Cameroun : Eléments d’analyse de la situation des OEV

Extraits du rapport de notre mission à Yaoundé du 26 mai au 6 juin 2005

Publié le 26 juin 2005 sur OSIBouaké.org

La mission de terrain qui s’est déroulée à Yaoundé du 26 mai au 6 juin 2005, nous a permis de recueillir des éléments d’analyse sur la situation des orphelins et enfants vulnérabilisés par le VIH  /SIDA   au Cameroun.

La revue documentaire a été complétée par des entretiens directs avec des acteurs de la prise en charge des OEV  , basés à Yaoundé ainsi que dans 2 provinces (Nord-Ouest et Ouest). Ainsi 12 structures ont été rencontrées lors de 18 rendez-vous. Les responsables des associations de province étant de passage dans la capitale, nous avons profité de l’occasion pour les rencontrer à Yaoundé. Les coordonnées des personnes et structures rencontrées figurent dans le document en pièce jointe.

Cependant, le pays étant vaste et très divers du point de vue contextuel (forts contrastes climatiques, différences entre réalités francophones et anglophones, etc.), les éléments d’analyse exposés ci-dessous sont indicatifs et ne peuvent pas être généralisés.

1. Quelques données statistiques

Les chiffres du premier paragraphe sont issus du rapport Children on the Brink 2004, UNAIDS, USAID  , UNICEF. Ceux du second paragraphe sont tirés du Rapport Mondial 2004, UNAIDS.

En 2003, le Cameroun comptait 8 millions d’enfants, dont 12% d’orphelins toutes causes confondues. Parmi ces 930 000 orphelins, 25% des ces enfants ont perdu un ou deux parents du sida   (240 000). L’épidémie de VIH  /SIDA   frappe fortement les femmes camerounaises, puisque parmi les 470 000 orphelins de mère, 160 000 le sont devenus à cause du sida   (vs 600 000 orphelins de père dont 140 000 du sida  ). De plus, 150 000 orphelins ont perdu les deux parents, dont 83 000 du sida  . 120 000 enfants sont devenus orphelins en 2003, et les statistiques projectives estiment que 14% des enfants camerounais seront orphelins en 2010, soient plus de 1 million d’enfants.

Fin 2003, le Cameroun comptait 560 000 personnes infectées par le VIH  /SIDA  , dont 40 000 enfants de moins de 15 ans. La prévalence chez les adultes s’élevait à 6,9%.

2. Principaux problèmes auxquels sont confrontés les OEV   et leurs familles

a) La pauvreté des familles

Yaoundé est manifestement une ville où les richesses alimentaires ne manquent pas : les marchés et étals sont bien achalandés en fruits et légumes très variés. La diversité climatique du pays assure un approvisionnement constant des villes où la plupart des denrées sont présentes toutes l’année (papayes, goyaves, mangues, bananes, ananas, pommes etc.). Le pays exporte même sa production alimentaire... Malgré cela, la crise économique qui s’est installée depuis les années 90 frappe de plein fouet les familles, et particulièrement les couches les plus vulnérables de la population. La conjonction des facteurs engendre une surcontamination au VIH   dans les couches les plus démunies de la population , les moins à même de faire face à l’accueil des orphelins dans les familles élargies. Ces familles qui peinent déjà à nourrir leurs propres enfants et qui luttent pour les scolariser, ont d’autant plus de mal à accueillir une (et parfois plus) bouche supplémentaire. A Yaoundé, il n’est pas rare de rencontrer un chef de famille de 35 ou 40 ans qui n’a jamais travaillé de façon stable et durable. Dans ce contexte de paupérisation grandissante des familles, tout le monde « se débrouille » avec des petits commerces de fortune. Après l’école, les enfants des familles pauvres partent vendre quelques denrées au bord de la route, sans toujours trouver d’acheteurs...

