Disparition de Sotigui Kouyaté : le cinéma africain est en deuil

Publié le 23 avril 2010 sur OSIBouaké.org

Mondomix - Sara Taleb - 19/04/2010

Sotigui Kouyaté, acteur et comédien, est décédé le 17 avril dernier suite à une longue maladie pulmonaire à l’âge de 74 ans. La disparition de l’un des plus grands acteurs africains contemporains plonge la famille du cinéma africain dans une grande tristesse. Retour sur une vie aux milles facettes.

A priori, rien ne destinait Sotigui Kouyaté au cinéma et au théâtre si ce n’est son appartenance à une illustre famille de griots. Né en 1936 à Bamako, il débute sa carrière en tant que footballeur au Burkina Faso où il est sélectionné deux fois en équipe nationale. Il change de voie et devient enseignant avant de se plonger dans le monde de la comédie. Son ami Boubacar Dicko l’invite à jouer dans une pièce et Kouyaté prend goût à l’univers théâtral. Quelques années plus tard, il rencontre le célèbre metteur en scène anglais Peter Brook qui le fera jouer dans le Mahabharata, sa version de la grande épopée indienne. Débute alors une relation intense entre les deux hommes. Kouyaté s’installe en France et devient l’acteur fétiche de Brook qui lui donne le premier rôle dans de nombreuses créations.

Interview de Sotigui Kouyaté

Homme de théâtre, il est aussi acteur de cinéma. Mustapha Diop, Thomas Gilou, Philippe Lioret, Omar Sissoko, Patrick Grandperret, autant de réalisateurs avec lesquels il collabore. Son propre fils, Dani Kouyaté, le fait jouer à deux reprises notamment dans Keïta ! L’héritage du griot. Une longue série de films dont le dernier, London River de Rachid Bouchareb (avec qui il avait déjà travaillé sur Little Sénégal) est synonyme de consécration. En effet, il reçoit pour ce long-métrage l’Ours d’argent du meilleur acteur au Festival de Berlin en 2009.

Bande-Annonce de London River

Sotigui Kouyaté, acteur autodidacte se voulait aussi être un défenseur de la culture africaine et de ses valeurs. Le cinéma africain perd ainsi un des ses plus illustres noms et un de ses plus importants promoteurs.


Prix

Meilleure interprétation masculine en 2001 au Festival International du Film Francophone (Namur) pour le film "Little Sénégal", du cinéaste franco-algérien Rachid Bouchareb.

En Février 2009, il reçoit l’Ours d’argent du meilleur acteur au Festival de Berlin pour le film "London River", du cinéaste franco-algérien Rachid Bouchareb.

Filmographie

  • 1972 : FVVA : Femme, villa, voiture, argent de Mustapha Alassane.
  • 1973 : Toula ou le génie des eaux de Mustapha Alassane.
  • 1983 : Le Médecin de Gafiré de Mustapha Diop.
  • 1986 : Black Mic Mac de Thomas Gilou avec Jacques Villeret, Isaac de Bankolé, Félicité Wouassi, Daniel Russo , Houdia Seye, Sidy Lamine Diarra, Cheik Doukouré, Mohamed Camara, Lydia Ewandé, Math Samba, Rémi Laurent, Amara Soumah et Pascal Légitimus.
  • 1988 : Le Mahabharata de Peter Brook.
  • 1992 : Golem , l’esprit de l’ exil d’Amos Gitai avec Hanna Schygulla, Vittorio Mezzogiorno, Ophrah Shemesh, Samuel Fuller, Muriel Perrier, Fabienne Babe, Bernardo Bertolucci et Philippe Garrel.
  • 1994 : Tombés du ciel de Philippe Lioret
  • 1995 : Le Maître des éléphants de Patrick Grandperret, avec Erwan Beynaud et Jacques Dutronc.
  • 1999 : La Genèse de Cheick Oumar Sissoko avec Jean-Louis Sagot-Duvauroux, Salif Keïta, Balla Moussa Keïta, Fatoumata Diawara, Maïmoura Hélène Diarra, Fatoumata Coulibary, Habib Dembélé, Magma Coulibaly et Oumar Mamory Keïta.
  • 2001 : Little Senegal de Rachid Bouchareb avec Roschdy Zem, Sharon Hope Ida, Karim Traoré Hassan, Adetoro Makinde Amaralis et Adja Diarra Biram.
  • 2002 : Sia - Le rêve du python de Dani Kouyaté avec Hamadoun Kassoqué, Fatoumata Diawara et Habib Dembélé.
  • 2003 : Dirty Pretty Things de Stephen Frears.
  • 2004 : Génésis de Marie Perennou et Claude Nuridsany.
  • 2005 : L’ Annulaire de Diane Bertrand.

