Bouaké entre guerre et paix

Publié le 9 mars 2010 sur OSIBouaké.org

Depuis l’Accord politique de Ouagadougou (AOP), signé en mars 2007, la vie reprend lentement son cours à Bouaké, l’ex-capitale rebelle, dans le centre de la Côte d’Ivoire. Mais sept ans après le début de la crise politico-militaire, la population, de la deuxième ville du pays attend les élections et s’interroge sur son avenir.

Dans le quartier central de Bouaké, rien, ou presque, n’indique que la deuxième ville de Côte d’Ivoire sort de sept ans de guerre. Les étals des marchés sont remplis, les ménagères, les vendeurs ambulants et les taxis motos circulent librement. Les militaires des Forces Nouvelles se font rares, excepté à l’entrée et à la sortie de la ville, où ils ont toujours leurs « péages ».

Depuis l’Accord Politique de Ouagadougou, signé en mars 2007, Bouaké a retrouvé un peu de sérénité : les banques et plusieurs entreprises privées se sont timidement redéployées dans la zone. Parallèllement, les fonctionnaires ont commencé à réintégrer petit à petit leurs postes. L’installation du préfet Konin Aka est récente -mai 2009- et reste relativement théorique : dans les faits, les « Comzones », les commandants de zone installés par les Forces Nouvelles, continuent de gérer les affaires locales.

Depuis la fin octobre, la Société de transports urbains de Bouaké (STUB) a mis en circulation dix bus, pour faciliter les déplacements dans la ville, au prix unique de 100 fcfa (0,15 cts d’euro). La RTI, la radio-télévision nationale ivoirienne, qui n’avait plus de correspondant dans la zone depuis 2002, a redéployé, en juillet 2009, deux journalistes volontaires à Bouaké. Un symbole fort, même si la RTI doit cohabiter avec les médias des Forces Nouvelles - TV Notre Patrie et Ivoir’FM- qui continuent à émettre sans autorisation du CNCA, l’instance centrale de régulation de l’audiovisuel, à Abidjan.

Le règne de l’informel

Sur le plan économique, Bouaké, deuxième ville la plus peuplée du pays, peine à sortir de l’ornière. Au détour d’une allée du marché, Karim, vendeur de tee-shirts de seconde main donne son point de vue sur la situation : « Les victimes de la guerre ne sont pas ceux qui sont partis au front, ce sont ceux qui ont monté leur affaire avant la crise afin de nourrir convenablement leurs familles. La guerre a fait considérablement régresser toutes les initiatives individuelles, même celles qui marchaient le mieux. C’est la chute libre ! ».

Malgré une reprise partielle des activités, l’informel a considérablement gagné du terrain depuis la partition du pays, en 2002. A « Baranda Lôgô », l’ancien marché de bananes, on ne trouve plus de fruits, mais des tas de ferraille, vendus à la tonne aux Indiens au port d’Abidjan ou au kilo aux forgerons des alentours.« Au début de la crise, les routes étaient bloquées et les camions de bananes ne pouvaient plus arriver jusqu’ici, explique la doyenne du marché. Alors le fer mort a pris le relai et est devenu une activité à part entière à Bouaké. Quand tout était arrêté ici, les gens ont vu qu’avec peu de moyens, ils pouvaient faire de petites économies et nourrir leurs familles ».

Effectivement, pendant la crise, une bonne partie des fonctionnaires ont quitté leur poste et des quartiers entiers se sont retrouvés vidés de leurs habitants. Les locaux désertés ont été méticuleusement pillés. A la Direction régionale de l’enseignement national, les professeurs ont, par exemple, repris, tant bien que mal, leurs activités, il y a quelques mois, dans des bâtiments exsangues : il ne reste plus rien. Des fils électriques aux sanitaires, en passant évidemment par les archives, tout a été arraché, démonté, récupéré… et certainement revendu au poids au « marché de bananes » par les pillards. Le quartier des douanes, mais aussi plusieurs bureaux de postes annexes, ne fonctionnent toujours pas.

En attendant les élections

A la « cafétéria de la paix », un kiosque accueillant installé au bord de la route, les discussions politiques vont bon train. A travers d’énormes enceintes, la star du reggae ivoirien Alpha Blondy chante son tube du moment : « Il faut que chacun de nous fasse un pas vers la paix ». Un maçon rebondit : « A Bouaké, on attend la reprise totale des activités. C’est l’accalmie, on se sent bien. Ce n’est plus vraiment la guerre, mais pas vraiment la paix non plus : nous sommes dans l’attente des élections. » Au comptoir, comme dans tout le pays, les débats divisent optimistes et pessimistes. Cela fait sept ans que cela dure, depuis le début de la crise. Certains veulent croire à des élections, début mars, les autres s’interrogent sur les mouvements des soldats des Forces Nouvelles, qui ont repris leurs entraînements militaires, fin octobre.

En finissant son omelette, un quinquagénaire clôt la discussion d’un revers de la main : « Plus ça va et plus les gens sont anxieux et doutent de l’avenir. Les politiciens reprennent leurs petits mic-macs pour contourner le dispositif de sortie de crise de l’APO... Et nous la population, nous attendons. Que faire d’autre ? Les zones sud et nord se regardent en chiens de faïence, de plus en plus intensément pour comprendre exactement ce que veut l’autre. Tout le monde veut la paix, mais elle semble s’éloigner à chaque report des élections ». Sa mobylette démarre et, en silence, chacun retourne à ses activités.

2010-02-12 , Eglantine Chabasseur, RFI

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