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A La Haye, Monsanto et son Roundup face aux accusions d’écocide



Télérama.fr - 15 Octobre 2016 - Weronika Zarachowicz - La multinationale sera au centre des débats du Tribunal international Monsanto, à La Haye, les 15 et 16 octobre. Ce procès symbolique entend œuvrer à la reconnaissance du crime d’écocide. Explications de la marraine de cette cour militante, Marie-Monique Robin.

La multinationale Monsanto est-elle coupable d’écocide, autrement dit de crimes contre la nature et l’humanité ?

Telle est la question à laquelle vont s’atteler plusieurs juges internationaux, les 15 et 16 octobre 2016, à La Haye, aux Pays-Bas. Un « procès exemplaire » tenu par un tribunal pas comme les autres, le Tribunal international Monsanto, initiative née d’un collectif de juristes, de personnalités internationales (Vandana Shiva, Olivier de Schutter, André Leu...) et d’ONG. Un procès symbole aussi, à l’heure du rachat par Bayer du géant des semences OGM et du Roundup, dans la ville qui héberge par ailleurs le siège de la Cour pénale internationale... Entretien avec la marraine du tribunal, la réalisatrice Marie-Monique Robin, dont le prochain film Qu’est-ce qu’on attend ? sortira au cinéma le 23 novembre prochain.

Quel est l’objectif de ce tribunal citoyen international ?

Il s’agit d’un vrai tribunal, à la différence d’autres initiatives citoyennes, comme le Tribunal International des Droits de la nature (NDLR : qui a siégé en décembre 2015 à Paris, en marge de la COP 21), qui ont surtout une valeur pédagogique. Durant deux jours, de vrais juges et avocats en robe vont siéger, dans les règles de l’art, et examiner de vrais chefs d’inculpation à l’encontre de Monsanto. Leur jugement n’aura qu’une valeur symbolique. Mais l’objectif est de contribuer à la reconnaissance du crime d’écocide, et à l’évolution du droit, en faisant des recommandations à la Cour Pénale Internationale. Les juges auront donc deux missions : d’une part, estimer les dommages causés par Monsanto avec les lois et textes dont nous disposons aujourd’hui, et d’autre part, juger de la culpabilité ou pas de la multinationale si le crime d’écocide était reconnu. Car aujourd’hui, il est impossible de poursuivre au pénal les dirigeants de compagnies multinationales coupables de ces crimes. Pour obtenir des réparations, une victime n’a recours qu’aux tribunaux civils. Lors d’un procès récent en Argentine, seules les personnes qui ont épandu du glyphosate près des habitations ont été condamnées à payer. Impossible, pour l’instant, de passer à l’échelon supérieur.

“Le Roundup tue les écosystèmes et tout ce qui vit dedans.”

Qu’est-ce que l’écocide ?

Au XXe siècle, il y a eu la Shoah, le Tribunal de Nuremberg s’est réuni, et a accouché d’une nouvelle figure pénale : le crime contre l’humanité. Au XXIe siècle, nous avons à nouveau besoin d’un nouvel outil juridique pour traiter des crimes dans le domaine environnemental et sanitaire et affronter la réalité du réchauffement climatique dû à l’activité humaine. On n’est plus au XXe siècle où l’on pensait qu’on pouvait produire, polluer, sans se soucier de rien. On connaît aujourd’hui les conséquences de ce modèle, qui accélère l’extinction de la biodiversité, la diffusion des maladies chroniques, la pollution des sols, de l’eau, de l’air... Face à ces nouveaux défis, il nous faut élaborer de nouvelles réponses, y compris du point de vue juridique. Et l’écocide en est une : c’est, comme le définit la juriste Valérie Cabanes, le fait de tuer ce qui rend notre vie possible sur Terre (le premier ministre suédois Olof Palme a employé le terme en 1972, pour la première fois, au sujet de l’ « agent orange », épandu par l’armée américaine sur les forêts vietnamiennes... et fabriqué par Monsanto, ndlr) Aujourd’hui, le Roundup, cet herbicide produit par Monsanto, et dont la substance active est le glyphosate, est un outil d’écocide. Le Roundup rend les sols malades, les plantes malades, les animaux malades, les hommes malades. Il tue les écosystèmes et tout ce qui vit dedans. Je suis en train de travailler sur une « suite » de mon enquête sur Monsanto (Le monde selon Monsanto, livre et documentaire), qui porte précisément sur le Roundup, et le glyphosate en particulier. Ce que je découvre est atroce. C’est l’une des substances les plus toxiques jamais inventées par l’homme.

Vous ne vous attendiez pas à cela ?

