Mali : La prise en charge des enfants vulnérables et des orphelins du sida en question

Publié le 2 juin 2005 sur OSIBouaké.org

BAMAKO, 1 juin 2005 (PLUSNEWS) - La petite était devant sa porte quand Noumousso Mariko est sortie de chez elle pour aller travailler. Elle avait sept ans, sa tante l’avait laissé là après la mort de ses parents, apeurée par sa séropositivité et son état de santé fragile.

En apprenant le statut de sa nièce, la tante avait demandé : “Dis, est-ce que la petite est contagieuse ?” à Noumousso Mariko, la secrétaire à l’information de l’Association féminine d’aide et de soutien aux veuves et aux orphelins du sida  , Afas, qui regroupe plus de 360 femmes séropositives et une centaine d’enfants vulnérables.

C’était en 2000, juste après l’annonce du statut de Fatou (un nom d’emprunt) au Cesac, le centre intégré d’écoute, de soins, d’animation et de conseils avec lequel Afas travaille étroitement et vers lequel la tante et Fatou avaient été orientées, compte tenu des infections à répétition de la petite.

Mariko se souvient avoir expliqué longuement les modes de transmission du VIH  /SIDA   et avoir rassuré la tante lui expliquant que le Cesac, une structure privée de référence au Mali, s’occuperait de Fatou et qu’elle ne pourrait qu’aller mieux maintenant que l’on savait de quoi elle souffrait.

Selon les autorités en charge de la lutte contre la pandémie au Mali, l’un des pays les plus pauvres du monde, une femme sur deux ne connaît aucun moyen de protection contre le virus.

“Un jour, la tante est revenue me voir au Cesac, elle m’a dit qu’elle n’avait pas le temps de s’occuper de la petite, elle m’a demandé où j’habitais”, raconte Mariko. “Trois mois après le test, elle l’abandonnait devant chez moi. La petite n’allait même pas à l’école”.

Depuis, Fatou est prise en charge et si elle trouve en Mariko l’affection d’une mère, le Cesac et l’Afas fournissent gratuitement les médicaments antirétroviraux (ARV  ) dont elle a besoin depuis février 2002, les frais de scolarité, les fournitures scolaires et même les séjours en colonie pendant les grandes vacances.

“C’est l’exact rôle de l’Afas”, explique Mariko. “Nous sommes là pour subvenir aux besoins de la centaine d’orphelins et d’enfants vulnérables dont nous avons la charge. Nous sommes là pour dire aux parents, aux grands-parents qui s’en occupent souvent, que l’on peut les aider à faire face”.

Depuis les années 1995, et faute d’une politique nationale de lutte contre le VIH  /SIDA   prenant en compte les enfants identifiés comme étant infectés et affectés par la pandémie au Mali, les organisations non-gouvernementales locales et internationales ont mis en place leur propre stratégie de prise en charge.

L’Etat estime qu’entre 45 000 et 70 000 enfants de moins de 18 ans étaient orphelins ou rendus vulnérables par le VIH  /SIDA   en 2001. Ils pourraient être 150 000 enfants infectés par le virus en 2010, faute de prise en charge, selon le Haut Conseil de lutte contre le sida   (HCNLS) qui estime le taux national de prévalence au VIH   à 1,7 pour cent.

Grâce à l’aide de ses partenaires extérieurs, dont le programme international Esther (Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau), le Cesac et les associations de personnes séropositives prennent en charge l’appui nutritionnel en lait maternisé et bouillies pour les moins de deux ans et assure l’habillement et la scolarité de l’enfant, les soins à domicile et le suivi psychosocial.

Les médicaments pour les maladies opportunistes sont gratuits, ainsi que les soins et les ARV   pédiatriques, disponibles dans quelques hôpitaux publics, selon l’un des membres fondateurs du Cesac, le sociologue Amadjgé Togo.

“Nous nous occupons également du suivi de la scolarité des enfants, en nous faisant passer pour des agents humanitaires ou de la famille”, explique t-il. “La discrimination à l’école est très importante et l’enfant peut être rejeté à cause de cela. Nous y faisons très attention”.

Eriger la prise en charge intégrée et communautaire en politique nationale

Pour Mohamed Attaher Maiga, chargé de la prévention et de la sensibilisation au secrétariat exécutif du HCNLS, le principe des centres intégrés de prise en charge à l’image du Cesac est à encourager au Mali, un pays qui prépare son premier plan d’action en faveur des enfants rendus vulnérables par la pandémie de VIH  /SIDA  .

“La prise en charge des enfants et des orphelins n’est devenue une priorité gouvernementale que depuis deux ans”, dit Maiga à PlusNews. “Jusqu’à présent, ce sont les associations qui se sont occupées de ces enfants vulnérables et les principes communautaires qu’ils mettent en oeuvre devront, à mon avis, être conservés et multipliés”.

Selon le document en préparation au HCNLS, la politique nationale en faveur des enfants vulnérables s’inspire très largement des actions déjà mises en oeuvre au niveau du Cesac, en terme de prise en charge médicale, psychosociale, nutritionnelle et éducative, que de la protection de ses droits.

