Bolloré attaque France Inter et se retrouve sur la défensive
Publié le 17 décembre 2009 sur OSIBouaké.org
Par David Servenay | Rue89 | 16/12/2009 | 18H08
Un procès en diffamation est souvent plein de surprises. Mardi, la XVIIe chambre du tribunal de Paris a examiné la plainte du groupe Bolloré contre une enquête de France Inter intitulée « Cameroun : l’empire noir de Vincent Bolloré ». Rue89 a suivi cette audience boomerang où l’attaquant s’est retrouvé en position de défenseur.
La présidente et ses deux assesseurs ont hésité 30 minutes. Un délibéré pour finalement décider d’entendre quatre témoins, cités par les journalistes de France Inter, et spécialement venus du Cameroun pour l’occasion. Les autres témoins reviendront au mois de mars 2010, à la demande de l’avocat de Bolloré qui réclamait un délais pour peaufiner son attaque.
Car depuis le 29 mars, dans la tour de Puteaux qui sert de siège à l’entreprise, le reportage de Benoit Collombat (avec qui j’ai co-signé un livre sur le patronat) met la direction en émoi. « Tout est faux », lâche Dominique Lafont, directeur général Afrique du groupe, présent à l’audience pour défendre l’honneur et la réputation de son employeur, face à « ces articles diffamatoires ». Et de prendre l’exemple de Camrail, la société de chemin de fer en concession, exploitée par Bolloré depuis 1999 au Cameroun.
A la barre, quatre témoins camerounais défilent. Tous racontent la même histoire : derrière les chiffres ronflants des investissements, de la bonne gestion et des discours officiels, ils dressent le constat d’un désastre social.
Hillaire Kamga, 44 ans, consultant et président de l’association Nouveau Cameroun, dénonce la concession accordée pour l’exploitation du chemin de fer :
« Au moment de l’accord de concession en 1999, il était prévu que 603 employés, retraités de la régie Fercam, devaient être indemnisés par l’Etat à hauteur de 26 milliards de francs CFA. A ce jour, ils n’ont rien touché. Pour Bolloré, c’est la mafia des Etats superposés : je prends l’actif, je laisse le passif. »
Jean-Marc Bikoko, 52 ans, enseignant d’histoire-géopgraphie et président de la centrale syndicale du secteur public, a déclaré dans le reportage de 44 minutes que « Bolloré, c’est un prolongement du colonialisme » :
« Depuis l’arrivée de Bolloré, il y a eu une dizaine de licenciements abusifs d’employés de la Camrail. Nous les contestons, mais la justice est aux ordres. En fait, le syndicalisme a périclité sous Bolloré. La responsabilité sociale des entreprises, dont vous parlez si souvent ici, elle est où chez nous ? »
Edouard Tambwe, secrétaire général du syndicat national des inscrits maritimes, raconte les conditions de travail du port autonome de Douala, où Bolloré emploie 2170 dockers :
« - Si je suis là, c’est parce ce que j’ai osé parler. Nous sommes un syndicat professionnel, mais nous sommes intimidés. J’ai été convoqué par la gendarmerie, par les Renseignements généraux… On me dit : “ Soyez moins bavard ”. - Et le centre médical du port, pourquoi vous n’en parlez pas ? , questionne Olivier Baratelli, l’avocat de Bolloré. - Il existe ce centre, mais il est là pour infirmer les certificats médicaux faits à l’extérieur. Il est détourné de sa mission. »
Pius N’jawé, 52 ans, directeur du journal Le Messager à Douala, qui comptabilise à lui seul 126 arrestations :
« Bolloré est un Etat dans l’Etat, il n’a de compte à rendre à personne. Cette Françafrique continue à garder une mainmise sur des secteurs entiers de l’économie, avec de l’argent qui revient en France pour financer des partis politiques. » Le fil rouge de ces témoignages -un des éléments principaux du reportage d’Inter- est la collusion entre le groupe français et les plus hautes autorités camerounaises. Ce que le DG Afrique du groupe reconnaît à mots couverts, car le système même de la concession de service public oblige à certains compromis.
Un exemple ? Bolloré finance la fondation privée de Chantal Biya, « à hauteur de 50 000 euros je crois », précise Dominique Lafont. Ferait-il la même chose en France pour la fondation de Carla Bruni-Sarkozy ? « Pourquoi pas, si c’est bien… »
Quant aux conditions de travail dans les plantations de la Socapalm -où les ouvriers récoltant les noix sont payés 60 euros par mois-, le représentant de Bolloré ne s’estime « pas compétent » pour les commenter.
Après le reportage diffusé par France Inter au printemps, Bolloré a lancé une contre-offensive médiatique de grande envergure avec voyage de presse express en jet privé pour convaincre ces journalistes pleins d’a priori.
Dernière surprise : je découvre en fin d’audience la nouvelle directrice de la communication du groupe Bolloré. Elle accepte le principe de l’interview de son patron. Je la connais bien, nous avons travaillé ensemble à Radio France International (RFI) où elle était jusqu’à très récemment chef du pôle économie…