Drogues : la Suisse, un exemple en matière de réduction des risques

Le pragmatisme de la Suisse face à la drogue pourrait sans doute servir d’exemple aux Etats-Unis, à la Russie et à de nombreux autres pays ravagés par la drogue et le VIH.

Publié le 30 janvier 2011 sur OSIBouaké.org

Libération - 24/01/2011 - Par Fernando Henrique Cardoso, ex-président du Brésil, dirige la Global Commission on Drug Policy et Michel Kazatchkine, directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida  , la tuberculose et le paludisme. Le système suisse de démocratie directe offre aux citoyens la possibilité de remettre en cause les politiques et certaines lois grâce à des référendums nationaux. Devant l’urgence sida   à la fin des années 80, la Suisse a été parmi les premiers pays à mettre en place et développer une politique de réduction des risques, l’injection de drogue étant l’un des principaux vecteurs de la pandémie de VIH  . Aux États-Unis, en Russie, en Amérique latine, dans l’Union européenne, en Asie du Sud et dans d’autres régions du monde, le sida   faisait des ravages, en partie liées à l’usage de drogue. Les consommateurs de drogues par voie intraveineuse (notamment les héroïnomanes) avaient transformé les lieux publics de Zurich et d’autres villes de Suisse en véritables champs de seringues.

Les autorités helvétiques ont pris le problème à bras le corps et ont fait de la politique de réduction des risques l’une de leurs composantes principales en matière de santé publique, contrairement à ce qui se passait notamment en Russie ou rien ou si peu n’a été fait concernant les personnes qui injectent des drogues. Le constat est aujourd’hui sans appel : plus de deux millions de consommateurs de drogues et un million de personnes vivent avec le VIH   selon les estimations, plus de 60% ont été infectées en utilisant des seringues usagées.

Les Suisses ne se sont pas non plus lancés, à la manière des Etats-Unis, dans une « guerre contre la drogue » et dans le renforcement de moyens de répression policière, l’augmentation du nombre d’établissements carcéraux et le cumul des peines de prison, autant de méthodes qui se sont avérées contreproductives. Aujourd’hui, on compte aux Etats-Unis le plus grand nombre de prisonniers au monde en grande partie à cause de cette « guerre contre la drogue » ; un nombre disproportionné de détenus sont afro-américains ou hispaniques. Cette offensive a permis aux cartels de la drogue d’engranger plus de profits que jamais et de soumettre des communautés entières d’Amérique latine.

L’argent de la drogue corrompt et on ne compte plus les victimes de la violence liées à la drogue en Afghanistan, en Birmanie, en Colombie, dans des quartiers défavorisés aux Etats-Unis ou dans le nord du Mexique, où le massacre continue.

Autre politique novatrice, l’Office fédéral suisse de la santé publique a également supervisé une expérience consistant à prescrire de l’héroïne médicale sous contrôle de personnel compétent à des personnes dépendantes aux opiacés depuis longtemps, en substitution à l’héroïne clandestine. L’évaluation scientifique minutieuse qui a été conduite par le gouvernement, a démontré que la thérapie à base d’héroïne est à la fois possible et rentable, et qu’elle permet une réelle amélioration de la santé des utilisateurs. Elle a contribué à faire reculer de façon saisissante la criminalité liée à la drogue. Les résultats étant convaincants, deux autres référendums ont validé cette politique malgré une opposition politique à l’intérieur du pays et des critiques de la part de l’Organe international de contrôle des stupéfiants.

Le pragmatisme de la Suisse face à la drogue pourrait sans doute servir d’exemple aux Etats-Unis, à la Russie et à de nombreux autres pays ravagés par la drogue et le VIH  . On retrouve une démarche semblable au Portugal qui, voilà à peine dix ans, était le pays de l’Union européenne comptant le plus grand nombre de cas de personnes infectées par le VIH   liés à la drogue. La décision que le Portugal a prise en 2001 de dépénaliser la détention de stupéfiants a non seulement abouti à une augmentation à l’accès au traitement du nombre de consommateurs de drogues, mais également à une baisse importante du nombre de nouvelles contaminations par le VIH   parmi les usagers. Soucieux de transmettre ce modèle et d’autres exemples majeurs, et afin de plaider dans le monde entier en faveur de politiques efficaces de réduction de la pauvreté et d’un débat public plus large sur des politiques de lutte contre la drogue plus efficaces et plus humaines, nous avons lancé, avec d’autres dirigeants, la Global Commission on Drug Policy (Commission mondiale sur les politiques en matière de drogue), qui tient sa réunion constitutive à Genève aujourd’hui. La Commission a notamment pour ambition de montrer que la guerre contre la drogue est perdue. La Suisse, le Portugal et d’autres pays ont démontré qu’une meilleure solution existe, qui associe le pragmatisme et la rentabilité à la compassion et au respect des droits de l’homme.

Fernando Henrique Cardoso a été le président du Brésil de 1995 à 2003 et préside actuellement la Global Commission on Drug Policy.

Michel Kazatchkine est le Directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida  , la tuberculose et le paludisme.

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