b) La stigmatisation sociale et les comportements discriminatoires

Les orphelins du sida   sont porteurs d’un double stigmate dans la société actuelle camerounaise. Tout d’abord, ils sont socialement disqualifiés par le fait-même d’être orphelins. Le regard porté sur ces enfants est facilement péjoratif, susceptible d’être stigmatisant et source de honte pour l’orphelin qui a l’impression d’être une personne maudite, sans valeur humaine. Par ailleurs, le VIH  /SIDA   continue d’avoir une très mauvaise image dans la société camerounaise. Cette perception sociale d’une maladie liée à la sexualité et aux mœurs conduit à une forte stigmatisation des OEV  , tant au sein des communautés que dans les pratiques des professionnels de l’enfance, de l’enseignement et de la santé. De ce fait, les orphelins dont les parents sont morts du sida   sont difficiles à repérer car ils ne se dévoilent pas facilement, même lorsqu’il s’agit d’un critère d’inclusion dans un programme de soutien. L’identification des OEV   est rendue difficile et est un obstacle majeur auquel se confronte les tentatives d’identification et de recensement à des fins d’aide. Dans ce contexte, il est quasiment impossible de se passer des compétences des communautés qui seules, sont susceptibles de savoir quels sont les OEV  , leurs lieux de vie et les besoins.

L’enfant dont les parents meurent du sida   est considéré comme systématiquement porteur du virus et de ce fait, mal accepté par la famille élargie. Cette mauvaise information des familles les conduit à avoir recours aux orphelinats pour se débarrasser d’enfants considérés comme dangereux pour le groupe. Nous nous sommes interrogés sur le soupçon de sorcellerie qui pourrait peser sur ces enfants, expliquant parfois ce type de comportements, sans pouvoir en vérifier la réalité. Le VIH  /SIDA   est plus facilement évoqué comme un « poison lent » par les malades qui souhaitent taire la cause de leur mal à leur entourage. Dans la pensée traditionnelle, le poison lent est une forme de sorcellerie qui condamne à mort une personne à qui un sorcier aura fait manger durant la nuit une nourriture « empoisonnée ». Les symptômes qui s’ensuivent sont ceux du sida   : la personne dépérit peu à peu avec des épisodes aigus. Mais pour la plupart des camerounais de Yaoundé, l’évocation de cette étiologie ne trompe personne : le malade qui déclare être victime de poison lent exprime d’une manière socialement acceptable qu’il a le sida  . Cette façon de dire les choses est courante et reconnue par les associations de lutte contre le sida   et de soutien aux OEV  , qui ont maintenant inclus ces malades et leurs orphelins dans leurs programmes. La stigmatisation des malades du sida   s’ajoutant aux idées reçues sur la contamination certaine de leurs orphelins, ces enfants apprennent parfois par des insultes la cause de la mort de leur(s) parent(s), et présentent des troubles psychopathologiques évoquant un traumatisme psychique (mutisme, cauchemars, sursauts, absences, désinvestissement massif de la scolarité...) accentué par le fait que ces enfants se pensent séropositifs eux-mêmes. Le fait que la transmission verticale du VIH   ne soit pas systématique est encore mal connue pour la plupart, et ceux qui l’ont entendu dire ont du mal à expliquer un phénomène qui paraît contraire à la logique populaire.

