Le Brésil oublie les génériques

Le brevet du Kaletra, antirétroviral de l’américain Abbott, ne sera pas « cassé ».

Publié le 18 juillet 2005 sur OSIBouaké.org

Par Chantal RAYES, lundi 18 juillet 2005, Liberation le Brésil a renoncé à « casser » le brevet du Kaletra, antirétroviral (ARV  ) fabriqué par le laboratoire américain Abbott. Au terme de dix jours de négociations, le ministère de la Santé, qui traite à ses frais les malades du sida  , a annoncé le 8 juillet avoir décroché une « réduction significative » du prix du Kaletra, qui lui permettra d’économiser 259 millions de dollars en six ans (215 000 000 euros). Le prix unitaire fixé dans l’accord n’a pas été rendu public, mais Abbott a précisé ne pas l’avoir baissé. Il n’y aura réduction que si le nombre de malades prenant le Kaletra augmente. Une conclusion heureuse pour les géants occidentaux de la pharmacie, qui craignaient par-dessus tout que le Brésil ne se décide à « casser » les brevets protégeant la molécule, comme les textes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) le permettent.

Prix « congelé ». Selon l’accord, la somme totale déboursée par le Brésil pour fournir l’ARV   aux 23 400 patients qui le prennent aujourd’hui sera « congelée » pour les six ans à venir, même si leur nombre passe à 60 000, comme prévu au terme de cette période. L’accord vaut aussi pour la nouvelle formule du Kaletra, le Meltrex, qui sera lancée dans deux ans. La multinationale transférera la technologie du Kaletra à un laboratoire public brésilien, qui pourra copier l’ARV   à l’expiration du brevet... en 2015.

Abbott s’est félicité de l’accord. Le ministère brésilien de la Santé aussi, qui pense garantir le maintien du programme de distribution gratuite de traitements du sida  . Tel n’est pas l’avis de l’ex-directeur du programme, Alexandre Grangeiro, qui y voit « une perte pour le pays », la ristourne étant trop faible. Le 24 juin, le ministère de la Santé avait déclaré d’intérêt public le Kaletra, premier pas vers la rupture du brevet. Menacé d’aller jusqu’au bout de la procédure, en vertu des règles de l’OMC sur la propriété intellectuelle, si Abbott n’offrait pas sur son produit un rabais de près de 60 %, soit le prix estimé de sa version générique. Et martelé que toute réduction inférieure serait refusée, car elle menacerait la survie du programme de distribution gratuite du traitement. Or le rabais de 18 millions de dollars accordé par Abbott pour 2006 ne représente que 16 % du coût actuel du Kaletra.

Pourquoi le Brésil a-t-il fait marche arrière alors qu’un de ses laboratoires publics est en mesure de fabriquer des copies de cet ARV   ? « Le gouvernement a craint les représailles commerciales de Washington, qui le presse de respecter la propriété intellectuelle », explique un associatif. Depuis son lancement, en 1996, l’accès gratuit au traitement a réduit de moitié le nombre de décès liés à la pandémie. Mais si l’Etat peut traiter les malades à ses frais, c’est parce qu’il produit des copies bon marché de huit ARV   non protégés par des brevets, selon la loi brésilienne, car lancés sur le marché avant 1997. Pour les médicaments mis en vente après cette date, le ministère de la Santé a l’habitude de menacer leurs fabricants d’en casser les brevets, afin de leur arracher des rabais, sans la mettre à exécution. « Cela risque de faire du Brésil l’otage des multinationales et de leurs conditions », déplore Pedro Chequer, directeur du programme de lutte contre le sida  . Cela, d’autant que les ARV   copiés ici « sont de moins en moins utilisés, avec l’apparition des nouveaux traitements ».

Copies. Pour Chequer, si l’Etat veut parvenir à une réelle baisse du coût de ces médicaments et poursuivre leur distribution gratuite, il doit se donner les moyens de les produire lui-même, en « cassant » leurs brevets ou en obtenant une licence volontaire, c’est-à-dire l’autorisation donnée par leur fabricant de les copier.

De fait, alliée au nombre croissant des bénéficiaires de la distribution gratuite du traitement du sida   (170 000 des 600 000 séropositifs brésiliens), l’introduction de ces traitements de pointe a fait bondir le coût du programme de 77 % depuis 2000. A eux seuls, le Kaletra, l’Efavirenz et le Tenofovir représentent plus de 60 % de ce coût. Le Brésil est en négociation avec les fabricants de ces deux derniers ARV  , les laboratoires américains Merck et Gilead, pour tenter d’en réduire le prix et d’obtenir une licence.

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