La gestion des adoptions internationales

Hervé Boéchat résume les grandes lignes du rapport du Service Social International (SSI)/CIR, sur les adoptions en Haiti depuis un an

Publié le 21 janvier 2011 sur OSIBouaké.org

Revue Humanitaire - le 19 janvier 2011 - Hervé Boéchat

Après les rumeurs nées lors du tsunami et le désastre avéré de L’Arche de Zoé, l’adoption – et plus généralement le sort des enfants – est devenue une préoccupation majeure en cas de catastrophe naturelle ou de conflit. Haïti, pays depuis longtemps ouvert à l’adoption internationale, n’a pas échappé à la polémique. Hervé Boéchat nous livre l’appréciation de son institution sur cet épisode qui n’a sans doute pas contribué à apaiser le ressentiment

Après les rumeurs nées lors du tsunami et le désastre avéré de L’Arche de Zoé, l’adoption – et plus généralement le sort des enfants – est devenue une préoccupation majeure en cas de catastrophe naturelle ou de conflit. Haïti, pays depuis longtemps ouvert à l’adoption internationale, n’a pas échappé à la polémique. Hervé Boéchat nous livre l’appréciation de son institution sur cet épisode qui n’a sans doute pas contribué à apaiser le ressentiment des Haïtiens contre la « communauté internationale »…

Outre les ravages causés par le tremblement de terre qui a si durement affecté Haïti en janvier 2010, la place prise par l’adoption internationale dans la gestion d’un contexte post-catastrophe a laissé un goût amer. Décisions prises dans l’urgence, médiatisation des évacuations d’enfants adoptés, mépris des règles et des cultures, le grand show humanitaire étant terminé depuis longtemps, est-il possible, aujourd’hui, de tirer quelques enseignements de cette « expérience » ?

Afin de documenter au plus près des évènements les actions de toute nature prises en relation avec l’adoption internationale depuis le mois de janvier, le Centre International de Référence pour les droits de l’enfant privé de famille (SSI/CIR [1]) a soigneusement répertorié et compilé les informations publiques disponibles, pour tenter d’en tirer les enseignements nécessaires, et, vœu pieux s’il en est, les leçons à retenir lorsqu’une nouvelle catastrophe surviendra. Le résultat de ce travail se présente sous forme d’un rapport intitulé Haïti : “Expediting” intercountry adoptions in the aftermath of a natural disaster" (téléchargeable en anglais en bas de cet article). Cet article en présente les grandes lignes.

Diktat de la médiatisation ?

Le tsunami de 2004 en Asie semblait avoir marqué un tournant concernant l’interdiction des adoptions internationales après une catastrophe naturelle, mettant en pratique ce que les outils théoriques condamnaient depuis longtemps (voir par exemple la Recommandation de 1994 concernant l’application aux enfants réfugiés et autres enfants internationalement déplacés de la Convention Adoption [2]). Mais parce que de trop nombreux dossiers d’adoption étaient en cours, le cas d’Haïti a rouvert la boîte de Pandore, laissant le champ libre aux lobbies pro adoption et aux mesures d’exception dictées par les pouvoirs politiques, eux-mêmes soumis à la dictature de la médiatisation.

Malgré les mises en garde répétées des organisations internationales (UNICEF et Conférence de La Haye) et celles des ONG (Terre des Hommes, Save the Children, SSI), 2107 cas d’adoptions internationales dites accélérées étaient recensées au 31 mai 2010. C’est le double du nombre total d’enfants haïtiens adoptés en 2009. Les Etats-Unis à eux seuls ont traité 1 200 cas, tandis que la France, le Canada, les Pays-Bas et l’Allemagne ont organisé, au total, le transfert d’environ 850 enfants. Près de 50 enfants ont été envoyés en Suisse, en Belgique et au Luxembourg. Durant cette période, l’Espagne et l’Italie ont reçu une autorisation finale pour neuf enfants (cas restés en suspens depuis 2007, date à laquelle ces deux pays avaient suspendu les adoptions depuis Haïti).

Au vu de ces chiffres, il est difficile d’imaginer que l’ensemble des procédures dites accélérées aient concerné uniquement les dossiers d’enfants qui avaient fait l’objet d’une décision d’apparentement et d’un jugement d’adoption avant le tremblement de terre. Dans son communiqué de presse du 18 janvier 2010, le SSI/CIR soulignait qu’une différence devait être faite entre les enfants uniquement déclarés adoptables avant le 12 janvier et ceux pour lesquels un jugement d’adoption avait en plus déjà été prononcé à cette date. Pour les enfants de la seconde catégorie, un transfert vers leurs familles adoptives pouvait être envisagé, sous certaines conditions (identité confirmée, adoptabilité réévaluée suite au traumatisme, dossier complet, accord des autorités haïtiennes). Pour ceux qui ne remplissaient pas ces conditions, aucune démarche ne devait être entreprise pour accélérer les procédures d’adoption, sachant que l’adoption internationale en Haïti était depuis longtemps sujette à de nombreuses préoccupations extrêmement graves quant à son manque de garantie et de transparence.