c) La maltraitance et l’exploitation des orphelins

Les facteurs exposés précédemment agissant en synergie négative, la vulnérabilité des OEV   à l’égard des adultes malintentionnés est particulièrement forte. Le premier acte de violence exercé sur les orphelins et leurs mères devenues veuves est la spoliation de leurs biens. Dans un contexte où tout le monde est démuni matériellement, tout héritage fut-il minime (quelques billets de banque, un petit lopin de terre) représente une valeur pour l’orphelin et donc pour son entourage. La spoliation des biens des orphelins au Cameroun a pris une ampleur particulièrement conséquente, et elle reste bien souvent invisible aux yeux des autorités, restant ainsi impunie. Parfois, la famille profite de l’hospitalisation du parent pour envoyer les enfants chez leur oncle, les éloignant de leur maison. Qui s’inquiètera de savoir si les enfants sont réellement bien pris en charge par leur famille élargie ou confiés à un orphelinat, mis à la rue, exploités ? Dans d’autres cas, l’entourage accueille les enfants pour mieux les spolier de leurs biens, ou encore pour les exploiter. Les filles sont davantage maltraitées que les garçons, sans toutefois que ces derniers ne soient complètement à l’abri de ces mauvais traitements. Les orphelines des campagnes sont prises dans des trafics d’enfants les menant en ville pour être prostituées, les garçons sont condamnés au travail forcé, véritable problème identifié comme tel par les acteurs de terrain du Cameroun . Les orphelines recueillies en famille ne sont pas pour autant davantage à l’abri : prises comme « seconde épouses » par leur tuteur, ou dans le pire des cas abusées sexuellement pour lui. D’un point de vue structurel, le dispositif législatif ne protège pas suffisamment le droit des veuves, exposant par ricochet leurs orphelins qui auront déjà été dépouillés des biens de leur père au moment où ils perdront leur mère. Les droits censés protéger les femmes et les orphelins sont très mal connus des intéressés qui sont lésés sans penser à défendre des droits qu’ils ignorent. Même dans le cas inverse où les droits sont connus, le manque de moyens s’oppose à la prise de dispositions législatives par les parents encore vivants (testaments notariés) ou à l’action en justice (procès). Par conséquent, ces pratiques sont largement impunies et quasiment invisibles. Les acteurs de la prise en charge éprouvent des difficultés à repérer ces phénomènes qui se passent à leur insu, et apprennent la plupart du temps par hasard que les biens des enfants ont été confisqués. Parce que leurs parents étaient trop pauvres pour y attacher de l’importance, ou parce que le lot d’épisodes chaotiques durant leur maladie ont eu pour conséquences de nombreuses ruptures ou déplacements, les actes de naissance des orphelins sont fréquemment introuvables, ce qui pose des problèmes majeurs pour la suite de leur existence, en particulier car il sera très difficile, parfois impossible de les scolariser. Dans tous les cas, la déscolarisation de l’ensemble des orphelins est massive, premier effet direct et repérable de la crise de l’orphelinage au Cameroun.

3. Les acteurs de la prise en charge

Bien que le phénomène soit une préoccupation récente à l’échelle de la société et ait une visibilité quasi inexistante dans l’espace public, les communautés durement frappées par le phénomène ont du s’organiser pour y faire face. L’initiative privée est généralement très développée au Cameroun et la prise en charge des OEV   ne fait pas exception. Avec très peu de moyens financiers et beaucoup de courage, des acteurs se sont engagés, créant des associations de soutien, des orphelinats, organisant des visites dans les domiciles, tentant de limiter l’impact désastreux de l’orphelinage dans la vie des enfants.

Jusqu’à ce que les bailleurs internationaux montrent une volonté de s’impliquer dans la prise en charge des OEV  , l’orphelinage a longtemps été considéré comme un problème inexistant au Cameroun, fier d’invoquer le système traditionnel dans lequel « tout enfant est l’enfant de la famille ». Les recommandations nationales actuelles affichent une forte volonté de renfort des capacités des familles élargies, alors que la situation des enfants vivant en orphelinats semble manifestement particulièrement alarmante, puisque même l’alimentation semble difficile à assurer. Cependant, ces structures d’accueil collectif sont parfois le seul recours pour les communautés où l’épidémie a décimé un trop grand nombre d’adultes. Dans la région de Dschang (Ouest du pays), une coopérative agricole qui comptait plus de 2 000 personnes, a perdu plus de 300 membres en 5 ans, contraignant des membres de la communauté à regrouper 26 orphelins dans un bâtiment précaire prêté par l’un des membres. Les orphelins qui y sont recueillis sont ceux à qui il ne reste plus personne, ayant perdu leurs deux parents du sida   ainsi que le reste de leur famille. Dans cette région au climat tempéré proche de celui de la France, 3 orphelins sont morts du sida   depuis ces 2 dernières années, et les 23 restant vivent dans un dénuement complet, le bâtiment dans lequel ils dorment ayant une partie du toit ouvert, et pas d’électricité. Les initiatives en direction des OEV   sont issues de la société civile (associations communautaires, locales et nationales), les ONG internationales (Care, Plan International) et les Nations Unies (UNICEF). L’intervention du PAM se limite pour le moment au Nord du pays, mais les besoins alimentaires ont été identifiés pour l’ensemble des OEV   et de leurs familles sur tout le territoire, et le PAM a la volonté d’étendre les interventions en leur direction.

Tous les intervenants agissant sur le terrain que nous avons rencontrés disposent d’une véritable analyse de la situation et ne manquent pas d’idées créatives et pertinentes pour remédier aux problèmes. Toutes ces actions entreprises ne sont pas coordonnées et touchent un nombre limité d’enfants, mais ces expériences devraient servir de base de travail à l’élaboration d’un projet de plus grande ampleur.

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