Non, car quand j’ai fait mon enquête sur Monsanto entre 2006 et 2008, il n’y avait que quelques études disponibles sur la glyphosate. Il a fallu le temps de la recherche scientifique indépendante. Dix ans plus tard, des milliers d’études confirment les dégâts provoqués par cet herbicide, qui est par ailleurs le plus vendu au monde. Ainsi le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), l’agence de l’Organisation mondiale de la santé spécialisée sur le cancer, a-t-il pu faire une classification des glyphosates, en retenant deux cents études publiées dans des revues scientifiques. Pour mon film, je suis allée en Argentine, aux Etats-Unis, au Sri Lanka, partout où il y a des scientifiques et des communautés concernées. Je reviens juste du Sri Lanka, le seul pays au monde à avoir interdit le glyphosate l’an dernier. Notamment parce qu’il y a une région du nord où le Roundup était abondamment épandu sur les rizières. Le bilan est atterrant : plus de 30 000 paysans sont morts d’une maladie rénale très rare qu’on trouve aussi au Salvador et au Nicaragua dans des conditions similaires. Des dizaines de milliers de personnes sont malades, sous dialyse. Et c’est clairement le glyphosate qui est responsable.

Le Roundup sera à l’ordre du jour du Tribunal Monsanto ?

Une journée entière y sera consacrée. Il s’agit de répondre à cette question : pourquoi, face à ces dégâts évidents, sommes-nous juridiquement impuissants ? En Argentine, c’est tout aussi impressionnant : 22 millions d’hectares de soja transgénique arrosés de Roundup trois fois par an depuis des années, des villages entiers affectés, des cancers, des malformations congénitales, des animaux qui tombent malades quand ils sont nourris avec ce soja – ce qui serait dû à une des fonctions du glyphosate, qui est un antibiotique puissant. Sans parler des mauvaises herbes devenues extrêmement résistantes – résultat, le pays est passé d’une moyenne d’un litre de Roundup à l’hectare à douze litres aujourd’hui....

“Avec quels outils juridiques peut-on stopper cette machine de destruction en cours sur cette planète ?”

L’accusé, le groupe Monsanto, sera-t-il présent à La Haye ?

Les juges voulaient que tout soit fait dans les règles de la procédure. Un courrier a donc été envoyé à leur siège de Saint-Louis, dans le Missouri, pour les informer qu’ils avaient accès à toutes les pièces du dossier. Aux dernières nouvelles, ils ne sont jamais allés chercher la lettre. Il y a eu un débat. Fallait-il prendre un avocat commis d’office pour les représenter ? On a décidé que non, il ne s’agit pas d’une pièce de théâtre.

La Cour Pénale Internationale de La Haye (qui s’occupe essentiellement des génocides, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre) a annoncé en septembre qu’elle allait traiter aussi des crimes contre l’environnement. Cela pourrait-il changer la donne ?

Oui, sachant que ce n’est pas une cour facile à saisir, que les Etats-Unis ne l’ont toujours pas reconnue. Mais c’est la preuve que les choses avancent sur le terrain juridique pour répondre à ces défis : avec quels outils juridiques peut-on stopper cette machine de destruction en cours sur cette planète, qui contribue au réchauffement climatique, à l’extinction de la biodiversité, à la pollution des sols, des ressources... De quoi avons-nous besoin, d’un point de vue légal et juridique, pour pouvoir condamner au pénal les responsables ? Pour l’instant il n’y a rien. Ou alors il faut être sacrément motivé, comme ces citoyens d’Anniston, dans l’Alabama, contaminés aux PCB (aussi appelés pyralènes, polluants organiques persistants) par Monsanto et sa filiale Solutia, qui ont trouvé un avocat vedette et finalement lancé une class-action contre la multinationale.

Et Monsanto a été condamné …

Effectivement, 700 millions de dollars, soit l’amende la plus importante jamais payée par une multinationale dans toute l’histoire de l’industrie. Mais cette indemnisation ne représente pas grand chose, comparée aux bénéfices rapportés par les PCB. Et cela n’a pas empêché Monsanto de continuer. Ils s’en moquent, et provisionnent chaque année des millions de dollars pour les procès possibles. Tant que les responsables de ces multinationales ne seront pas confrontés au risque d’aller en prison, rien ne changera. Cela dit, une porte a commencé à s’entrouvrir avec le procès d’Eternit, sur l’amiante, à Turin, où deux ex-dirigeants du groupe ont été condamnés à seize ans de prison ferme. Hélas, la justice est depuis revenue sur cette condamnation.

Il y a aussi l’enquête ouverte par le procureur de New York contre le géant pétrolier, Exxon Mobil (pour avoir financé des recherches visant à nier le changement climatique et l’impact de ses propres activités) ou encore le procès intenté contre l’administration Obama par vingt-et-un enfants et adolescents américains, qui expliquent que l’inaction politique met en péril les droits des jeunes Américains à la vie, la liberté, et la propriété... Autant de signes que ça bouge, non ? Oui, partout dans le monde, les citoyens et les juges tâtonnent. Le mouvement est lancé. Cette histoire d’enfants, qui met en lumière le droit des générations futures à une vie décente, est géniale ! Avec ce tribunal, nous voulons donner un coup de projecteur à ces problématiques, encourager les victimes à s’unir et à porter plainte. Evidemment, le verdict sera symbolique. Mais on a plus que jamais besoin de symboles.

A Lire

Un nouveau droit pour la Terre. Pour en finir avec l’écocide, de Valérie Cabanes, éd. Du Seuil


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Publié sur OSI Bouaké le samedi 15 octobre 2016

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