Act Up : 20 ans et toujours la rage

Sida . Les franchises médicales, la loi hôpital ... Pour l’association, la lutte continue.

Publié le 28 juin 2009 sur OSIBouaké.org

Société 27/06/2009 à 06h52 - Eric favereau

Le romancier Paul Nizan avait eu cette expression devenue légendaire : « J’avais 20 ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » L’association Act Up préfère, elle, hurler : « Nous sommes au regret de vous annoncer les 20 ans d’Act Up-Paris ».

On a compris, 20 ans exactement, et ce n’est pas franchement une fête. C’était le 26 juin 1989, lors du défilé de la Gay Pride. Le cortège s’ébranlait tout juste. Une quinzaine de « pédés, séropos, en colère » se sont, alors, allongés sur le sol. Ils portaient tous des tee-shirts marqués d’un triangle rose, sur lesquels étaient écrit : « Silence = Mort ». Reprenant une scénographie venue directement de New York et conçue par les activistes d’une association, Act Up-New York, fondée en 1987.

Act Up-Paris était né. Et l’association la plus turbulente de France allait profondément marquer le paysage de la lutte contre le sida   en France. Mêlant l’image et la colère. Se servant de l’outrance pour faire bouger les lignes. Au point d’agresser parfois des responsables. Mais aussi développant une expertise dans la prise en charge des patients et de leurs traitements. Vingt ans plus tard, et après plus de 100 000 morts en France , Act Up est toujours là, menaçant à plusieurs fois de s’autodissoudre, puis repartant au combat, et aujourd’hui dans un environnement bien moins tonique, elle se débat contre les immobilismes en tous genres. « L’urgence ? Il y en a partout. L’urgence, c’est de maintenir les acquis mais aussi de se battre pour que les promesses du Nord vers les pays du Sud soient maintenues. Ce n’est pas le travail qui manque », disent, à l’unisson, Stéphane Vambre et Safia Soltani.

Cocktail. Lui a 36 ans, elle a 34 ans. Lui est gay, séropo, chargé de la collecte de fonds dans l’association. Elle, infirmière, travaille avec les toxicomanes dans des programmes de réduction de risques. Aujourd’hui, tous les deux sont les présidents d’Act Up. Un duo inédit. A un moment, elle a été son infirmière lors de son hospitalisation à l’hôpital Pompidou à Paris. « Le fait que l’on a été lié sur le plan des soins ? On ne l’a dit que le jour de l’élection, ce n’était pas une stratégie de campagne », raconte Safia. Certes … Mais Act Up a toujours été habile dans le choix de ses présidents. Bien sûr, il y a eu d’abord Didier Lestrade, son fondateur, journaliste un temps à Libération. « En devenant séropo, je suis entré progressivement dans une logique de militant, et surtout, nous confiait-il, je me suis toujours dit que ma vie ne serait plus jamais pareille. » Avec lui, comme avec tant d’autres activistes, s’est opéré un étonnant cocktail où une maladie personnelle s’est transformée en un combat collectif. Didier Lestrade criait sans discontinuer. Avec une incroyable force, il a construit Act Up, imposant ses codes, ses colères et un discours très politique où l’Etat était mis en accusation pour la faiblesse de sa réponse devant l’épidémie.

C’est lui qui a imposé la théâtralisation des actions, répétant : « Ce qu’il faut, c’est une image pour la télé ». Et cela a marché. Comme cette image du préservatif sur l’obélisque de la Concorde.

« Pays de merde ». Puis il y a eu Clews Vellay, personnage excentrique, folle quand il fallait et brutal quand il le fallait aussi. Sa mort a profondément touché l’association. Puis Christophe Martet et ses propos violents lors d’un Sidaction télévisé en 1996 : « La France est un pays de merde ! » Mais aussi Philippe Mangeot, intellectuel brillant. Puis la première femme, qui plus est séronégative, Emmanuelle Cosse, et bien d’autres encore.

Act Up aime surprendre. Et aime toujours les coups d’éclat. « Comment casser l’indifférence ? Les gens pensent que c’est fini le sida   avec les traitements, mais les effets secondaires, et tout le reste… La semaine dernière, j’étais encore hospitalisé », raconte Stéphane. Qui ajoute : « Nous, à Act Up, on reste persuadé que l’on peut mettre un terme à l’épidémie. Ici, comme ailleurs. » « La lutte, aujourd’hui, n’a jamais été aussi politique, poursuit Safia. Se battre contre la loi sur l’hôpital, les franchises, pour la non-expulsablité des malades. Et la prévention, c’est un combat politique. Où en est-on du préservatif gratuit ? » Puis elle insiste : « Avec l’histoire, nous sommes des experts de la maladie, présents dans toutes les structures où il y a des patients. »

Europe Ecologie. Certes, mais aujourd’hui, la mobilisation est fragile . Les finances de l’association sont loin d’être florissantes. Et quel discours tenir ? Le nouveau duo insiste. « Il y a tant de choses à faire. » A gauche ? Tous les deux le sont. Mais hésitent. « Il faut vraiment en parler ? »En 1997, Act Up avait lancé un mouvement : « Nous sommes la gauche. » Le duo présidentiel finit par reconnaître qu’ils ont voté, tous les deux, lors des dernières élections, pour Europe Ecologie. « Dans leur programme, il y avait tout notre programme », explique Stéphane. Safia ajoute : « Mais je ne savais pas pour qui Stéphane avait voté. » Bien sûr, tous les deux seront, ce samedi, à la Gay Pride.

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