Manquements relevés

Après avoir rappelé la cadre légal normalement applicable à ce type de contexte, ainsi que les critiques dont les procédures d’adoption en Haïti ont fait l’objet depuis plusieurs années, le rapport dresse une liste des différents problèmes, abus et actes contraires aux lois qui ont pu être identifiés.

Les procédures et le droit haïtiens n’ont pas été respectés. Par exemple, des parents adoptifs qui avaient des enfants biologiques ont été autorisés à adopter, et des enfants de plus de 16 ans ont aussi été adoptés, ce qui est une violation des lois haïtiennes qui excluent ce type de situation.

La « sur-approbation » de procédures accélérées a rendu impossible tout contrôle sur les importantes sommes d’argent qu’impliquait l’adoption de très nombreux d’enfants. A ce titre, il convient de rappeler qu’en moyenne, les frais et honoraires pratiqués en Haïti avoisinent, au minimum, les 10 000 dollars par enfant. Pour les 2000 adoptions réalisées après le tremblement de terre, cela représente un transfert d’argent potentiel de plus de 2 millions de dollars.

Avant d’envisager le déplacement d’un enfant hors des frontières, spécialement de manière permanente, le consentement des parents biologiques doit être confirmé. Ceci est d’autant plus important à Haïti, où la proportion d’enfants adoptables ayant encore un parent biologique est estimée à 80%. Si certains parents biologiques ont eu l’opportunité de refuser l’adoption proposée, beaucoup d’autres n’en n’ont pas eu l’occasion.

Ni Haïti, ni les pays d’accueil n’ont pu s’assurer que les mesures de réintégration familiale et les autres solutions nationales avaient été épuisées avant de mettre en place des mesures expéditives. En d’autres termes, nul n’a pu s’assurer que le principe de subsidiarité avait été respecté. Le strict respect de ce principe requiert normalement du temps ; il est par conséquent inquiétant de constater que des bébés de deux mois aient pu être adoptés à l’étranger.

Peu d’efforts ont été entrepris pour garantir l’adoptabilité de l’enfant ; de plus, les enfants n’ont été ni consultés ni préparés avant d’être transférés vers d’autres pays. D’un point de vue matériel, les enfants manquaient de vêtements appropriés pour arriver en plein hiver dans certains pays d’accueil. Au niveau psycho-social, ils n’étaient pas préparés à rencontrer leurs parents adoptifs ; il s’agissait, en outre, pour beaucoup d’entre eux de leur première rencontre.

En tant qu’Etats parties à la CLaH-93, tous les Etats d’accueil avaient l’obligation de respecter les principes de la Convention pendant cette situation d’urgence. Malgré cette responsabilité, les Etats d’accueil ne sont parvenus ni à garantir que les parents adoptifs étaient tous éligibles et aptes à adopter un enfant ayant vécu un traumatisme, ni à les préparer de manière adéquate.

Peu de gouvernements étaient suffisamment préparés pour accueillir des groupes d’enfants aussi importants dans leurs aéroports, et ce, en termes de professionnels capables de traiter non seulement les situations d’urgence mais également les problématiques liées à l’adoption. Les conditions d’accueil étaient inadéquates, les familles manquant d’intimité pour leur première rencontre avec les professionnels et les enfants. De plus, la qualité des services de suivi post-adoption offerts aux familles reste sujette à questionnement.

L’absence de coordination entre les pays d’accueil dans leurs différentes approches des adoptions internationales à Haïti est également un sujet de préoccupation. En continuant les adoptions internationales à une grande échelle, certains Etats ont implicitement persisté à accepter les failles bien connues du système haïtien plutôt que de travailler ensemble à la suppression des problèmes récurrents.

L’apparition de systèmes de prise de décision « ad hoc » de la part des Etats d’accueil afin d’accélérer les procédures d’adoption en réponse au tremblement de terre est également perturbant. Contrairement aux processus habituels normalement basés sur la consultation, des réponses hâtives et émotionnelles risquent d’intervenir au détriment des droits de l’enfant. De nombreuses positions se sont basées sur l’idée fausse selon laquelle les enfants avaient besoin d’être adoptés, reflétant le peu de compréhension du sens de cette mesure de protection et de la priorité à donner aux solutions nationales.