Pièces de Théâtre

  • 1985 : Mahabharata, mis en scène par Peter Brook
  • 1990 : La Tempête, mis en scène par Peter Brook
  • Novembre 1993 : L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau mis en scène par Peter Brook, d’après l’œuvre d’Oliver Sacks
  • 1996 : Qui est là, mis en scène par Peter Brook
  • Janvier 1999 : Antigone, de Sophocle, mis en scène par Peter Brook, avec le Mandéka Théâtre de Bamako
  • 2000 : Hamlet, de William Shakespeare, mis en scène par Peter Brook Décembre 2000 : Le Costume de Can Themba, adapté par Mothobi Muloaste, mis en scène par Peter Brook
  • Février 2003 : La Tragédie d’Hamlet, de William Shakespeare, traduit par Marie-Hélène Estienne et Jean-Claude Carrière, mis en scène par Peter Brook
  • Octobre 2004 : Tierno Bokar, mis en scène par Peter Brook d’après Vie et l’Enseignement de Tierno Bokar, roman de Amadou Hampâté Bâ (Tierno Bokar)

Les Lilas pleurent Sotigui Kouyaté, leur griot

Le Parisien - Éric Bureau | 19.04.2010

Sotigui Kouyaté est mort samedi. Il avait tourné dans « London River », « BlackMic-Mac » , « IP5 » et bien d’autres films.Ce « citoyen du monde » avait posé ses valises aux Lilas.

Tous les habitants des Lilas connaissent cette maison à la façade colorée d’une grande mosaïque et ornée de l’inscription « la voix du griot », du nom de l’association qu’il avait créée. Certains la surnomment « la maison du bonheur », tant elle est toujours ouverte et chaleureuse. Mais hier, Sotigui Kouyaté n’était pas assis dans son grand fauteuil pour accueillir les visiteurs. Et dans la salle commune, où brûlaient deux bougies, les mines n’avaient jamais été aussi tristes.

L’artiste africain aux multiples talents — footballeur, boxeur, basketteur, fonctionnaire d’Etat, comédien, metteur en scène, musicien, danseur, conteur, griot —, citoyen du monde aux trois passeports — malien, burkinabé et suisse — est décédé samedi soir à Paris d’une longue maladie pulmonaire.

Des hommages du monde entier

Il avait 74 printemps, dont les 17 derniers passés avenue Eugène-Decros, aux Lilas, avec ses dix enfants, dans sa maison-atelier de travail. « Il a toujours vécu pour sa famille et ses amis », raconte Hassane, l’un de ses fils.

Et ils étaient nombreux : dans les milieux artistiques, mais aussi dans les communautés malienne et burkinabée, où Sotigui Kouyaté était considéré comme un sage et très écouté.

Ils étaient déjà des dizaines hier à venir soutenir Esther, sa femme, ses enfants et ses 16 petits-enfants. Dans le salon où trônent quelques-unes de la centaine de récompenses qu’il a reçues — dont l’Ours d’argent du meilleur acteur l’an dernier à Berlin pour le film « London River » de Rachid Bouchareb — les palabres tournaient pour une fois toutes autour de lui.

Jean-Marie Lehec, qui a joué pour lui lorsqu’il était directeur de l’Espace Kino à Paris, avoue ne « jamais avoir été dirigé avec autant de poésie et d’émotion ». « Pendant les répétitions, il m’appelait mon fils, et son fils, mon ami ». Car tous ses enfants sont artistes. « Il ne nous a jamais forcés, mais nous avons tellement baigné dans cet univers, sourit Hassane. Je perds un père, mais aussi un maître et un ami. J’ai eu beaucoup de chance de connaître cet homme. »

Pour Habib Dembélé, son fils adoptif devenu comédien et metteur en scène star au Mali, « il était un baobab qui pouvait porter des dizaines de fruits et donner de la saveur à chacun. Mon téléphone est saturé de messages venus du monde entier pour lui rendre hommage. » « Les télés malienne et burkinabée ont déjà diffusé ses films hier soir, explique Hassane. Peter Brook, qui l’a mis en scène à de nombreuses reprises au théâtre, nous a appelés quatre fois. Il viendra dès qu’il le pourra. »

Lorsque le trafic aérien reprendra, Sotigui Kouyaté sera enterré à Ouagadougou, où il a grandi. Sa famille envisage d’organiser une soirée à Paris la veille de son dernier voyage. Aux Lilas, le maire, Daniel Guiraud (PS), aimerait aussi organiser un hommage. « Sotigui était un homme exceptionnel, témoigne l’élu. Comme les plus grands, il était modeste et discret mais il a mené de nombreuses actions dans la ville, avec son association, dans les écoles. Il avait une prestance, une majesté naturelle qui, ajoutées à sa grande taille, le rendaient assez impressionnant. Sa disparition est un choc terrible. »

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