoi ? Que le titre de séjour, on pourrait ne plus y avoir droit. Ça veut dire qu’on remet toute ma vie en question, je repars de zéro, je fais des recours par-ci, par-là. Enfin je ne sais pas si je ferai des recours parce qu’à un moment donné, il faut savoir. »

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