De manière rétrospective, afin de minimiser l’éventuel stress et le traumatisme éprouvés durant la période de transfert, il aurait été judicieux de retarder tout déplacement d’enfants, au moins jusqu’à la reprise des vols commerciaux, lesquels ont été opérationnels quelques semaines après le tremblement de terre. Cette démarche aurait permis aux parents adoptifs d’accompagner personnellement les enfants dans leur nouveau foyer et découvrir par eux-mêmes le pays d’origine de l’enfant.

Haïti, pays d’origine ?

Avec le recul, il s’avère donc que même sous couvert des précautions que le SSI/CIR exigeait, le fait d’avoir laissé une brèche s’ouvrir a finalement été une erreur. Sachant qu’Haïti était, depuis des années, dépassé par un système d’adoption internationale largement corrompu, et sans cesse nourri par le nombre de demandes d’adoptions, seule une interdiction générale d’adopter (comme après le tsunami) aurait (peut-être) pu limiter les abus. Il faut en effet reconnaître une certaine naïveté (y compris la nôtre) à considérer que certains enfants pouvaient partir, alors même que les circonstances entourant leur adoptabilité, leur apparentement et leur jugement d’adoption avant la catastrophe étaient déjà largement sujettes à caution.

Pour l’année 2009, si l’on cumule les statistiques des douze principaux pays d’accueil, on constate qu’Haïti était le neuvième pays d’origine en termes de nombre d’enfants adoptés (1086). Est-il normal que ce petit pays, durement affecté par d’innombrables problèmes, figure parmi les dix premiers pays d’origine des enfants adoptés dans le monde ?

A l’heure où l’île des Caraïbes doit faire face à une épidémie de choléra, illustrant de manière dramatique l’état général du pays et ses besoins abyssaux, des voix s’élèvent déjà dans les pays d’accueil pour que les procédures d’adoptions internationales puissent reprendre et être normalisées. Ne serait-il pas temps, pour les pays d’accueil, d’admettre que ce pays n’est pas en mesure de garantir la transparence de ses procédures d’adoptions internationales, et de décider ensemble d’une suspension des procédures, comme cela a été le cas par le passé pour d’autres pays d’origine ?

S’il est naturel que la pauvreté et les catastrophes suscitent une réelle compassion de la part des populations occidentales, il est plus que jamais nécessaire d’expliquer à ces dernières que l’adoption internationale n’est pas la réponse à ces problèmes, et que tout enfant a d’abord le droit de vivre avec sa famille, dans son pays.

Pour citer cet article : Hervé Boéchat, « La gestion des adoptions internationales », Revue Humanitaire, 27 | 2011, mis en ligne le 19 janvier 2011.

Auteur : Hervé Boéchat est directeur du Service Social International (SSI)/CIR à Genève. Le SSI est une organisation internationale sans but lucratif qui soutient les enfants, les familles et les individus confrontés à des problèmes sociaux liés à une migration ou un déplacement international et impliquant plus d’un pays. Le Centre International de Référence (CIR) pour les droits de l’enfant privé de famille est une division du Secrétariat Général du SSI qui a été lancé en 1997. Sa mission fondamentale consiste à partager, diffuser et promouvoir des bonnes pratiques en matière d’adoption internationale et, plus largement, de protection des enfants privés de famille ou en risque de l’être, en besoin d’adoption ou déjà adoptés.

Haïti : "Accélérer" les adoptions internationales à la suite d’une catastrophe naturelle ... prévenir les dommages futurs.

Résumé du rapport du SSI/CIR

Ce rapport examine les pratiques de l’adoption internationale suite au tremblement de terre en Haïti. Haïti a été un pays d’origine « populaire », en ce sens que des milliers d’enfants se trouvaient à un certain stade du processus d’adoption- parfois simplement "identifiés" comme potentiellement adoptables - au moment du séisme. Les réponses des « pays d’accueil » et autres relatives à l’adoption ultérieure des enfants déplacés à l’étranger furent diverses et contrastées. Ce rapport passe en revue et analyse la vaste gamme de réponses et de mesures exceptionnelles mises en œuvre par certains pays en vue d’accélérer, dans un premier temps, le transfert des enfants (à l’égard desquels un jugement d’adoption avaient été rendu) et, dans un deuxième temps, les adoptions et autres procédures préalables à l’adoption (sans jugement). Dans le cadre de ces mesures exceptionnelles, l’objectif principal de ce rapport est d’identifier les leçons à tirer de cette situation afin de prévenir les dommages futurs. Ce n’est pas l’intention du rapport de dénoncer un pays en particulier, mais plutôt de fournir une analyse objective des mesures expéditives déployées, à l’encontre du cadre posé par les normes internationales.

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[1] http://www.iss-ssi.org/2009/index.p...

[2] http://www.hcch.net/index_fr.php?ac...