Notre usine est un roman

Publié le 30 septembre 2009 sur OSIBouaké.org

"Ce livre est une première : jamais l’histoire d’une grande entreprise n’avait encore été écrite de cette façon, du point de vue de ses salariés. Après une longue lutte menée contre la fermeture d’un site de recherche pharmaceutique à Romainville, en région parisienne, des salariés de Sanofi-Aventis ont voulu raconter leur histoire collective du milieu des années 1960 à nos jours. Ils se sont regroupés en association et ont confié leurs témoignages à un écrivain qui a conçu ce livre comme un roman. Les trajectoires des personnages – ouvriers, cadres, techniciens, chercheurs – en forment la trame, à la fois chronique d’un site industriel et roman choral, récit intimiste et épopée contemporaine. Leur parcours dessine un demi-siècle d’histoire : celle des conditions de travail héritées du « paternalisme » industriel, de l’occupation de l’usine en Mai 68, de l’élection de François Mitterrand, de la vie syndicale au quotidien, du féminisme, des conséquences de la mondialisation, des fractures au sein du mouvement ouvrier… C’est le portrait d’une génération avec ses joies, ses espoirs et aussi ses désillusions qui est racontée ici de manière vivante et imagée."

Un roman unique ! vraiment ! je n’ai jamais lu un livre retraçant avec autant de justesse 40 ans de vie ouvrière... Je pensais avoir tout lu sur Mai 68, mais c’était avant de le vivre au travers de l’histoire des salariés de Roussel-Uclaf,...et vu flotter le drapeau rouge sur l’usine de Romainville !!! Ce livre est une parfaite illustration des dérives de notre économie : d’un capitalisme paternaliste, hérité de la révolution industrielle, nous assistons sous nos yeux à l’emergence d’un capitalisme purement financier qui conduira à la fermeture de l’usine...

S’y joue aussi un drame en trois acte qui n’est autre que l’histoire de l’industrie pharmaceutique (récit de Yann Le Briac [1], chef de labo, pages 391 à 403) : acte1 "celle qui marche", acte2 "celle qui commence à franchir la ligne jaune", et acte 3 "celle qui roule à contresens".

Acte I : l’industrie pharmaceutique "fabricant de médicaments", c’est le temps de la recherche, les usines sont dirigées par des scientifiques...Yann le Briac, illustre cette période par la découverte fortuite du RU486 (début des années 80) "le RU486 c’est donc tout cela : des chimistes brillants, une collaboration fructueuse entre recherche publique et recherche privée et des dirigeants qui ne sont pas seulement tenus par le fric mais qui ont le désir de soigner et mieux qui prennent le risque de peser dans les débats de société"

Acte II : les années 90. l’arrivée au pouvoir du Marketing. "les gens du Marketing entrent en scène : ils se reconnaissent facilement, ils ont des costards qui valent un mois de salaire de technicien et des montres hypertumorales, des excroissances monstrueuses au poignets. La première chose à dire et peut être la seule est qu’un gars du Marketing raisonne en camembert. Il t’explique que telle famille de médicaments représente actuellement un marché de tant de millions de dollars (....) il est déduit ce qui est rentable (...) et le verdict tombe : on commercialise ou on abandonne" Et on abandonne sur des critères de rentabilité, des molécules qui pourraient pourtant apporter un réel progrès aux malades ! .C’est aussi l’époque de l’invention et de la promotion des produits "me too", molécules dérivant de médicaments existant que l’on modifie juste un peu pour pouvoir contourner le brevet du concurrent... Le résultat c’est la frilosité et la pénurie de médicaments innovants, "tout le monde cherche dans le même domaine : les maladies chroniques des riches" et comme les labos se positionnent tous sur les même marché, les frais de promotion explosent (publicité, visiteurs médicaux...)"comme les nouveaux médicaments ne s’imposent pas par leur performance thérapeutique, les entreprises cherchent à doper les ventes par une surenchère de promotion" (...) "on estime que les frais de marketing sont deux fois et demi plus élevés que les frais de recherche"

Acte III : les années 2000 et aujourd’hui...(en attendant l’acte IV) là Yann Le Briac, nous décrit l’industrie pharmaceutique telle que nous la connaissons et en parlons régulièrement sur notre site... Celle où le fric et les intérêts des actionnaires priment sur tout le reste, y compris sur la santé des malades !! Manipulation des études, abandon des recherches sur les effets secondaires, tout est bon, pour gagner plus... "A partir du moment où les actionnaires exigent des rendements de quinze ou seize pour cent, cela devient incompatible (...) avec l’intérêt des salariés et des malades. (...) Les médicaments par eux mêmes ne peuvent pas (...) offrir quinze pour cent, quand ils en offraient cinq ou huit depuis vingt ans. Pour arriver aux quinze pour cent, les dirigeants qui sont tenus en laisse par leurs stocks options font le choix de sacrifier l’investissement, qui coute aujourd’hui mais ne rapportera que dans trois, cinq ou dix ans, à une date où ils seront déjà partis. Au lieu d’investir, on fusionne les entreprises, on supprime des sites (...) C’est scier la branche sur laquelle on est assis (...) l’industrie pharmaceutique ne peut pas garantir des taux de quinze à seize pour cent (...) tout en garantissant des médicaments pour un maximum de patients et de pathologies (...) c’est pour ça que les habitants des pays pauvres comme les pays africains crèvent alors que l’on pourrait les sauver. (...) Il ne peut plus y avoir convergence entre l’amélioration de la santé publique et les intérêts des actionnaires" ... Le vrai Yann le Briac, plaide et milite pour une recherche à l’échelle européenne, financée par des fonds publics et privés (par un actionnariat "éthique" acceptant une moindre rentabilité), c’est ce qu’il a proposé avec le projet Néréis pour le reclassement du site Roussel Uclaf de Romainville...projet rejeté pour des raisons purement idéologiques....

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Notre usine est un roman Sylvain Rossignol, La Découverte-Poche, Paris, 2009, 418 pages, 12 euros.
un livre passionnant, je vous dis !!

Didier Grouard

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[1] de son vrai nom Patrick Vandevelde