Un an après - Haïti, envers et contre tout, la relève littéraire

Un an après, le pays souffre encore du séisme. Les écrivains racontent, brillamment, le chaos.

Publié le 14 janvier 2011 sur OSIBouaké.org

Le Point.fr - 09/01/2011 - "Que peut la littérature ? Rien mais surtout pas se taire", écrivait Lyonel Trouillot dans le recueil Haïti parmi les vivants que Le Point a coédité avec Actes Sud. Après le séisme du 12 janvier, celui qui compte parmi les plus grands écrivains d’Haïti a envoyé chaque jour au Point.fr sa chronique depuis Port-au-Prince. Dany Laferrière et Michel Le Bris, revenus sains et saufs du festival Étonnants Voyageurs qui devait se tenir à Haïti à ce moment-là, ont, eux aussi, participé au témoignage. Et dans l’atelier d’écriture du Jeudi, animé dans la capitale haïtienne par Lyonel Trouillot, chacun brisait sur la page le silence de ces morts innombrables... Le recueil rassemble ces écrits et, un an après la catastrophe, les bénéfices des ventes du livre contribueront à la construction en cours du centre culturel Anne-Marie Morisset dans le quartier Delmas où vit Lyonel Trouillot.

Un an après, le pays va très très mal. Qu’y peut la création ? Elle a toujours surgi du chaos haïtien. Chaos Babel, comme l’écrit le grand poète Frankétienne. Dire et partager, faire sens quand, tout autour, rien ne tient plus debout. "Tout bouge autour de moi", raconte Dany Laferrière dans un récit tout en pudeur, chant d’amour à son pays natal. Un an après, la littérature se relève des décombres, bravant tout, vivante comme cette adolescente sortie de sa tente pour aller faire la fête. En voyant, trois jours après le séisme, une jeune fille se faire tresser les cheveux dans un camp, Yanick Lahens écrit dans Failles : "Je me suis dit que, quand les jeunes filles veulent encore être belles pour courir au-devant du désir et des mots à fleur de peau, tout espoir ne peut être perdu."

Ce sont ces jeunes filles que regardent deux jeunes écrivains haïtiens pour écrire leur pays dévasté. Dans un court roman baudelairien, plein de fulgurances, le jeune poète Makenzy Orcel, 27 ans, rend hommage aux filles de joie de la "Grand-Rue" de la capitale, Les immortelles, et fait un clin d’oeil à ce grand classique de la littérature haïtienne, L’espace d’un cillement de Jacques-Stephen Alexis, dont l’héroïne, la Nina Estrellita, est une jeune prostituée. C’est aussi vers la "Grand-Rue" que la narratrice du premier roman de Marvin Victor, 28 ans, aurait envie de marcher, dans Port-au-Prince détruite, ce 12 janvier 2010. Ne serait-ce qu’en mémoire de son arrivée dans la capitale : Ursula Fanon, née à Baie-de-Henne, était une toute jeune fille alors et découvrait la ville où les corps se mêlaient. Corps mêlés de Marvin Victor ! La voici, la première grande oeuvre de fiction née du séisme, mais qui charrie des personnages et des lieux depuis longtemps présents dans l’imaginaire d’un auteur repéré dès 2006 pour ses nouvelles par le prix du jeune écrivain francophone. C’est de New York, où il était pour une résidence d’artistes, que l’écrivain (aussi peintre et vidéaste) a appris "la chose" comme on l’appelle. Elle lui a ravi tant de proches, et d’abord son ex-compagne, à laquelle est dédié son premier grand texte. Un livre qui étreint Haïti, un chef-d’oeuvre de consolation, sans une larme de trop. En librairie le 13 janvier.

" Haiti parmi les vivants ", coédition Le Point- Actes Sud

"Tout bouge autour de moi" Dany Laferrière, Grasset (en librairie le 13 janvier)

" Failles " de Yanick Lahens, ed Sabine Wespieser,

" Les Immortelles " de Makenzy Orcel, ed Mémoire d’encrier.

" L’espace d’un cillement " de Jacques-Stephen Alexis, l’Imaginaire, Gallimard

" Corps mêlés " de Marvin Victor, ed Gallimard, 249 pages, 18,50 euros.

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