Selon Maiga, le HCNLS sera en mesure de présenter au plus tard en juillet cette politique nationale de prise en charge des orphelins et des enfants vulnérables, qui sera financée en partie par les 145 millions de dollars mis à la disposition du Mali jusqu’en 2009 par le Fonds mondial de lutte contre le sida  , la tuberculose et le plaudisme, ainsi que par la Banque mondiale, le Fonds africain de développement et divers programmes et coopérations.

“Si nous avons les moyens de créer une vingtaine de Cesac dans les régions, ce serait une bonne chose pour le Mali qui doit maintenant choisir entre des structures classiques de dépistage et de prise en charge et des centres intégrés”, explique Maiga.

“En ce qui me concerne, je suis en faveur du principe d’une structure de proximité qui associe les communautés”, dit-il.

Selon Attaher Maiga, les financements internationaux obtenus par le Mali permettront de renforcer 54 centres de santé en personnel et matériel de dépistage, d’information et de prise en charge à travers le pays. Quelques 400 centres de santé à gestion communautaire (Cescom) sur les 600 existants bénéficieront également d’un appui pour la prise en charge des populations vulnérables.

“Aujourd’hui seulement 16 centres de dépistage existent à travers le pays et ils sont en majorité à Bamako”, commente Maiga. “Nous sommes en situation d’urgence, il nous faut aller vite, notamment en raison de l’analphabétisme qui prévaut dans notre pays et qui alimente l’épidémie”.

Que répondre aux enfants de la rue ?

Pourtant, les acteurs de la lutte contre le sida   et le secteur privé, tous associés à la définition et l’exécution de la stratégie nationale, s’avouent incapables de dépister les orphelins ou les enfants qui présenteraient une vulnérabilité au VIH  /SIDA   - enfants des rues, délinquants, migrants ou jeunes travailleurs.

“Nous ne pouvons pas obliger les enfants à se faire dépister et rares sont ceux qui acceptent”, explique Modibo Sango, de l’ONG Amad-Pelcode et membre du Réseau des intervenants auprès des orphelins et autres enfants vulnérables (RIOEV), qui regroupe une quarantaine d’associations et un millier d’enfants vivant dans les rues des grandes villes maliennes.

Créé en juillet 2003, ce réseau souhaite “diminuer les risques et les souffrances associées au VIH  /SIDA  ”, selon l’un de ces animateurs, Maridiougou Traoré. Ses actions s’articulent autour de la prévention, du dépistage, de la prise en charge médicale et psychosociale ainsi que de la formation et l’alphabétisation des orphelins du sida  .

“On souhaite empêcher les enfants vulnérables d’être infectés par le sida  ”, explique Sango. “On essaye de les identifier, de les sensibiliser et de les prendre en charge”.

Or sur le millier de filles et de garçons dont s’occupe l’ensemble des associations du RIOEV, seule une quarantaine a accepté en décembre dernier de se faire dépister au Cesac. Selon Sango, 18 enfants se sont révélés séropositifs ; sur les sept filles qui ont accepté de faire le test, trois étaient positives au VIH  .

“Beaucoup autour de nous sont malades”, affirme Ali, un garçon de 17 ans qui est parti de chez lui il y a cinq ans, fuyant une grand-mère acariâtre et une mère trop faible. Il mange au centre ouvert du RIOEV, un lieu insalubre qui jouxte le Cesac où les enfants de la rue viennent trouver un peu de repos, de l’eau et à manger quand les ONG du réseau trouvent l’argent pour les repas.

“Je vais chercher des préservatifs au Samu ou dans les centres de dépistage”, assure Ali entre deux coups donnés à sa voisine, une petite Aicha de 13 ans qui va dormir la nuit avec les femmes, de peur d’être agressée par les gros bras qui traînent dans le centre.

Vrai ou faux, Ali assure avoir fait le test deux fois. “Je ne veux pas mourir de ça”, dit-il. Les tests peuvent coûter jusqu’à 500 francs CFA au Mali, mais ils sont généralement gratuits, notamment au Cesac dont une porte donne sur le centre des enfants.

Selon l’un des responsables du Cesac, le sociologue Amadjgé Togo, il est nécessaire de préciser l’âge minimum auquel un enfant peut être dépisté et comment le lui annoncer, surtout quand il n’est pas accompagné.

“Nous ne pouvons pas dire à un adolescent de 15 ou 16 ans, pourtant sexuellement actif, qu’il doit se faire dépister ou qu’il est séropositif”, explique Togo. “Il peut culpabiliser ou détester ses parents s’ils sont encore vivants, il peut attenter à sa vie si personne ne le soutient”.

Cela est d’autant plus difficile pour les enfants en situation difficile que l’accès aux traitements est limité. Pour Togo, il est impossible de mettre ces enfants en situation difficile sous ARV  . “Nous ne pouvons pas donner des médicaments à des enfants qui n’ont pas de domicile fixe, il n’y aucun suivi possible, ils sont seuls, ne savent pas où dormir, certains disparaissent. On ne peut rien faire”.

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